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Sunderland ‘Til I Die, ou l’éloge de la lose
S'il y a bien une série dont tous les fans de football ne manquent pas un épisode, c'est celle qui met en scène leur club tous les week-ends. Car c'est la plus imprévisible de toutes. Netflix l'a bien compris en diffusant Sunderland 'Til I Die, un show en 8 épisodes au cœur d'une saison tragique pour les Black Cats. Et c'est super.
Cette saison, la trêve hivernale nous a servi une double ration de foot anglais, histoire de meubler la courte pause que s’est offerte notre Ligue 1. En plus des traditionnels matchs entourant le Boxing Day, c’est grâce à Netflix que les esthètes ont pu se rassasier en assistant en différé à la dégringolade d’un historique de la Premier League. Le show s’appelle Sunderland ‘Til I Die, et retrace en 8 épisodes filmés en immersion la saison 2017-2018 du Sunderland A.F.C. Et délivre la preuve ultime qu’il n’y a pas meilleure série que celles que les footballeurs écrivent eux-mêmes. Parce que la fameuse « glorieuse incertitude du sport » réserve des destins qu’aucun scénariste n’aurait osé écrire.
En football, rien ne se déroule jamais comme prévu
En juin 2017, lorsque leurs caméras commencent à tourner les murs en briques des rues jouxtant le Stadium of Light, les producteurs n’ont qu’une idée en tête : filmer de l’intérieur la vie d’un club fraîchement relégué en Championship, qui compte bien retourner dans la cour des grands au plus vite. Sans avoir aucune certitude de la manière dont va se dérouler la saison, Leo Pearlman et Ben Turner, les producteurs exécutifs du show et supporters des Black Cats de longue date, sont certains d’une chose : en tant que fans de foot, ils savent que rien ne se déroule jamais comme prévu lors d’une saison de football. Et que quoi qu’il advienne, ils auront droit à tous les ingrédients constituant une bonne série : à savoir des gentils, des méchants, un décor et des rebondissements. Surtout à Sunderland, ville ouvrière sinistrée du nord de l’Angleterre, qui à l’image de son équipe de foot, court après un passé glorieux. Voilà pour le décor, fait de gueules cassées par la vie, d’accents à couper au couteau et de gens qui n’ont pas grand-chose d’autre que leur équipe pour s’extraire d’un quotidien qui ne rigole pas. Cela sonne comme un reportage de Stade 2, mais la recette fonctionne à chaque fois.
Une équipe aussi nulle qu’attachante
Côté rebondissements, là aussi, nos compères vont être servis. Partis pour filmer une saison en haut du classement, les deux compères vont rapidement voir le karma transformer leur success story en comédie dramatique. Et rappeler aux esprits un peu étourdis que malgré tous leurs avantages matériels, les joueurs de football ne sont véritablement heureux que lorsqu’ils gagnent, comme ils aiment nous l’expliquer lorsque nous les interrogeons sur le sujet. Et peu de joueurs dans le monde gagnent tout le temps. Surtout lorsqu’ils jouent pour Sunderland. Car autant couper net le semblant de suspense qui peut régner au début de la série. Tous les spoilers sont sur la page Wikipedia du club : lors de la saison 2017-2018, Sunderland ne gagnera que 7 rencontres de championnat, même pas une par épisode, et finira dernier. Une malédiction pour les supporters, mais une bénédiction pour le spectateur neutre. Car c’est bien ce scénario catastrophe qui fait de Sunderland ‘Til I Die une série unique. Contrairement aux autres films de sport scénarisés, qui voient à coup sûr une équipe ou un individu triompher après avoir traversé de terribles épreuves, ici, rien de tout cela. Durant près de 5h30, le téléspectateur assiste, fasciné, à une inexorable descente aux enfers. Cette équipe de Sunderland est aussi nulle que ses supporters, sa cuisinière et ses jeunes joueurs pleins de bonne volonté sont attachants. Et c’est super.
Le méchant Jack Rodwell
Cette canaille de Jack Rodwell
Alors bien sûr, pour que cette série dont les héros se nomment John O’Shea, Lee Cattermole, George Honeyman, Callum McManaman, Didier Ndong ou Jason Steele fonctionne, il lui faut également quelques méchants, histoire que la dramaturgie prenne. Ces sales rôles sont dévolus à Lewis Grabban, le meilleur buteur du club prêté par Bournemouth, qui souhaite rompre son contrat à mi-saison pour rejoindre Aston Villa. Sous ses nouvelles couleurs, le lascar enfoncera encore plus Sunderland en marquant un but qu’il célébrera en chambrant les supporters de son ancienne équipe, avant de déclarer de façon narquoise avoir adoré ce moment. Mais surtout à Jack Rodwell. L’international anglais, qui constitue une des principales valeurs marchandes du club et qui ne joue jamais, refuse de quitter le club à l’intersaison, préférant partir libre à la fin de son contrat. Et ainsi, empêcher son équipe de se renforcer pour essayer de remonter la pente. La colère de Martin Bain, le président délégué, lorsqu’il apprend la nouvelle, restera comme une des scènes marquantes de la série.
Le méchant Jack Rodwell
Enfin, il y a également ces trois gardiens de but, tous aussi mauvais les uns que les autres, qui se relaient dans les buts sans changer quoi que ce soit au destin tragique qui attend leur équipe, tout en faisant de leur mieux. Car le football a ceci d’implacable qu’on peut faire partie des méchants tout en donnant le meilleur de soi-même. Cela semble être également le cas de Martin Bain, qui dirige le club du mieux qu’il peut, sans une livre. Du moins, c’est comme cela qu’il est présenté. Pull en V ajusté sur un poitrail nu, l’homme à la dégaine de Jason Statham du pauvre fut la principale cible de la colère des supporters, qui voyaient en lui la marionnette d’un propriétaire absent et refusant de mettre la main à la poche. Après la diffusion du documentaire, les avis sont plus nuancés à son sujet, sa mission apparaissant comme totalement impossible. Et c’est là l’une des réussites du documentaire. Cette immersion dans la vie d’un club professionnel permet au quidam de se rendre compte qu’une telle entreprise ne se gère pas comme dans Football Manager.
Enfin, comme toute bonne série sur le sport, Sunderland ‘Til I Die possède son lot de punchlines et autres motivation speeches. Le plus souvent, c’est Chris Coleman, l’ancien sélectionneur gallois venu à la rescousse à mi-saison, qui s’y colle. Avec des tirades qui semblent inspirées par Roger Lemerre, comme celle-ci : « C’est une opportunité. Mais une opportunité n’en est plus une si vous ne la saisissez pas. Et le problème des opportunités, c’est qu’elles réclament de travailler dur. C’est pour cela que beaucoup de personnes ne les saisissent pas. » Mais parfois, même travailler dur ne suffit pas. Surtout lorsqu’on est embarqué dans cette réjouissante galère que fut la saison 2017-2018 du Sunderland A.F.C.
Par Mathias Edwards