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Strasbourg, l’amour toujours
Parmi les dix plus grosses villes de France une seule n'a pas une équipe évoluant en Ligue 1 : Strasbourg. Les champions de France 1979 sont aujourd'hui en National où ils occupent la septième place. Pourtant, 10 000 spectateurs en moyenne se rendent tous les quinze jours au stade de la Meinau. Enquête dans une ville où le football ne se vit pas comme ailleurs.
Nous sommes le 27 août 2011. Le Racing club de Strasbourg vient d’être relégué administrativement en CFA2. Le coup d’envoi de la première journée entre Forbach (en Moselle) et Strasbourg s’apprête à être donné, quand soudain… « On a entendu un grand bruit, on a tous été surpris, et puis on a vu plus de 300 supporters débarquer. C’était incroyable » , explique Guy Freigenbruzel, l’intendant du club depuis quatre ans. « Ça a fait flipper les joueurs. Ce jour-là, Strasbourg l’emporte 4-0. Ça a créé quelque chose, tous les supporters me parlent encore de ce match » , détaille Barbara Schuster, qui suit le Racing club de Strasbourg pour les Dernières Nouvelles d’Alsace (le quotidien local) depuis dix ans.
« Ici, les gens viennent au stade dès leur plus jeûne âge et ils continuent d’y aller toute leur vie, quels que soient les résultats de l’équipe » , précise la journaliste. Un amour de jeunesse qui se révèle en fait, petit à petit, l’amour d’une vie, comme le raconte Olivier Kost, responsable des UB 90, le principal groupe de supporter du Racing. « Dans ta vie, tu peux avoir plusieurs femmes, mais tu n’auras toujours qu’un seul club de foot. La passion d’un club, ça fait partie des choses qui se transmettent de père en fils. J’ai suivi le mien au stade la Meinau dès mon plus jeune âge comme l’on fait mes frères et sœurs. » Pas besoin pourtant d’être affilié à un groupe de supporters pour venir voir évoluer le Racing, même par les temps les plus douloureux, comme le prouve Katia Pfrimmer, 43 ans, qui vient au stade à chaque match. « Mon père m’a emmenée pour la première fois à la Meinau à la fin des années 70 avec mon frère. J’avais dix ans. J’ai connu le titre en 79. Gilbert Gress, Alsacien de naissance qui donne le titre à Strasbourg, c’était merveilleux. Quand t’as connu ça, tu ne peux plus te passer d’aller au stade. »
Histoire et identité régionale
Un Alsacien qui donne le titre de champion de France à la capitale régionale, voilà ce qui fut sans doute un des grands moments de l’histoire alsacienne. Car au-delà de la ville de Strasbourg, le Racing est un élément fort de l’identité régionale. C’est ce que pense Marc Keller, ancien attaquant strasbourgeois aujourd’hui président du club : « Le Racing fait partie de l’ADN de tous les Alsaciens. Il y a un rapport fusionnel entre l’ensemble de l’Alsace et le club. » Un argument repris par Barbara Schuster pour expliquer l’engouement actuel du public du stade de la Meinau malgré la période difficile : « Le Racing représente l’ensemble des villages d’Alsace. J’ai déjà signé des autographes au fin fond du Nord de la région car je couvrais l’actualité du club. » Elle est persuadée que, par l’équipe de foot, les Alsaciens souhaitent prendre une revanche sur le reste de la France. « Les habitants de la région ont un peu le sentiment d’être délaissés par rapport au reste du territoire. On est la dernière région à avoir eu le TGV. Nous sommes une région très riche, et les gens ont toujours eu le sentiment de payer pour les autres. On est à dix minutes de l’Allemagne et beaucoup d’Allemands pensent que l’Alsace, c’est chez eux. Les Alsaciens se sentent donc un peu à part, et pour eux le Racing est une fierté. C’est un élément à part entière de l’alsacianisme. »
Une forte identité régionale que la période où l’Alsace était encore allemande a sans doute contribué à construire. Mais il n’y a pas que les monuments de la ville qui ont gardé cette emprunte. Le club de foot et ses supporters ont conservé un peu de culture du pays de Goethe. « Il n’y a que le Rhin qui nous sépare de l’Allemagne. Notre région a longtemps était allemande, et beaucoup de personnes qui viennent au stade ont du sang allemand dans les veines. Ça explique un peu l’attitude des supporters. En Allemagne, vous avez des équipes en D3 et même parfois D4, qui ont plus de 10 000 supporters à tous les matchs. On reste fidèle à son club quoi qu’il arrive, c’est ce qui se passe à Strasbourg » , explique Jean-Marie Blum, président du club central des supporters « Allez Racing » . Une comparaison également faite par le président Keller, mais pour des raisons différentes : « Le Racing me fait vraiment penser à un club allemand. Plusieurs centaines de personnes viennent régulièrement deux, trois heures avant les matchs pour manger une merguez-frites et écouter de la musique. De plus, on trouve dans les tribunes pas mal de personnes qui viennent assister au match en famille de façon très pacifique. »
950 places vendues en 45 minutes
Des supporters fortement marqués par l’histoire alsacienne, mais pas seulement. Les grands moments vécus par un club fondé il y a 108 ans expliquent aussi le soutien indéfectible des Alsaciens. « Ce qui est fabuleux quand on est supporter du Racing à l’heure actuelle, c’est qu’on est dans l’attente du rêve. On espère revivre tous les grands moments que ce club nous a offerts » , raconte Didier Schuster, grand fan de Strasbourg âgé de 50 ans, qui continue de venir à la Meinau « au minimum un match sur deux » . Il explique que ce ne sont pas seulement les victoires ou les soirs de titre qui ont contribué à l’attachement des supporters pour l’équipe. « Un de mes plus grands souvenirs, c’est un quart de finale de Ligue des champions en 79 où l’on se déplace à Amsterdam. Au final, on perd 4-0, mais tous les supporters de ma génération s’en souviennent. On s’est fait caillasser notre bus lors de l’entrée dans la ville. L’ambiance autour du match était très pesante. Ce genre de moments-là contribue aussi à créer un lien éternel entre le supporter et son club. »
Mais de l’avis de tous, un homme est particulièrement responsable de l’affluence dans les tribunes, c’est Marc Keller, le président. « C’est aussi grâce à lui qu’il y a cet engouement incroyable. Sur le plan humain, il est très pragmatique. Il a repris le club en CFA 2 et on sait très bien qu’il ne va pas nous lâcher » , précise Jean-Marie Blum. « C’est une personne qui aime la Racing. De plus, il a fait revenir Duguépéroux qui est un historique, on a une grande confiance en eux, et c’est clair que ça nous donne encore plus envie de soutenir le club » , précise Olivier Kost. Car les supporters ont été profondément marqués par la période d’instabilité qui a touché le Racing. Entre 2006 et 2011, huit présidents se sont succédé, avec à la clé une liquidation judiciaire. « Les collectivités locales m’ont demandé de reprendre le club en 48 heures. Mon objectif, c’était que le club de foot redevienne un club de foot. Avant, on parlait plus du Racing pour ce qui se passait en dehors du terrain. À partir du moment où la gouvernance est stable, les gens arrivent à le comprendre, et de ce fait, ils viennent plus facilement au stade » , explique Marc Keller. Et l’affluence à la Meinau lui donne raison. 10 000 supporters en moyenne depuis le début de la saison, 950 places vendues en 45 minutes pour le déplacement à Colmar en septembre dernier. 22 caisses disposées à l’entrée du stade pour faire face à l’afflux de supporters, le tout informatisé comme au temps où le Racing était en Ligue 1.
« Comme des pères de famille »
La fidélité des supporters est donc assurée, mais cela n’exclut pourtant pas de grands mouvements de contestation au cours de la saison. L’an dernier par exemple, le public a été particulièrement virulent à l’encontre des joueurs qui ont bien failli descendre en CFA2. Ils n’ont accroché leur maintien en National qu’à la faveur d’une décision administrative favorable. « Les résultats n’ont vraiment pas été bons. C’est la première fois de son histoire que le Racing méritait de descendre en quatrième division à cause de ses prestations sur le terrain. De ce fait, on a affiché des banderoles pour les bouger » , explique Olivier Kost. « On est tellement amoureux qu’on est très exigeants, on ne laisse rien passer, parfois ça peut aller très loin » , précise Katia Pfrimmer. Comme lors du dernier match de la saison dernière où certains supporters ont sorti une banderole où était inscrit : « Vous irez tous brûler en enfer » . Un contexte qui ne perturbe pas les joueurs, au contraire, comme l’explique Milovan Sikimić, défenseur central de l’équipe alsacienne. « Pour certains joueurs qui ont joué dans des clubs moins huppés, ça peut être un peu compliqué. Mais d’une manière générale, ça nous aide à nous surpasser. Même quand les résultats ne sont pas à la hauteur, ça ne dépasse jamais les limites. J’ai joué en Serbie et je peux vous dire que les mouvements de contestation sont bien pires. » « On est comme des pères de famille, on les corrige, on les engueule, mais sans aucune violence, et quoi qu’il arrive, on sera toujours avec eux » , raconte Jean-Marie Blum.
Pourtant, au vu de la situation actuelle, la population alsacienne pourrait se tourner vers d’autres sports. La SIG (le club de basket) coaché par Vincent Collet (l’entraîneur de l’équipe de France) est vice-championne de France et dispute chaque année la Coupe d’Europe. « Mais les gens n’en ont pas grand-chose à faire, sérieusement » , explique Barbara Schuster. Elle le constate dans son travail quotidien. « Aujourd’hui, tu fais un papier sur la SIG pour le web, tu ne vas pas avoir plus de 300 vues. Pour le Racing, ça monte à 12 000 très rapidement. Les études de marché de notre journal nous montrent que sur 150 000 tirages quotidiens, 20 000 sont vendus uniquement pour le Racing. » Il n’y a décidément pas qu’en matière religieuse que l’Alsace est une exception française.
Charles Thiallier