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Superligue européenne : vers une légitimité limitée ?

Par Pierre Rondeau
Superligue européenne : vers une légitimité limitée ?

Au milieu de l’euphorie du Mondial, une évolution juridique a été apportée concernant la Superligue européenne. Devant les juges de la Cour de justice de l’Union européenne, l’avocat général a en effet présenté ses premières conclusions. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette compétition privée n'est pas près de voir le jour.

Le communiqué a été publié jeudi 15 décembre dans la matinée, au lendemain de la victoire des Bleus contre le Maroc au Mondial, c’est dire si l’information est quelque peu passée inaperçue. Mais voilà, dans l’affaire Superligue versus UEFA, l’avocat général Athanasios Rantos a présenté ses conclusions devant les 15 juges de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Et ses propos sont limpides, « l’organisation des compétitions de l’UEFA n’est pas contraire au droit de la concurrence européen ».

L’organisation des compétitions de l’UEFA n’est pas contraire au droit de la concurrence européen.

Il faut revenir quelques mois en arrière pour comprendre de quoi il était question. Après avril 2021, lorsque 12 clubs dissidents, dont la Juventus, le Real Madrid et le FC Barcelone, avaient tenté de lancer une compétition privée, fermée et autonome, la Superligue européenne, l’UEFA avait réagi en sanctionnant et en accusant les belligérants de sécession. L’affaire avait été portée, dès septembre 2021, devant la CJUE par les représentants de la Superligue, pour apporter une réponse juridique et démontrer si oui ou non l’UEFA avait le droit de sanctionner des clubs désireux de s’émanciper du joug fédéral, selon le sacrosaint droit à la concurrence.

L’European Super Ligue Company, telle qu’elle est dénommée par la CJUE, reprochait à l’UEFA trois choses : le monopole d’organisation des compétitions européennes de l’UEFA, l’interdiction de pouvoir créer une nouvelle compétition indépendante et le rôle auto-proclamée de l’UEFA de régulateur et de promoteur. Et donc, sur ces 3 points, après plus d’un an d’enquêtes, d’investigations et de réflexion, l’avocat général a apporté ses premières conclusions.

La Superligue est légale sur le plan juridique

Pour dire les choses simplement, Athanasios Rantos considère que la Superligue, eu égard aux articles 101 et 102 du traité de fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) portant sur la concurrence, a le droit de se mettre en place. « La Superligue est libre de créer sa propre compétition de football indépendante en dehors de l’écosystème de l’UEFA et de la FIFA. »

Néanmoins, « elle ne peut, parallèlement à la création d’une telle compétition, continuer à participer aux compétitions de football organisées par la FIFA et l’UEFA sans l’autorisation préalable de ces fédérations ». Autrement dit, la Superligue peut légitimement et juridiquement se faire, mais si les clubs participants veulent rester dans leur ligue nationale, voire évoluer dans le même temps dans des compétitions libellées UEFA ou FIFA, ils ne pourront le faire qu’avec l’autorisation de ces derniers. Et ça n’est pas sûr qu’ils acceptent.

L’UEFA conserve son monopole d’organisation

Ensuite, concernant le monopole d’organisation des compétitions européennes de l’UEFA, Rantos n’y trouve rien à redire et renforce même l’idée de prédominance de l’instance fédérale au nom de la spécificité du modèle sportif européen, citée dans l’article 165 du TFUE. « Cette spécificité du sport marque l’aboutissement d’une évolution encouragée et promue par les institutions européennes. » Enfin, sur la question du double jeu de l’UEFA, ayant à la fois le rôle de régulateur et d’organisateur des compétitions, c’est-à-dire de juge et partie, Rantos admet que cela « n’entraîne pas, au nom de la jurisprudence, une violation du droit de la concurrence de l’UE ». Rien n’empêche donc l’UEFA de pouvoir sanctionner des participants qui ne respecteraient pas les règles fixées en amont et qui pourraient altérer l’équilibre concurrentiel imposé par l’organisateur, selon l’article 101 du TFUE.

Pour résumer, la Superligue peut avoir une légitimité juridique, si ses partisans venaient à la mettre en place, elle aurait le droit de s’inscrire dans le socle sportif européen. Néanmoins, ses participants seraient dans l’obligation de faire un choix, car ils ne pourraient pas, sauf avis contraire de l’UEFA, évoluer à la fois dans les compétitions nationales et continentales officielles et dans la Superligue.

Le conflit pourrait durer

Rapidement, la société A22, porteuse du projet Superligue, a réagi, via un communiqué de presse, et a reconnu que l’avis de l’avocat général Athanasios Rantos n’était que « consultatif et non contraignant », la réponse finale devrait être donnée au premier trimestre 2023. Dit autrement, A22 ne serait pas vraiment inquiétée, le communiqué de presse se termine même sur l’espérance que « les 15 juges de la grande Chambre iront beaucoup plus loin et donneront la possibilité aux clubs de gérer leur propre destin en Europe ».

Les conditions requises par l’UEFA pour qu’une Superligue puisse voir le jour sans que les clubs participants ne soient exclus de leurs championnats nationaux pourront probablement faire l’objet de débats après le jugement et au fil des années.

C’est d’ailleurs l’une des inquiétudes de William Martucci, ancien consultant pour l’UEFA en charge du développement des compétitions de clubs. Selon lui, bien que les conclusions de l’avocat général aillent dans le bon sens et confirment la primauté des compétitions ouvertes et pyramidales, « rien n’est encore fait. Dans un tiers des cas, les juges décident de ne suivre que partiellement les conclusions de l’avocat général, voire de ne pas les suivre. Plusieurs points essentiels pourraient n’être tranchés que plus tard par le tribunal espagnol. Les règles de pré-autorisation, c’est-à-dire les conditions requises par l’UEFA pour qu’une Superligue puisse voir le jour sans que les clubs participants ne soient exclus de leurs championnats nationaux, pourront probablement faire l’objet de débats après le jugement et au fil des années. » On risque donc d’en avoir encore pour longtemps…

Par Pierre Rondeau

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