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Succès, clashs, casting : les recettes de L’Équipe du soir
Tous les jours, ou presque, depuis 2008, Olivier Ménard anime L’Équipe du soir. Autour de lui, chroniqueurs et chroniqueuses se défoulent sur l’actualité du foot, principalement. Et ça marche. Ça cartonne, même, avec des pics à plus d’un million de téléspectateurs. Pourquoi, comment et jusqu’à quand ? Réponses avec les intéressé(e)s.
« L’ENFANT EST BIEN NÉ »
Benoît Pensivy (directeur de la rédaction de 2008 à 2013) : Quand on m’a proposé le poste, il fallait essayer de se réinventer dans un modèle avec très peu d’images de sport, car on avait perdu des droits.
Olivier Ménard (présentateur historique, dit « Mémé ») : J’écoutais On refait le monde, sur RTL, présentée par Christophe Hondelatte. J’aimais bien le système à plusieurs thèmes et le principe d’avoir un club de chroniqueurs qui tournent. Dans la forme, j’étais aussi très fan d’Ardisson : Tout le monde en parle, Les Bains de minuit… Il y avait aussi 100% Foot avec Estelle Denis et Lundi Foot avec Didier Roustan. Mais j’estimais que ce n’était pas copiable. Et là, Benoît me montre une émission, PTI (Pardon the Interruption, un programme sur le sport aux États-Unis, NDLR). Il y a deux vieux qui s’engueulent avec une rivière (le menu de l’émission qui ruisselle sur le côté de l’écran, NDLR).
Benoît Pensivy : Je fais quinze jours à ESPN dans le Connecticut pour prendre des idées. C’est là-bas que je découvre la fameuse rivière et qu’on peut faire de la télé sans images. On pouvait créer quelque chose avec une identité graphique et une incarnation.
Olivier Ménard : J’ai plein de titres en tête, comme Le Comptoir des sports. Je trouve L’Équipe du soir, on part là-dessus. Benoît insiste pour qu’on mette une rivière, on reprend un peu la mécanique de PTI : tous les débats sont chronométrés avec un compte à rebours, on a tordu ça pour recréer des scènes de duels, de disputes. Il voulait deux chroniqueurs, je lui ai dit d’en mettre un troisième. Dans ma famille, j’ai le souvenir de mes grands-tantes en train de s’engueuler pendant le déjeuner, elles étaient trois, toujours à deux contre une.
Thierry Bretagne (chroniqueur de 2008 à 2016) : Quelques mois plus tôt, j’avais rencontré Vincent Régnier (le directeur du site de L’Équipe, NDLR), et il me dit qu’ils aimeraient bien créer une émission du style café des sports avec des vieux cons comme moi et des jeunes. Je participe à la première avec Lemoine, Ménard et le charmant Jacques Séguéla. Les caméras étaient en plan fixe, un peu comme la radio filmée aujourd’hui. Ce n’était pas très bien éclairé.
Olivier Ménard : La première saison, on est là du mardi au vendredi. Le lundi, la case est réservée à On refait le match d’Eugène Saccomano. On a seulement accès au plateau la veille de la première : on fait des petits lancements à blanc, on vérifie si la rivière fonctionne. Le lendemain (le 2 septembre 2008, NDLR), on lance L’Équipe du soir avec Jacques Séguéla comme président, en effet. Quand je rentre chez moi, je la revois sur DVD et je me dis que l’enfant est bien né.
L’HEURE DE LA RÉCRÉ
Éric Blanc (chroniqueur depuis 2008) : Au départ, les chroniqueurs étaient des vieux routiers de la presse : Pierre Salviac, Thierry Bretagne, Patrick Lemoine, Jean-Michel Rouet, etc. C’était une bande de copains. La première année, j’ai travaillé gratuitement, puis j’ai demandé une pige. C’était un lancement à la bonne franquette avec beaucoup d’amis et ça l’est toujours aujourd’hui.
Olivier Ménard : Au début, on n’existait pas trop aux yeux des autres. Les journalistes de L’Équipe qui viennent, c’était leur recréation. Ils sont là pour se marrer et pour débattre. Et c’est monté avec la notoriété de l’émission.
Benoît Pensivy : C’est vrai que ça regardait un peu l’émission de travers. La presse écrite a toujours eu un regard méfiant envers la télé, car ils recherchent toujours plus de profondeur par rapport à l’immédiateté de la télé. Certains venaient un peu en cachette, il y avait des débats autour de combien ils étaient payés. Ça satisfait aussi les égos, c’est humain, quand on est reconnu par son boulanger, on a l’impression d’être plus important.
Éric Blanc : La force du groupe, c’est d’avoir emmené ces journalistes à intervenir puisqu’ils étaient les observateurs du sport par leurs écrits.
Olivier Ménard : Il y a des personnes que je rencontre comme ça, comme Bernard Lions. La première fois qu’on se voit, c’est en 2004 à Marseille. On se bourre la gueule, on fait la fête, je me dis : “Putain, il y a un personnage.” Pareil pour Benoît Maylin, à l’époque où il y a une radio éphémère à RTL à Issy, je remarque ce petit gars qui chante et j’apprends qu’il fait du tennis. J’avais déjà une idée de faire une rubrique comique avec Tarek Boudali et d’autres gars, c’était tombé à plat. Je la propose à Benoît, avec son amour pour le tennis et son talent de comédie.
Benoît Maylin (chroniqueur jusqu’à 2015) : Je commence à mettre des déguisements et je vois que tout le monde rit. L’état d’esprit me plaît tout de suite, il y a de l’expertise, mais aussi de l’humour. Une cour de récré avec Olivier comme enseignant.
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Olivier Ménard : Je pense qu’on l’a usé en le mettant tous les soirs. Il mettait de l’opinion dans un milieu où c’est un peu le paradis de la chemise Lacoste et le royaume des faux culs. On se marrait bien. Mais il a pris un coup de chausson par Cyril Linette, je n’ai pas pu le sauver et ça m’a fait chier. Quinze jours plus tôt, Benoît me dit qu’il lui était tombé dans les bras en disant qu’il adorait ses chroniques… Je lui disais de faire attention.
Benoît Maylin : Effectivement, deux semaines plus tard, je suis viré. Je l’ai appris sur Twitter. Je le vis assez mal sur le moment. Elle me manque, cette émission.
CHACUN SON RÔLE
Bertrand Latour (chroniqueur depuis 2016 et parfois présentateur) : C’est la seule émission qui me faisait rêver. Je me souviens de l’objet du mail en réponse à ma candidature : « C’est L’Équipe du soir, bonsoir ». J’ai appris récemment qu’Hervé Penot avait parlé de moi à Olivier en lui conseillant de tester ce jeune de RTL un peu casse-couilles.
Raymond Domenech (chroniqueur) : J’aime bien discuter avec Bertrand Latour, on n’est jamais d’accord sur rien et j’aime bien ce côté tonique. Il est capable de répondre, soutenir et il connaît. Le gars que les gens n’aiment pas, avant c’était moi, maintenant, c’est lui. Il sait de quoi il parle, il a des arguments, j’aime bien le contrarier, il part au quart de tour, c’est amusant.
Bertrand Latour : Je suis sans doute aussi arrivé comme un chien dans un jeu de quilles, c’était un peu brutal comme manière d’entrer en scène. J’ai eu un léger procès d’intention du fait de ma jeunesse et que je ne faisais pas de terrain. Ça venait surtout des anciens du journal, ils se reconnaîtront, mais je m’entends bien avec quasiment tout le monde aujourd’hui.
Marc Las (Responsable des informations et des émissions en 2016, puis rédacteur en chef de La Chaîne L’Équipe) : Pour être chroniqueur dans l’EDS, il faut avoir la passion de parler de sport. C’est une qualité incroyable de savoir en parler pendant des heures. Derrière la passion, il y a un travail de dingue. Les chroniqueurs, ce ne sont pas des gens que l’on prend au hasard dans la rue. On ne veut pas intellectualiser le sport, mais on ne veut pas non plus le rendre ultra-populaire.
Olivier Ménard : En 2014, on va couvrir pour la première fois une grande compétition internationale en intégralité. En janvier, j’alerte sur le fait que la plupart des chroniqueurs seront au Brésil pour la Coupe du monde, donc je demande des idées de nouveaux visages. Tarrago me dit qu’il a quelqu’un : un gars pas journaliste, un peu spécial, à moitié agent.
Gilles Favard (chroniqueur de 2014 à 2022) : Tarrago me dit que je vais recevoir un appel d’Olivier Ménard et au moment où il me dit ça, le téléphone sonne.
Olivier Ménard : Et là, il m’engueule en refaisant l’émission de la veille en me disant qu’untel a dit une connerie. C’est aussi le propre des chroniqueurs, sur une question ils détiennent la vérité. Bon, Gilles peut être un peu ronchon et c’est un homme de peu de mots. Il refroidissait un peu le plateau au début, les autres pouvaient avoir peur.
Raymond Domenech : Gilles, il est comme ça, si on rentre dans son jeu. Quand il gueule, ce que les gens ne voient pas, c’est qu’il fait un grand sourire et un clin d’œil. S’il était plat et qu’il n’avait rien à dire, il ne serait pas là. C’est du théâtre, chaque personnage joue un rôle.
Gilles Favard : Olivier connaît les susceptibilités des uns et des autres, il sait qui va réagir ou pas. Je connaissais un peu le programme parce que je baignais dans cet univers. On m’appelait pour avoir des infos. Je savais ce qui se passait, je ne me trompais jamais. Je vous le dis d’une façon très prétentieuse, mais je suis une encyclopédie dans ce milieu.
Dave Appadoo (chroniqueur depuis 2011) : J’avais de bonnes relations avec Gilles, j’étais curieux, car il avait une grosse expérience dans le foot. Il était très pointu sur les années 1980, il était très proche de Claude Bez. Il m’a raconté beaucoup d’anecdotes, je me nourrissais de ça. Mémé a constitué une vraie famille.
Carine Galli (chroniqueuse depuis 2016) : Un jour, j’ai pris mon téléphone, j’ai appelé Mémé pour lui dire que j’adorerais participer à l’émission. Au bout de cinq minutes, je fais un duel, et à la fin, il me dit que je fais partie de la bande. À l’époque, je couvrais la Ligue 2 sur le terrain, je voyais dans les yeux de vieux briscards de L’Équipe que ça avait de la valeur. Après, évidemment, certains m’ont fait des réflexions ou des attaques dans les débats uniquement liés au fait que je sois une fille, mais ces gens-là, je les emmerdais et ça ne m’a jamais bouleversée.
Marc Las : On doit avoir plus de femmes, c’est une évidence. Mais venir à L’Équipe du soir, c’est assumer des prises de position et ça peut être parfois compliqué avec toutes les répercussions sur les réseaux sociaux. J’ai eu des refus à cause de ça.
Olivier Ménard : C’est vrai que c’est un club très masculin. Il y a eu Carine Galli, Mélisande Gomez, Syanie Dalmat, Pia Clemens plus récemment. Aujourd’hui, on recherche beaucoup la parité. Moi, je m’en fiche ! Quel que soit le sexe ou l’origine de la personne, je m’en fous, mon seul critère c’est : viens là et passionne-nous !
LE CHOC DES MONDES
Olivier Ménard : Dans le casting, dès le départ, je voulais aussi mélanger à la fois des journalistes et des anciens sportifs. Pour ces gars-là, c’est aussi une manière de s’occuper. C’est quoi leur vie ? Ok, ils ont gagné de l’argent, mais ils vont le compter tous les matins ? Il faut bien qu’ils trouvent une occupation.
Ludovic Obraniak (chroniqueur depuis 2020) : C’est de la survie, au début. L’après-carrière, c’est ultra-violent et vraiment difficile. Il faut prendre le train très vite, sinon on ne pense plus à toi. Tu es à la maison et on t’oublie. Je voulais aussi rester visible, faire passer mes idées. Je sais que l’émission est très regardée, notamment par les présidents de clubs.
Dave Appadoo : Quand j’ai commencé, on nous mettait vite dans la gueule qu’on n’avait jamais joué au foot. Ça voulait souvent dire que la personne en face était à court d’arguments. C’est drôle avec le recul.
Ludovic Obraniak : Au début, je ne voulais pas discuter avec ceux qui n’avaient jamais joué, ça énervait beaucoup Sébastien Tarrago. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas que les anciens joueurs qui connaissaient le jeu, j’ai mis de l’eau dans mon vin. J’ai débattu avec des journalistes de très haut niveau. Bon, j’aime bien la chicane aussi. (Rires.) J’ai accusé Bertrand de sucer Deschamps, j’étais dans mon bon droit, mais c’est la force de Bertrand, il peut rendre fou.
Bertrand Latour : Il voulait que Deschamps saute à tout prix avec des arguments qui n’étaient pas bons. Que ce soit Deschamps ou Tartempion, je suis payé pareil à la fin du mois.
Didier Roustan (« président à vie ») : Avec les consultants, ça marche naturellement. Ils sont acceptés. Pour moi, le meilleur consultant télé, c’est Micoud.
Carine Galli : Je me suis déjà bien pris la tête avec Micoud, mais comme à peu près tout le monde !
Thierry Bretagne : Je me suis engueulé avec Micoud. Je lui ai dit : « Tu me fais chier, tu n’es que mépris. » Ça s’est très mal passé. Alors oui, je suis incapable de mettre un coup franc en lucarne, mais vas-y, écris un feuillet pépère et on en reparle. Vincent Duluc n’a jamais été un champion du dribble, c’est pourtant un formidable analyste du foot. Cette petite musique qui dit que seuls les sportifs peuvent parler de leur sport, c’est une plaisanterie. J’ai vu tellement de sportifs déblatérer des âneries sur leur propre sport que je suis en admiration devant ceux qui peuvent le raisonner. Ce qui est bien, c’est qu’Olivier ne laisse jamais un conflit interpersonnel pourrir. Il appelle les mecs, et ça se règle.
Olivier Ménard : Un jour, Erik Bielderman pose une question, je ne sais plus sur quel sujet. Le visage de mon Jojo commence à s’embrumer, il dit : « Pfff, c’est parce que tu n’as jamais joué au foot que tu peux penser ça. » Et il sort totalement de l’émission, il n’est plus dedans. Le lendemain, je le vois devant les locaux en train de fumer sa clope. Je vais le voir et je lui dis : « Johan, les journalistes, c’est tous des cons, hein ? » Je lui explique que ce qu’il a pensé hier, ça va revenir, ça va se reproduire. Mais ça ne doit pas se passer comme ça, tu es là pour nous prendre par la main. C’est aussi un peu lié à sa carrière, ce sont des petites crises chez lui quand il est un peu fatigué ou qu’il a fait trop d’émissions. Il avait aussi été très marqué par une information de L’Équipe pendant la Coupe du monde 2002 qui disait qu’il jouait toute la nuit aux cartes.
Marc Las : En arrivant, je trouvais que ça manquait un peu de têtes d’affiche pour faire grandir le programme. Des personnes identifiées, des gros noms. On a eu Olivier Rouyer, Jérôme Alonzo, Alain Giresse pendant une période, ce sont des gens que l’on reconnaît tout de suite dans la rue.
Olivier Ménard : Arnaud de Courcelles me propose un jour Raymond Domenech. Et là, je retrouve une enquête remontant à un an et demi sur les consultants qu’on aimerait voir rejoindre l’EDS. Le Raymond, il était en fond de grille ! Je n’ai aucun doute qu’il sache débattre, mais c’est juste son image, ce n’est pas possible. On laisse passer une semaine, et finalement je lui dis : « Ouais, pourquoi pas. » Il a fait des conneries, il nous a agacés, il nous a aussi donné du boulot… C’est juste du sport, quand même. Est-ce que la condamnation doit être à perpète ?
Raymond Domenech (chroniqueur depuis 2016) : Mémé m’a dit qu’ils ne me remercieraient jamais assez pour avoir eu quelque chose à raconter tous les soirs grâce à moi à l’époque. J’ai subi lourdement tout ce qui pouvait se dire, mais j’avais mieux à faire que de regarder l’EDS quand j’étais sélectionneur. Je sais tourner les pages. À un moment, j’étais la cible, puis je suis devenu la flèche. Je remercie L’Équipe de ne pas avoir craqué sous la pression populaire en me prenant. D’une manière prétentieuse, j’arrive en me disant qu’il y a peut-être une autre façon de parler de foot. Je veux aussi me poser comme le défenseur des entraîneurs. Je me suis mis dans cette posture.
Didier Roustan : Quand Domenech arrive, il n’y a pas de tension. En dehors du plateau, il est très simple, agréable. On peut discuter de tout et de rien avec lui.
Raymond Domenech : Il y en avait deux dans les médias avec lesquels je ne voulais pas débattre : Dominique Séverac et un autre sur RMC (Daniel Riolo, NDLR). Les autres, je n’ai pas eu le sentiment qu’ils étaient malhonnêtes. Parfois incompétents, mais c’est leur métier de parler. Tarrago n’a pas toujours été gentil avec moi, mais il défendait ses convictions et je l’accepte. On a le droit de débattre, de croire des choses. Mais quand on écrit quelque chose de faux en le sachant, c’est gênant. Je n’ai aucune raison de parler avec Dominique Séverac, je n’ai pas besoin de lui.
Marc Las : Ce sont vraiment les deux où c’est impossible, on le sait, c’est ancré. Il y en a d’autres, mais j’ai un accord pour ne pas le révéler. On fait aussi des choix. Par exemple, on évitait clairement Didier Roustan et Gilles Favard sur le même plateau, on savait que ça ne se passerait pas bien.
Olivier Ménard : Pour en revenir à Domenech, le traitement de son passage à Nantes a été biaisé dans l’EDS. Avant, on le dégommait, c’était notre sujet de conversation préféré. Puis, il devient chroniqueur, on le fréquente… Je ne suis pas l’ami de Raymond, il n’est pas mon ami, mais voilà il se passe quelque chose d’humain. Quand il arrive à Nantes, j’ai envie qu’il réussisse, en fait. Il se plante et la manière dont on traite ce moment dans l’émission, c’est biaisé, c’est de la merde.
Raymond Domenech : C’est une belle expérience qui montre la nature et le fonctionnement des médias. En étant copain avec eux, ils ont été beaucoup moins critiques. Certains entraîneurs sont plus ou moins égratignés en fonction de leur relation avec les uns et les autres. C’est un bon exemple, j’en ai profité. D’ailleurs, à mon retour à l’EDS, je voulais vraiment en parler, de ce passage nantais, et ça a duré deux minutes, ils n’ont pas trop insisté là-dessus. Je n’ai eu aucun mal à revenir immédiatement dans mon rôle de chroniqueur. S’il n’y avait que ceux qui gagnent qui avaient le droit de parler, il n’y aurait pas beaucoup de monde dans les émissions !
Olivier Ménard : J’ai appelé Paul Le Guen pour qu’il revienne. Il boude en ce moment, je pense qu’il a été affecté par son départ du Havre et de voir le club monter derrière, c’est ce qu’on s’est dit d’ailleurs. Je lui ai dit :« Tu penses : Qui suis-je, moi Paul Le Guen qui n’a pas réussi à faire monter Le Havre en Ligue 1, pour donner son opinion sur le jeu de Deschamps ? » Je commence à le connaître. Une personne comme Paul a marqué l’émission, c’est un redoutable débatteur, car il envisage des réponses qu’on n’imaginait pas. Il sait qu’il a son rond de serviette, s’il veut revenir, il revient. Et il y en a d’autres, comme Jérémy Clément, avec qui ça n’a pas collé.
Marc Las : Je n’ai pas trop envie de parler de Jérémy parce qu’on l’a invité, disons que sa personnalité ne s’exprimait pas bien dans l’EDS. Philippe Hinschberger, il y avait aussi une forme de discrétion, de la pudeur. Parfois, on fait aussi des ajustements : Djibril avait des avis courts et impactants, donc on l’a transféré dans L’Équipe de Greg, où il a un positionnement génial. Pierre Bouby, à son arrivée en 2016, il a du mal dans son argumentaire, sur une émission de deux heures, c’était compliqué. Il n’a pas lâché, il a bossé en écoutant les conseils. Aujourd’hui, c’est un des meilleurs, au point d’avoir sa propre émission. Ludovic Obraniak, je l’écoutais sur RMC le vendredi soir en sortant du travail, je me suis dit qu’il nous le fallait autour de la table et qu’il serait génial.
Ludovic Obraniak : Les choses se sont précipitées. Sur RMC, j’étais dans L’After du week-end, et avec le départ de Courbis à Caen, il était convenu que je passe à trois ou quatre piges plutôt que deux par semaine. Quelques mois plus tard, Courbis revient sur RMC et je vois sur le planning que je retrouve mes horaires d’avant. On m’a dit que si je n’étais pas content, c’était pareil, donc je me suis braqué et deux semaines plus tard j’étais chez L’Équipe.
GARDER LA LIGNE
Benoît Pensivy : Le côté omnisports, c’était un équilibre à trouver. L’Équipe a toujours été multisport, mais en même temps, le football vampirise 80% de ceux qui aiment le sport. Sauf quand il y a des grands évènements.
Thierry Bretagne : Un exemple d’émission très réussie, c’est le soir où ils ont demandé à Anouk Corge, la spécialiste voile, de commenter le sauvetage d’Escoffier par Le Cam. C’était une émission extraordinaire, car d’un seul coup, les journalistes se sont remis à poser des questions d’enfants et c’était passionnant. Ils avaient très peu de certitudes et pas mal de fraîcheur.
Olivier Ménard : C’était un grand moment. En les écoutant parler, tu te dis que c’est l’aventure ultime. Quand on parle de l’omni, ça marche moins bien. Pour un match comme France-Nouvelle-Zélande, on va faire tout un casting pour le débrief du soir. C’est un premier match de Coupe du monde, là ça va marcher. Le crash des Bleus au Mondial de basket, on l’a fait, il faut que ce soit au moment où c’est chaud dans l’actualité. Après, les gens s’en foutent, ce n’est pas tellement un feuilleton. Par exemple, un jour, les volleyeurs français sont champions d’Europe pour la première fois de leur histoire le dimanche et on a Laurent Tillie qui vient le vendredi suivant. Franchement, il est génial et on fait une super émission. Bon, après, les audiences…
Dave Appadoo : Si on se met à parler des sports plus confidentiels, on va faire 5000 téléspectateurs. On peut chercher le succès d’estime, mais je pense que si les gens sont honnêtes, leurs débats en soirée ne tournent pas autour de Dijon ou de Sochaux.
Olivier Ménard : Le PSG, c’est le soleil dans le système solaire de l’EDS. Et après, on trouve l’équipe de France et Marseille. Je pense que notre ligne éditoriale, c’est : les stars, le Paris Saint-Germain, Mbappé, Neymar, Messi. Je peux comprendre que des gens qui supportent Nantes soient déçus, mais il y a un peu ce rapport animal aux gros clubs. En regardant les audiences, j’ai remarqué que le fan de l’OM regardait l’émission quand son club gagnait. S’il y a une grosse désillusion ou une défaite, il va éteindre sa télé. Le supporter de Paris doit être un peu plus maso et surtout, quand le PSG perd, beaucoup de gens sont contents.
Marc Las : « Vous ne parlez que de Paris, Lyon, Marseille », on me le dit souvent. Mais dès qu’on parle d’autre chose, vous partez ! Quand on ne parle pas du PSG ou de Marseille, on voit une chute d’audience. On essaie de corriger tout ça, mais encore une fois, on est une émission grand public. Malheureusement, ce grand public ne connaît pas par cœur le onze du Stade rennais (il est lancé sur Rennes, NDLR). Je ne suis pas sûr que Benjamin Bourigeaud soit arrêté par tout le monde s’il descend les Champs-Élysées.
JONGLER AVEC LES ÉMOTIONS
Dave Appadoo : Étonnement, les grands moments ne sont pas les soirs de victoires. Je ne sais pas trop pourquoi. Pourtant, j’étais sur le plateau pour la finale de la Coupe du monde 2018.
Marc Las : On n’était pas bon quand on était dans la joie positive. Pourquoi ? C’est une émission qui s’est construite dans le négatif avec l’Euro 2008, la Coupe du monde 2010, l’Euro 2012… Je pense au France-Argentine en huitièmes de finale : les gens sortent d’un match de légende, ils ont envie d’être accompagnés dans cette émotion. Nous, on l’a seulement traité par le prisme sportif. Quand tu gagnes une finale de Coupe du monde, tu n’es plus dans le sport, c’est du sociétal, de l’émotion, on s’en fout de savoir si l’équipe de France a bien joué ou non. Et ça, on l’a loupé en 2018.
Olivier Ménard : Une émission post-finale de Coupe du monde ne me dérange pas, je peux contrôler mes émotions. Je me souviens de la défaite contre la Suisse à l’Euro, je voyais des assistants tristes, et l’un d’eux me dit : « Mais attends, tu ne vibres pas ? » Je ne peux pas, je travaille ! Il ne faut pas venir si on ne peut pas rester lucide. Évidemment, quand il y a des renversements comme lors de la dernière finale France-Argentine, je vais me lever de ma chaise, mais derrière tu as un truc à préparer quand même. Je ne peux pas baisser la garde.
Marc Las : Le soir de la finale de la Ligue des champions Bayern-PSG, on avait deux équipes prêtes, une avec Olivier et une autre avec Messaoud. Si Paris gagnait, c’était Messaoud qui prenait l’antenne, il est très fort pour accompagner dans ce genre de moment. Ils ont perdu et c’est donc Mémé qui est parti en premier. Après les défaites, il faut essayer de comprendre pourquoi, et Mémé, c’est le meilleur en France pour ça.
Messaoud Benterki (présentateur depuis 2016) : J’essaie vachement de me mettre à la place des autres. Il ne faut pas passer à côté de l’émotion : les gens ont souffert, il ne faut pas les faire retomber dans une analyse froide et factuelle.
Marc Las : Notre chantier du moment, il est mené par Giovanni Castaldi. On trouve encore qu’on manque d’émotion, donc on veut caster des supporters pour chaque club pour qu’ils puissent intervenir régulièrement. Un Parisien, un Marseillais, un Sochalien, quelqu’un qui va devenir récurrent quand on parlera de son club. Dans L’After, quand ils ont eu ce supporter sochalien cet été, c’était un moment extraordinaire.
Dave Appadoo : Une émission qui m’a marquée, aussi, c’est celle de la mort de Maradona. J’ai rarement été aussi ému, c’était mon joueur préféré. Je me retenais, je ne voulais pas trop être comme une madeleine, c’était un peu compliqué.
LE BUZZ ET L’ARGENT DU BUZZ
Marc Las : La force de L’Équipe du soir, c’est d’accompagner les gens devant leur télévision dans leurs sentiments. On ne va pas faire croire que tout le monde s’entend bien, ce n’est pas les Bisounours, mais des gens qui s’entendent bien ensemble, on sait que ça va faire une super émission. Le buzz, ça ne nous intéresse pas vraiment. Moins on fait le buzz, plus on est heureux.
Olivier Ménard : La sortie de Gilles sur Cristiano Ronaldo qui parle à l’oreille de Laurent Blanc en 2015, c’est du Gilles. Il vient comme ça, il allume un truc…
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Gilles Favard : Je vais vous raconter la vraie histoire. Le jour même, je déjeune à la Rotonde à la table de Jean-Louis Borloo, Michel Coencas, Bernard Tapie, il y a même Pinault qui arrive pour le dessert. Comme d’habitude, Tapie ne veut pas payer la note. Il ne voulait jamais payer. Il me dit : « Si tu prononces le nom de Christophe Blumenzak à l’antenne, c’est moi qui paye. » Blumenzak, c’est le bras droit de Coencas (ex-président de Valenciennes, NDLR) et c’est le directeur financier de Jorge Mendes. Le soir, je regarde les sujets, je me demande comment je vais coller le nom. Toute l’émission, je suis dessus. Et voilà le sujet sur ce qu’a bien pu dire Cristiano Ronaldo à Laurent Blanc. Excusez-moi pour cette expression, mais il ne lui a pas dit d’aller se faire enculer, il lui a dit un mot gentil. Donc là je rigole, Olivier sait qu’il faut me lancer. J’explique que j’ai déjeuné à midi avec Christophe Blumenzak et que Cristiano Ronaldo aimerait bien travailler avec Blanc. C’est exactement la vérité. Ça vient d’un pari avec Tapie, c’est tout. Je n’ai jamais trop voulu la raconter pour ne pas laisser dire qu’on balance des conneries, pourtant on en raconte. Pendant le mercato, on faisait des paris, tout le monde le fait.
Olivier Ménard : Je n’étais même pas au courant, j’apprends des choses. Il en est tout à fait capable. Les paris, c’est plus sur des mots à caler. Les dérapages, je les oublie, je suis drôlement foutu intellectuellement. Par exemple, celui de Gilles Favard sur les frites (un tacle aux Belges après l’élimination des Belges à la Coupe du monde 2018, NDLR), je ne l’ai même pas entendu. Évidemment, ce n’était pas d’un très grand niveau, c’est un peu la boîte à clichetons.
Gilles Favard : Je vous pose une question : est-ce que c’est raciste de dire que les Belges vont rentrer chez eux manger des frites ? Ce sont des expressions de footeux, on dit bien parfois que ce sont des peintres ou des tringles à rideaux.
Marc Las : Gilles, c’est difficile parce qu’avant chaque émission, ça pouvait être une crème. Puis, à l’antenne, on avait beau le prévenir ou l’alerter, il pouvait parfois disjoncter. Ça, c’est dur à gérer. La confiance envers Gilles s’était un peu effritée. Il avait tout pour être un super chroniqueur, c’est pour ça qu’il est resté aussi longtemps. Ce qui a commencé à me gêner, c’est que ses débordements commençaient à être plus réguliers.
Gilles Favard : Le costume est un peu trop grand pour Marc, il se prend pour quelqu’un d’autre. Éric Blanc, il est contrôlable ? Didier Roustan, il est contrôlable ? On se fout de la gueule du monde.
Marc Las : Éric n’est pas sur les réseaux, il n’a pas ce problème. Didier a aussi un côté ingérable, mais c’est ce qui fait son charme et quand on a eu un problème en interne avec lui, il a été sanctionné, et on est passé à autre chose. Ce n’était pas une cabale contre Gilles.
Olivier Ménard : Je n’ai pas maîtrisé ses suspensions. Je ne voyais pas pourquoi il devait être suspendu après l’histoire des frites. Aujourd’hui, il n’est plus là à cause d’un tweet dans lequel il remettait en cause une information d’un journaliste de L’Équipe. Et comme il était dans le viseur de l’ancien patron Jérôme Cazadieu, ça a été la goutte d’eau. Je lui avais déjà sauvé les fesses dans le bureau de Cyril Linette et d’Arnaud de Courcelles. Je lui avais aussi conseillé d’arrêter de tweeter, on me disait qu’il insultait parfois les gens.
Marc Las : Le tweet, c’est le débordement de trop où il attaque publiquement un journaliste du groupe pour lequel il travaille. C’est une erreur énorme et c’était le cinquième ou le sixième débordement. J’assume que je faisais partie de ceux qui souhaitaient son départ, je ne voulais plus travailler avec lui. Humainement, je n’ai jamais eu aucun problème avec Gilles.
Gilles Favard : C’est une émission de contradictions, mais l’institution ne l’accepte pas. On attendait que je fasse une erreur, le tweet a été un prétexte. J’ai une profonde affection pour Olivier, je sais qu’il m’a toujours défendu. Oui, ça m’arrivait d’écrire « abruti » ou « enculé » sur Twitter. On me dit que c’est grave, je sais ce qui est grave, croyez-moi.
Éric Blanc : J’avais aussi été suspendu un mois quand j’avais quitté le plateau après le débat avec Latour.
Bertrand Latour : Je n’avais pas du tout compris pourquoi Éric était parti.
Éric Blanc : J’étais un peu énervé parce qu’on critiquait le Barça, ça me fatiguait d’entendre toujours les mêmes remarques. Quand j’ai quitté le plateau, ça n’a pas donné suite à un problème entre lui et moi, on s’est envoyé un texto et tout est rentré dans l’ordre. J’ai un côté un peu impulsif vis-à-vis du sport.
Marc Las : On a décidé de le sanctionner pour montrer qu’il y avait un cadre et que les chroniqueurs ne pouvaient pas faire ce qu’ils voulaient. Ils sont maîtres de ce qu’ils peuvent dire, tant que ce n’est ni raciste, ni sexiste, ni homophobe ou tout autre dérapage. Le jour de l’histoire sur Marquinhos, je pars un peu plus tôt pour des raisons personnelles et je ne vois pas la séquence en direct.
Olivier Ménard : C’est le dernier thème de l’émission, la question ne porte même pas sur l’accouchement de la femme de Marquinhos. Je me fais couper par Guy Roux et je le connais, pour lui ce n’est pas possible qu’un joueur loupe un match pour assister à l’accouchement. Je ne suis pas surpris, ça rigole un peu et on passe à autre chose.
Bertrand Latour : Je sens tout de suite que ça peut devenir un bad buzz, mais je suis embarqué dans ce discours lunaire qui me fait marrer. C’est plus fort que moi, je veux remettre une pièce. Ça avait dépassé le cadre de l’émission, c’était le plus dur à gérer. Après, si je n’avais pas voulu de bad buzz, je serais resté à Albertville et j’aurais fait autre chose sans avoir de soucis sur Twitter. Rien ne me dit que ça n’arrivera pas à nouveau. C’est le danger du direct et de l’époque qui veut qu’on s’indigne de tout et que les dossiers s’embrasent aussi vite qu’ils ne redescendent.
Gilles Favard : On est de la vieille école. J’ai 71 ans, Guy Roux en a 85. Je savais tellement ce qu’il allait dire. Dans son intellect, c’est inconcevable. Les mœurs ont changé, je le comprends, il n’y a aucun souci.
Marc Las : Quand je vois la séquence, elle m’attriste. On n’est pas dans l’air du temps. On en a parlé avec Mémé qui aurait dû maîtriser, pareil avec le chef d’édition. Ils doivent avoir ce recul. On en a parlé individuellement avec chaque chroniqueur pour faire en sorte que ça n’arrive plus. C’était beauf, c’était graveleux, mais il n’y a pas eu de mise à pied.
SUCCÈS (ET) CRITIQUE
Dave Appadoo : On ne peut pas entendre que des compliments, il faut aussi des critiques. Je respecte tout à fait qu’on ne fasse pas l’unanimité. Parfois, on nous dit aussi : « Votre émission est super, je ne me couche jamais sans la regarder. »
Olivier Ménard : On peut penser que L’Équipe du soir est un PMU, il n’y a pas de problème. Mais je ne suis pas d’accord. Autour de la table, on a des anciens sportifs, des gens informés aussi. Quand on fait un débat autour de Blanc-Gasset, Bernard Lions les connaît très bien, il suivait Bordeaux à l’époque. Je pose des questions binaires pour avoir quelque chose, mais c’est la réponse qu’il faut écouter.
Didier Roustan : Il faut du rythme dans une émission, passer d’un sujet à un autre, donc on peut penser qu’on les survole. Ça peut donner cette impression de café des sports.
Benoît Pensivy : Ce sont des considérations très parisiennes. Je viens d’un petit village du Périgord, je ne vois pas le bar PMU avec dénigrement. Le côté populaire, c’est un souhait, mais on peut être à la fois populaire et intelligent.
Ludovic Obraniak : Je ne savais pas qu’on était tous des scientifiques du football. On vient tous du café du commerce, on est tous à même de parler, il faut entendre tout le monde. Je ne prétends pas avoir la science infuse.
Raymond Domenech : Je prends du plaisir à faire cette émission, elle est vivante. PMU, c’est péjoratif, mais oui, ce sont des discussions qu’on peut avoir avec des copains au bar. Donner son avis, se tromper, avoir une vision, c’est le foot. La tenue de nos discussions vaut largement les intellos d’autres émissions.
Bertrand Latour : Si les personnes qui sont au bar, c’est Micoud, Duluc, Lions, Galli, je veux bien y aller.
Éric Blanc : C’est un ton parfois trivial, convivial, on y trouve quand même des personnes qui ont une expérience de 30 ans, de la répartie, donc la réduire au PMU ou aux saucisses… Je peux l’entendre, mais si vous avez une télécommande, vous pouvez changer.
Dave Appadoo : Quand on avait eu Samir Nasri, il me disait qu’il regardait l’EDS quand il était à Manchester City. Avant d’être au PSG, Christophe Galtier m’avait écrit plusieurs fois pendant les émissions.
Bertrand Latour : Une fois, je vais poser une question à Galtier en conférence de presse à Lille et il commence à rigoler. Il me dit : « Tu as dit un truc hier à la télé, ça m’a fait rire. » C’était drôle. Les footeux peuvent voir des extraits, avec leurs agents. Ce que tu dis à l’antenne, il faut être capable de l’assumer face au mec que tu vas croiser dans un ou deux mois. Ça te protège de pas mal de saucisses gratuites, pour faire un bon mot. J’avais croisé Matuidi qui me dit en rigolant : « Ah toi, tu es le mec qui me taille. » Je ne suis pas son premier fan, on en a discuté, ça s’est très bien passé.
Didier Roustan : Je sais qu’une fois, Aulas s’est plaint auprès des supérieurs, c’est tout.
Gilles Favard : Le frère d’Aouar m’a appelé un jour. J’avais dit que pour être un bon joueur de foot, il faut courir, je le pense. C’était un peu chaud avec Guendouzi aussi. J’avais dit que sans ses cheveux, ce serait un joueur lambda. Un jour, on s’est retrouvé dans un café, Bertrand le connaît bien. On a eu une bonne discussion, on est potes maintenant. C’est un mec gentil. Un jour, il m’a dit : « Tu as vu, je ne discute pas avec les arbitres. » C’est anecdotique, mais c’est sympa.
Benoît Maylin : Gasquet ne veut plus me parler, on s’est déjà expliqué avec Tsonga, Paire a voulu me frapper… Mais Gasquet m’a sauvé. Des amis de Federer lui avaient montré mes vidéos, et il m’avait gentiment demandé d’arrêter de me moquer de sa femme Mirka. J’étais entre le journalisme et la caricature, un peu sur une corde raide. Un jour où il est invité dans les bâtiments, Sarkozy vient me déranger pendant que je prépare ma chronique. Il vient me dire qu’il me regarde tous les soirs avec Carla et que je les fais beaucoup rire. Incroyable !
Carine Galli : C’est l’émission dont on me parle tous les jours. Elle marque les gens. La semaine dernière, j’ai rencontré Gérard Darmon, et il me dit : « Olalala, qu’est-ce que je suis heureux de vous rencontrer Carine Galli, je vous regarde tous les soirs. Mémé il est exceptionnel, j’adore Vincent Duluc, “Apatou” me fatigue un peu… » Il m’a fait 30 minutes sur l’EDS, alors qu’il ne m’aurait jamais parlé s’il ne m’avait pas vue dans l’émission.
Dave Appadoo : Les gens te tutoient très vite dans la rue, ils peuvent te parler directement d’un sujet sans te dire bonjour parce qu’ils ont l’impression de te connaître. Tu es tous les soirs dans leur salon, c’est assez touchant.
Ludovic Obraniak : J’ai l’impression de connaître une plus grande notoriété aujourd’hui que pendant ma carrière. On me reconnaît beaucoup plus dans la rue. Je ne peux pas passer une heure dans Paris sans qu’on m’en parle.
Éric Blanc : Je suis réapparu dans le foyer des gens grâce ou à cause de la télé. Quand je vais en Corse, j’ai de bonnes tables. Voilà, tu fais des selfies. Enfin, je ne suis pas Redford ou Steve McQueen, mais ça peut faciliter des choses ! Ma vie ne s’est pas transformée. On m’appelle toujours Rico. Il faut être sérieux, j’ai 64 ans, je vais bientôt rentrer dans l’anonymat, mais le sport m’a toujours accompagné.
QUINZE ANS, ET APRÈS
Benoît Pensivy : Le succès de l’émission est très lié à Olivier, mais personne n’est irremplaçable. Il le sait lui-même. C’est un concept qui a besoin d’incarnation. Olivier a longtemps eu un salaire très bas, il sait ce qu’il a, il est mature. Il mériterait une émission d’entretiens, pas seulement sur le sport, il en est capable.
Olivier Ménard : J’avais été contacté par RMC et Laurent Salvaudon pour présenter les soirées Ligue des champions. J’ai été tenté, mais il y avait aussi cette incertitude autour des droits TV et je sentais mon attachement au programme que j’avais lancé. Je suis resté par affect et par prudence. Aujourd’hui, j’aimerais bien faire des tables rondes ou des masterclass, des trucs comme ça. J’en ai parlé au patron pour les JO 2024, mais je ne sais pas si ça va accoucher de quelque chose. (Rires.)
Carine Galli : Ça n’a pas la même couleur quand ce n’est pas Mémé à la présentation, c’est son émission.
Dave Appadoo : J’ai rarement vu dans des émissions de débat une telle capacité à creuser une question. C’est aussi quelqu’un de profondément gentil, il est le même à l’antenne et en dehors.
Olivier Ménard : Ma fille dit que j’ai le boulard !
Ludovic Obraniak : Olivier, c’est une Rolls. Tu ouvres les portières et tu n’as qu’à te laisser guider dans l’émission. C’est le maître du temps, des horloges, il sait parfaitement quand te lancer.
Bertrand Latour : En commençant la présentation (en tant joker, NDLR), j’ai voulu me mettre dans les souliers de Mémé et lui ressembler le plus possible. Mais ça ne sert à rien de courir après Ménard, il l’a inventée, il la fait depuis quinze ans.
Olivier Ménard : Au début, je ne regardais pas quand je ne la présentais pas. J’avais dû dire dans une interview que c’était comme voir quelqu’un en train de coucher avec sa femme. Maintenant, ça va mieux. Je peux laisser mon bébé en garde partagée. (Rires.)
Éric Blanc : Olivier, c’est le Michel Drucker de l’émission. Sauf qu’il a 50 ans. Il est encore jeune, il a du temps devant lui. Il a aussi su fédérer très tôt, il est très rassembleur, c’est lui qui a créé cette habitude d’aller prendre un verre après l’émission.
Carine Galli : J’ai fait L’After pendant des années, je ne suis jamais allée boire des coups après une émission. Il a envie que la soirée se prolonge avec tout le monde, son chef d’édition, ses assistants, etc. Tout le monde ne joue pas le jeu, je suis la première à ne plus trop y aller, ce n’est pas bien.
Olivier Ménard : Ma femme est contente de ne pas m’avoir le soir, je suis un sorteur. J’ai réussi à organiser ma vie professionnelle en étant payé en sortant tous les soirs, c’est magnifique.
Benoît Maylin : Un soir, je rentre en ayant un peu bu et je me fais contrôler par les flics sur le périph. Ils me reconnaissent ! On a fait une photo et je suis reparti. Comme quoi, le succès de l’émission m’a bien sauvé.
Benoît Pensivy : Il faut avoir de la modestie, c’est bien que l’émission soit encore là quinze ans après, mais on n’a pas inventé un vaccin non plus. C’est comme un bon resto, ça naît dans un coin et ça marche par bouche à oreille. Ça a été très lent, le passage à la TNT en 2012 a aidé au succès, ça a pris son envol. Je suis hyper content que des gens s’approprient l’émission et la développent pour en faire un truc chouette. C’est devenu presque un copain, un petit rendez-vous refuge le soir quand on n’est pas bien et qu’on a envie de parler de sport.
Thierry Bretagne : Ma dernière émission, c’est la finale de l’Euro (2016). Le nouveau patron, Linette, voulait changer de formule. Ils ont pris ce prétexte pour virer des vieux. Ça ne m’a pas tellement emmerdé, je commençais à me faire chier dans l’EDS. Je la trouve un peu trop répétitive, je le dis à chaque fois à Olivier : tu es un peu consanguin. Mais je le dis gentiment. Je trouve les jeunes aussi bons et convaincants que les anciens : Latour, Castaldi, ce sont des bons mômes avec de la personnalité. Mais les duels binaires de 30 secondes… Ça me lasse, personnellement. Comme spectateur et comme acteur, j’en avais plein le cul, je trouve que ça devient un tic et même un toc. Mais je l’aime, j’y suis attaché, elle a plein de défauts, elle a aussi pas mal de qualité. Aujourd’hui, je m’endors en écoutant L’After et je me réveille en regardant L’Équipe du soir.
Marc Las : On pourrait se comparer à des talks politiques, sauf que lorsque vous parlez de politique, vous parlez de la vie des gens, de leur quotidien. Notre chance, c’est que notre matière est légère. On ne joue pas avec la vie des gens, donc on peut se permettre des codes un peu légers comme le super duel, le carton rouge, un jingle de chèvre.
Gilles Favard : Tant qu’il y a Roustan, Duluc, Schneider, qui est un homme foncièrement honnête, il n’y aura pas de problème. Les nouveaux apportent moins, je trouve. Et maintenant l’émission va se terminer à 1h00… C’est n’importe quoi.
Éric Blanc : Pour moi, la ligne d’arrivée n’est pas très loin, ce n’est pas très important ce qui va m’arriver. L’histoire va s’arrêter un jour, je passerai à autre chose J’ai une chance unique, c’est qu’on me donne la parole. Si une nouvelle direction arrive, ils voudront peut-être dépoussiérer, rebooster… Ça peut arriver pour moi demain, je ne sais rien. Aujourd’hui, j’ai toujours le feu en moi. Ce n’est pas mon gagne-pain, donc je m’en fous.
Olivier Ménard : Toutes les choses que j’avais envie de vivre à la télé, je les ai vécues. J’ai côtoyé des gens passionnants qui m’ont construit intellectuellement. Un jour, ça va s’arrêter, c’est normal parce que tout s’arrête. Je serai triste, mais quelle chance j’aurai eue !
Propos recueillis par Clément Gavard, avec Amaury Launey // Photos : L'Equipe