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Steven Gerrard, légende d’hiver
Le capitaine des Reds a tué le suspense dès le début de l'année civile : Liverpool et lui, ce sera fini en mai. Élu par les fans comme le plus grand joueur de tous les temps ayant porté la tunique de Liverpool, il va laisser derrière un club qui n'a plus vécu sans lui depuis plus de 25 ans.
Il y a des gueules de bois plus difficiles à effacer que d’autres. Si Liverpool n’est pas forcément une ville fachée avec l’alcool, elle a pourtant toujours, en ce 2 janvier, les yeux dans le brouillard, un peu collants. Steven Gerrard a bien confirmé ce vendredi une nouvelle ayant déjà fuité la veille au soir : en mai, Stevie fera ce qu’il lui plaît, et pas sur les bords de la Mersey. En fin de contrat à l’issue de la saison, le capitaine des Reds a donc refusé la prolongation de contrat proposée en novembre par sa direction. Une page se tourne, une page longue de 16 ans du côté des professionnels, d’un peu plus d’un quart de siècle au sein du Liverpool FC, toutes catégories confondues.
À Carragher l’esprit, à Gerrard le cœur
Aujourd’hui, voilà ce que s’apprête à perdre le peuple rouge : en gestes, ce sont des passes et frappes – si possible de pas trop près – précises comme un laser chirurgical, des tacles rageurs, un brassard, des poings de gorille frappant l’écusson de son maillot rouge et une sortie de vestiaire habitée, poing levé, après 45 premières minutes horribles contre le Milan AC, en finale de C1, à Istanbul. Cette finale 2005 reste d’ailleurs le climax de la carrière de Gerrard qui, en titres, chiffre une Ligue des champions (2005) donc, une Coupe UEFA tout aussi mémorable contre Alavés (2001), 2 Supercoupes d’Europe, deux Cup et trois Coupes de la Ligue. Si pendant la décennie 2000, le cœur de Liverpool ne s’est pas arrêté de battre, son pacemaker se nomme bien Stevie G. « Un article disait que si Steven Gerrard était le cœur du club, j’en étais l’âme. J’aime bien entendre ça » disait d’ailleurs dans son autobiographie, non sans se lancer une petite fleur, Jamie Carragher. Les Reds ayant déjà perdu leur âme à l’été 2013, les voici donc proches de vivre sans cœur en mai prochain. Comme si, en deux ans, le club rouge avait perdu corps et esprit, sans parler des dents de Luis Suárez en juillet dernier. Bref, de quoi être dans le brouillard.
Légende ou grand joueur ?
Et les supporters de Pool préfèrent sans doute la pluie, les yeux mouillés au brouillard. Les pleurs, ils les ont déjà expérimentés avec lui. Lorsqu’il est proche de quitter les Reds en 2004. Lorsqu’une de ses glissades laisse échapper le titre aux Reds, la saison dernière, contre Chelsea. Lorsque, contre le même Chelsea, en 2005, il inscrit un CSC en finale de League Cup, offrant la prolongation aux Blues, qui soulèveront le trophée. En sélection nationale, Steven Gerrard représente, comme un Lampard ou Terry, le gâchis d’une génération qu’on disait dorée, mais dépourvue de titres ou de places d’honneur. En 2004, lors de l’Euro, on se souvient par exemple d’une passe en retrait indigne vers David James contre la France, qui gratte un penalty dans les dernières secondes et une victoire inespérée. Plus récemment, on n’oublie pas non plus une déviation malheureuse de la tête ayant permis à Luis Suárez d’inscrire le but vainqueur lors de Uruguay-Angleterre, au Mondial brésilien. Sans titre avec les Three Lions et sans une Premier League à son actif, sans Ballon d’or d’un point de vue personnel, le cas Gerrard peut légitimement interroger, qu’on soit fan ou non du joueur : est-on réellement face à un très grand joueur ou plutôt à une légende ?
Le précédent Genesis
Dans le storytelling, le peuple rouge n’oublie certainement pas que Stevie a perdu son cousin dans la catastrophe d’Hillsborough, ce qui le lie de manière encore plus affective à ces (ses) Reds. Mais ils oublieront sans doute volontiers que leur Steven n’a jamais porté, au top de sa forme, les couleurs d’une autre équipe, afin de voir si le cocon de Liverpool – aucun très grand joueur n’est venu lui faire de l’ombre dans ses plus belles années – faisait la grandeur de Steven Gerrard ou si Gerrard, « maigre comme un clou » selon les propos d’un autre Gérard – Houllier – lorsqu’il découvre l’animal chez les U19, était grand par lui-même. La réponse est peut-être à trouver du côté de l’autre pan culturel de la ville : la musique. Un soir de décembre 2008, par une ivresse estimée à « 7 sur 10 » selon ses propres dires, Stevie G cogne d’un coup de coude un DJ de Stockport qui ne voulait pas passer un titre de Phil Collins, son idole musicale. Et tout le monde sait que Phil Collins n’a jamais été aussi bon que sous la tunique de Genesis. Gerrard n’a, lui, jamais pris le risque de quitter son Genesis, le Liverpool FC. Et c’est peut-être mieux ainsi, histoire de nourrir sa légende. Selon le Larousse, une légende est une « représentation embellie de la vie, des exploits de quelqu’un et qui se conserve dans la mémoire collective » . Stevie en est une. À coup sûr.
Par Ronan Boscher