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Suffo : « Les voyages m’ont appris la vie »

Propos recueillis par Florian Cadu
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Vainqueur de la CAN 2002 et des JO 2000, Patrick Suffo fète son 39e anniversaire aujourd'hui. L'occasion de parler football africain avec lui, et de revenir sur sa carrière qui l'a vu faire le tour du monde. Par goût du voyage.

Joyeux anniversaire, Patrick. Tu célèbres cette 39e année en regardant la Coupe d’Afrique des nations ? Je suis la compétition depuis le début. Le niveau va s’élever. Là, ce sont les premiers matchs, c’est le début, les conditions sont spéciales, il y a de la pression…

Quel est ton favori pour le titre ?En général, c’est toujours assez imprévisible. Mais la Côte d’Ivoire me semble la mieux armée, même si le Sénégal a montré de bonne choses lors de la première journée.

Et l’Algérie de Riyad Mahrez et d’Islam Slimani ?Elle a un bon effectif, mais les équipes maghrébines sont désavantagées quant au climat par rapport aux sub-sahariennes. On l’a vu lors de la rencontre opposant le Sénégal et la Tunisie : elles supportent moins bien le combat physique sur la durée.

Tu as pensé quoi du Cameroun, qui a fait match nul pour son entrée en lice alors qu’il aurait largement pu l’emporter face au Burkina Faso ?J’ai envie de leur trouver des excuses, mais c’est une compétition qu’on prépare depuis un moment. Je pense qu’ils auraient dû tuer le match beaucoup plus tôt. Malheureusement, comme chacun a pu le constater, il s’agit de jeunes joueurs qui disputent une grande compétition pour la première fois. Il y a donc logiquement un petit manque d’expérience, de maîtrise. Ce sont deux points de perdus dans les dernières minutes.

S’ils décident de jouer pour le Cameroun, ils doivent comprendre qu’ils doivent répondre présent à chaque fois qu’on les appelle, et pas seulement quand ça les arrange

Tu les vois aller au bout ?Au regard de ce que j’ai vu des autres équipes, la Tunisie et le Sénégal par exemple, ça va être difficile d’aller plus loin. Mais j’ai bon espoir que les gars se ressaisissent. Après la pression du premier match, ils vont se relâcher et jouer un peu plus tranquillement. Si c’est le cas, les chances de continuer l’aventure seront beaucoup plus grandes.

Qu’est-ce que tu penses de la polémique concernant les joueurs sélectionnés qui ont refusé de venir défendre les couleurs du pays pour des intérêts personnels (des éléments comme Joël Matip ou Eric Choupo-Moting ont préféré se concentrer sur leur club, ndlr) ? Je suis de la vieille école, donc à première vue, j’ai envie de dire que c’est un scandale. Mais si on regarde comment les choses sont faites, et les raisons de chaque joueur, on essaye de comprendre. À notre époque, c’était un luxe de faire partie de la sélection. Aujourd’hui, il se trouve que les joueurs font de leur carrière personnelle une priorité, et on ne peut pas vraiment leur en vouloir pour ça. Ce sont des choix individuels qui ne regardent qu’eux. Après, s’ils décident de jouer pour le Cameroun, ils doivent comprendre qu’ils doivent répondre présent à chaque fois qu’on les appelle, et pas seulement quand ça les arrange. J’espère donc que les joueurs qui sont là actuellement vont construire quelque chose de solide, apprendre à se connaître, créer un groupe pour qu’il y ait une certaine continuité dans les années à venir. Pour cela, les dirigeants doivent tirer des leçons de cet épisode, et se passer de ceux qui ont refusé de venir au Gabon. Il faut faire confiance aux jeunes qui sont là.

Tu as déjà été confronté à ce choix ? Penser à privilégier ta carrière au détriment de la sélection ?Il n’y a qu’une saison où j’ai discuté avec mes dirigeants à ce propos. J’évoluais à Sheffield, et on jouait la montée, la période était assez intense, il y avait beaucoup de matchs. Mais les dirigeants ne m’ont jamais forcé à quoi que ce soit, au contraire. Et il était hors de question que je manque à l’appel de mon pays.

Le Cameroun est souvent lié à des histoires étranges, des affaires de primes… C’était déjà le cas avec la génération de Roger Milla lors du Mondial 1990. Vous considérez que les dirigeants actuels vont dans la bonne direction ?En tout cas, aujourd’hui, le président de la Fédération camerounaise (Joseph Owona, ndlr) est quelqu’un qui connaît les problématiques. Il y a eu beaucoup de changements et les problèmes sont désormais anticipés, même si certains ressortent de manière sporadique.

C’est vrai que quand on voit mon parcours, on peut s’étonner et se demander pourquoi je ne suis pas resté plus longtemps quelque part. On peut aussi se poser des questions sur mon niveau. Mais en fait, je suis quelqu’un qui a toujours osé.

Vous croyez à un retour des Lions indomptables au sommet du foot africain à court terme ?Selon moi, ça va prendre encore un peu de temps. Il faut réinstaller des bases solides au niveau local. Réorganiser le championnat national correctement, par exemple. La formation, également. Et éviter ce genre de problème qu’on vient d’observer : ne pas avoir l’équipe qui était prévue au départ pour cette CAN, c’est une chose qui ne devrait jamais arriver.

Quand vous avez connu la sélection entre 2000 et 2003 (Suffo a gagné la CAN 2002 et les Jeux olympiques 2000), il y avait ce genre de problèmes ? Nous, on savait que ce genre de problèmes interviendrait, c’était automatique. Mais mentalement, on était préparés et on s’organisait pour que ça n’ait pas d’influence sur le terrain.

À titre personnel, tu as aujourd’hui trente-neuf ans. Tu vis où ?En Angleterre et en Afrique, en fonction du travail. Je m’occupe de projets d’investissements sur le continent, donc je bouge beaucoup. Ça tombe bien, j’adore voyager ! Mais je suis basé en Angleterre.

Tu as beaucoup vagabondé quand tu étais joueur, aussi. C’était une volonté ? Oui, c’était plus par curiosité qu’autre chose. C’est vrai que quand on voit mon parcours, on peut s’étonner et se demander pourquoi je ne suis pas resté plus longtemps quelque part. On peut aussi se poser des questions sur mon niveau. Mais en fait, je suis quelqu’un qui a toujours osé. J’étais fasciné par beaucoup de choses au-delà du foot. J’aimais le foot hein, mais je me suis toujours dit qu’il n’y avait pas que ça dans la vie. Ma curiosité m’a amené dans énormément de pays, et je ne regrette pas. Car j’estime que l’apprentissage du voyage n’a pas son pareil, où que ce soit.

Israël, la Norvège, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite… Toutes ces destinations exotiques représentent de bonnes expériences ?Chaque destination m’a apporté quelque chose. Niveau culture générale, d’abord. Et puis, dans ma vie actuelle, je relativise beaucoup de choses parce que je sais que dans d’autres endroits, ça se passe d’une autre manière. Ça m’a beaucoup appris, vraiment. Ça m’a appris la vie, en fait.

Avant de bouger, tu as commencé en Europe à Nantes, où tu as gagné la Coupe de France. C’est l’un de tes meilleurs moments ?Oui. En dehors de ce que j’ai pu vivre avec la sélection, c’était quelque chose d’incroyable. On n’est pas des milliers de Camerounais à quitter le pays et à gagner ce genre de titres si tôt. À part des mecs comme Samuel Eto’o, qui a collectionné les titres avec Barcelone, on n’est pas nombreux. C’est aussi à Nantes que j’ai appris à devenir un homme. D’ailleurs, on nous apprenait à devenir homme avant de devenir footballeur. Je dois beaucoup de ma personnalité au FC Nantes.

Toi qui as beaucoup bourlingué, où est-ce que tu as ressenti la plus grande passion pour le foot ?En Angleterre, évidemment. Après, pour la qualité de jeu, je retiens l’Espagne. J’ai fait Barcelone et Numancia, et le niveau était très élevé.

On n’a jamais trop compris quel joueur tu étais réellement. Tu paraissais très calme, mais tu pouvais aussi dégainer comme quand tu as pété un plomb lors de la bataille de Bramall Lane. Je suis quelqu’un de très entier, mais aussi quelqu’un de très sensible avec certains détails. Disons que je ne cherche de poux à personne, mais il ne faut pas m’en chercher, quoi. (Rires) Je rigole, mais je pense que ça peut se résumer à ça. Quand j’étais footballeur, j’étais une personne très vivable, je ne cherchais de problème à personne, mais j’étais très sensible à l’injustice.


Tu n’as jamais regretté tes choix ?Non, aucun. J’aurais pu faire une meilleure carrière, c’est sûr, mais j’ai eu la chance de pouvoir découvrir plein d’horizons différents tout en étant footballeur. Il existe énormément de jeunes au pays qui n’ont pas eu ma chance. J’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes merveilleuses, d’autres moins merveilleuses, et c’est ce qui m’a construit. Car la vie ne se résume pas au foot.

Le ballon ne te manque pas ?Après ma carrière, j’ai repris en club en tant qu’entraîneur-joueur. J’y suis resté deux saisons. Là, je vais reprendre une licence en amateur en Angleterre, malgré mon genou en carton. Je n’ai pas pu cette saison, car j’ai trop voyagé. Mais franchement, non, ça ne me manque pas plus que ça.

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Propos recueillis par Florian Cadu

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