- Ligue 2
- J36
- Lens-Strasbourg
Strasbourg is back !
Neuf ans après avoir quitté la Ligue 1, le Racing Club de Strasbourg, tombé en CFA2 il y a cinq ans, est sur le point de la retrouver. Une victoire ce lundi soir à Lens rapprocherait considérablement les Alsaciens de l'élite. Une chouette nouvelle pour le football français.
La L2 ne constitue pas seulement, malgré son naming dégueulasse, le dernier refuge des vrais romantiques du ballon rond. C’est devenu également un musée vivant de notre patrimoine footballistique (Sochaux, Lens, Valenciennes, Red Star, Le Havre…), un de ces lieux de mémoire qui pose les fondations sur lesquels se construit l’imaginaire national d’un pays. Il arrive parfois que de ces limbes élégiaques, du purgatoire des matchs du lundi ou vendredi soir, revienne parmi les « vivants » de la Ligue 1 un inattendu fantôme. C’est le cas du Racing Club de Strasbourg, une renaissance inespérée pour un club qu’on croyait condamné et une ville qui respire le foot sans que personne ne s’en rende compte… Surtout, une extraordinaire bonne nouvelle pour un foot français qui a autant besoin de leçon d’histoire-géo que de cours d’économie.
Plus de 15 000 spectateurs en moyenne en National
Le Racing, c’est d’abord la Meinau. Le stade est le cœur du club. S’il avait cessé de battre, il serait mort. En National, la moyenne des affluences dépassait les 15 000 sans problème et le derby contre Colmar finissait par concerner 26 000 spectateurs. En Ligue 2, le seuil a continué de grimper légèrement pour atteindre une moyenne de 16 000 âmes par match (seul Lens fait mieux). Un profil en matière de popularité qui sent déjà bon l’élite et n’a rien à envier aux autres futures cartes clients de chez Conforama. Cette fidélité s’est gravée sur la durée, elle se fond dans les vieilles romances de la cité du général Kléber et de M. Pokora, aussi sûrement que le Rhin continue de drainer la construction européenne de son sillage millénaire. Cet attachement lui procure ce statut assez rare dans notre football hexagonal d’institution. Elle conforte aussi l’idée qu’il demeure possible d’écrire une autre relation entre une ville et son club qu’en construisant des projets économiques, en appelant les investisseurs étrangers à la rescousse ou en révisant son marketing territorial. Si nous verrons sûrement l’an prochain les Bleu et Blanc d’Alsace revenir dans l’élite contre le PSG ou l’OM, c’est d’abord et avant tout parce que Strasbourg et les Strasbourgeois l’ont voulue. Parce que les gradins ne vibrent pas que dans le kop. Le Racing est une bonne nouvelle pour le foot français parce qu’il prouve que le foot nous appartient encore (un peu).
Descente aux enfers en CFA2
La logique pure du capitalisme sportif aurait en effet déjà enterré dix fois ce bon vieux Racing. Car on ne se mentira pas, ni les bilans comptables ni la DNCG n’ont grande estime pour les livres d’or. Le parcours du RCSA, de ses premiers pas dans le championnat pro balbutiant, son héroïsme patriotique pendant l’annexion sous le troisième Reich, les coupes soulevées, son unique titre de champion en 1979 devenu légende quasi wagnérienne, les exploits européens (contre l’AC Milan ou Liverpool) n’ont guère de valeur sentimentale quand l’heure est à signer les droits télé ou les contrats de naming. Le Racing faillit mourir du foot moderne, au vrai sens du terme. Une plongée jusqu’en CFA 2 (2011/2012), avec perte du statut pro, entre désertion américaine et repreneur plus ou moins mégalo. Le Racing condensa dans les années 2000 tous les affres du foot pro et semblait, malgré la bonne volonté de la mairie et de ses fans, condamné comme d’autres, à venir grossir les rangs des anciennes gloires destinées à peupler les divisions inférieures pendant que se solidifiait une Ligue 1 de plus en plus fermée.
Le retour de Strasbourg représente donc d’abord une vengeance sur le fatalisme financier, sur les pesanteurs budgétaires et leurs inévitables conséquences sportives. Cela ne s’arrête pas là. Il s’agit également de la résurrection d’un grand club de coupes (de France surtout), désormais dirigé par un ancien joueur maison, Marc Keller. Si les premières places sont désormais réservées à quelques pointures (qui sacrifieront ponctuellement le prestige du doublé pour une mirage en Ligue des champions, à l’instar de Monaco), qui ne rêve pas de voir de nouveau des outsiders enchanter la saison d’un exploit au Stade de France ?
Le Racing réveille les mémoires
Strasbourg, c’est aussi la possibilité, tout comme l’a fait Nice depuis deux ans, de réécrire quelque peu la géopolitique figée de notre football en étirant enfin les lignes vers tous les coins de l’Hexagone. Le foot français redevient quelque part fils de l’école des annales, ces historiens qui réinstallèrent notre lecture du passé sur le long terme, avec Marc Bloch, français juif spécialiste de nos rois et de nos cathédrales, ou encore Fernand Braudel, qui pensait que le temps qui coule est d’abord un espace qui se façonne. Le Racing réveille les mémoires.
Parce qu’on a vu Jean-Michel Moutier tenir les cages de Nancy lors d’un derby Alsace-Lorraine et se faire conspuer en dialecte. Parce qu’on se souvient qu’on est allé à l’école maternelle qui jouxtait l’ancienne Meinau avant la rénovation de 1984. Parce que le petit train de 1979 doit bien trotter encore quelque part dans le cœur de Raymond Domenech ou d’Arsène Wenger (qui ne pourra décemment quitter la Tamise que pour le Krimmeri). Parce que Gilbert Gress.
Par Nicolas Kssis-Martov