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Superligue : l'opportunisme du PSG et de Nasser al-Khelaïfi
Le PSG se pose aujourd’hui en farouche défenseur de l’UEFA et de la Ligue des champions face à la menace de la Superligue. Seul problème, comme le révèle L’Équipe, c'est apparemment surtout faute d'avoir pu imposer son propre projet.
Le quotidien L’Équipe a donc révélé ce que personne n’est venu démentir. Il y a quatre ans, en pleine pandémie, Nasser al-Khelaïfi, président du PSG, avait travaillé avec Andrea Agnelli, l’ex-boss de la Juventus qui sera l’année suivante un des fers de lance de la Superligue, à une nouvelle compétition européenne. Une démarche qui rappelle étrangement la folie concoctée par Florentino Pérez et qui éclatera au grand jour à peine six mois plus tard. Son nom, Bohr, en illustre les ambitions. Il s’agit d’un étrange hommage à Niels Bohr, physicien danois, contributeur secondaire durant la Seconde Guerre au projet Manhattan, qui avait accouché de la première bombe atomique. On ignore quel sens de l’humour historique fonde ce choix, mais il ne s’avère clairement pas bienveillant envers l’UEFA.
L’éternel spectre de la ligue fermée
La chronologie a son importance. Les grands clubs européens saisissent la crise du Covid, et les difficultés ou angoisses économiques qu’elle suscite, pour se poser des questions existentielles et surtout financières (malgré l’aide non négligeable des finances publiques en France). La rengaine ne change pas, ils s’estiment insuffisamment rétribués et s’inquiètent d’une dévalorisation du produit (avec une éventuelle baisse des droits TV). Depuis un bout de temps, le spectre de la ligue fermée plane sur le Vieux Continent, avec des versions plus ou moins abouties. Ce danger constituait d’abord un moyen de pression pour contraindre les instances européennes du foot à écouter leurs doléances et à desserrer les cordons de la bourse.
La naissance provisoirement avortée de la Superligue en avril 2021, avec le rétropédalage de nombreux candidats, notamment anglais, sous la pression de l’UEFA, et surtout des supporters et des États, avait redistribué les cartes. Nasser al-Khelaïfi avait récupéré la présidence de l’ECA, association européenne des clubs, autrefois entre les mains d’Agnelli. Depuis, le dirigeant qatarien s’est intronisé en sauveur suprême. « Ils nous parlent de liberté, mais ça reste, entre autres, une ligue fermée », avait-il récemment déclaré à la suite d’une décision ambiguë de la justice européenne, aux côtés d’Aleksander Čeferin. Il avait ensuite enfoncé le clou sur le site officiel du PSG : « En tant que fière institution européenne, le PSG soutient les principes du modèle sportif européen, les valeurs de compétition ouverte et d’inclusion, et travaille avec toutes les parties prenantes reconnues du football européen – surtout avec les supporters et les joueurs, qui sont au cœur du football. »
Le projet Bohr et la quête du profit
L’existence du projet Bohr, confié aux bons soins de la société britannique O & O, éclaire singulièrement la sincérité des convictions actuelles du président parisien. La quête du profit, peu importe le décorum de la communication employée pour justifier les diverses manœuvres en cours, demeure le seul fil conducteur. Le « scoop » du jour permet de se représenter plus justement les forces d’opposition au projet de Superligue et lève le voile sur leur réelle motivation. Il reste ainsi un front culturel qui englobe supporters, journalistes, « sentimentaux » du foot, qui redoutent, par-delà le principe de réalité, cet ultime sacrilège à une histoire sur le point de mal se terminer. Ces « nostalgiques » peuvent compter pour le moment sur un front politique, celui des États européens, qui encore récemment lors du congrès de l’UEFA à Paris apportait leur caution morale à cette dernière par l’intermédiaire d’une déclaration commune récitée par la ministre des Sports française, Amélie Oudéa-Castéra.
Enfin, il existe un front tactique, celui que représente justement Nasser al-Khelaïfi. Son ralliement à l’UEFA, peut-être aussi un peu commandé par sa rivalité avec le Real Madrid, avait un prix. Il y a gagné en pouvoir, en influence et en source de revenus. La Ligue des champions a d’ailleurs été largement remaniée et la redistribution de la manne financière coule encore davantage vers les grosses écuries qui y participent, au détriment des C3 et C4 où les « petits » se partagent les miettes. L’opportunisme de Nasser al-Khelaïfi, qui tient également la Ligue 1 entre ses mains (en particulier avec les négociations sur les droits télé via beIN Sports), semble lui avoir particulièrement réussi. L’avenir nous dira s’il a fait le bon choix ou s’il retournera de nouveau la veste de son costard.
Par Nicolas Kssis-Martov