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Sterling, un racisme aux visages multiples

Par Adrien Candau
6 minutes
Sterling, un racisme aux visages multiples

Victime d'insultes discriminatoires le 8 décembre dernier face à Chelsea, Raheem Sterling a décidé d'ouvrir grand son gosier pour dénoncer une forme de racisme médiatique qui serait alimenté par certains journalistes. L'occasion de se pencher sur un phénomène plus diffus et pernicieux qu'il n'y paraît.

Raheem Sterling a un drôle de rapport avec la chose médiatique. Et notamment avec les tabloïds anglais, dont il est devenu un constant objet d’attentions en tous genres. Et souvent pas à son avantage. Alors, après les insultes racistes dont il a déclaré avoir été victime contre Chelsea en Premier League, l’attaquant a décidé de balancer ses quatre vérités sur les réseaux sociaux. En reprochant aux médias d’outre-Manche « d’alimenter le racisme et l’agressivité » par leur traitement différencié des joueurs selon leurs origines.

Sterling, cible prioritaire

L’attaquant citizen prend notamment pour exemple « deux jeunes joueurs évoluant dans la même équipe, qui ont tous les deux fait un choix juste : acheter une maison à leur mère. » Il affiche alors les captures d’écran de deux titres du Daily Mail. Les articles sont consacrés à deux de ses coéquipiers, Tosin Adarabioyo (prêté cette saison à West Bromwich Albion) et Phil Foden. Le premier titre évoque l’achat d’une maison à 2,25 millions de livres « bien qu’Adarabioyo n’ait jamais commencé un match de Premier League » . Le second, l’achat d’une « nouvelle maison à deux millions de livres pour sa maman » . Ce qui titille Sterling, c’est qu’Adarabioyo est noir, Foden blanc, et que cette différence de traitement que le quotidien anglais réserve aux deux joueurs n’est selon lui pas anodine. « Tous deux n’ont rien fait de mal, mais avec la manière dont cela est formulé, le gamin noir est présenté sous un jour négatif » , ajoute l’ailier des Sky Blues.

De quoi se demander si ce que dénonce l’international anglais est, comme il l’avance, le reflet d’une forme de discours stéréotypé qui imprègne subtilement les médias. De fait, Sterling a peut-être de bonnes raisons de fusiller une certaine presse qui ne semble décidément pas près de lui lâcher les basques. Le Twittos Adam Keyworth avait notamment répertorié le nombre de fois où les journaux anglais (et plus spécifiquement les tabloïds) avaient décidé de pondre des articles à connotation négative à l’encontre du joueur de Manchester City. La liste est interminable. Le procédé est d’autant plus douteux que ce ne sont invariablement pas les performances du joueur qui lui valent d’essuyer la critique médiatique, mais des comportements et choix que ce dernier a effectués dans sa vie privée, loin des prés.

La bourde de Stéphane Guy, le dérapage de Larqué

Le joueur serait-il pour autant victime de racisme de la part de certains médias britanniques ? En tout cas, le concept de racisme médiatique, lui, ne relève pas du fantasme paranoïaque. « On observe en effet que le traitement médiatique peut parfois donner lieu à des assignations genrées, raciales, à des stéréotypes… En football, ça revient parfois à souligner la puissance des footballeurs africains, la technique des joueurs maghrébins… Ça fait partie des poncifs qu’on retrouve à l’occasion dans les commentaires » , relève Karim Souanef, maître de conférences à l’université de Lille, spécialisé dans l’histoire et la sociologie du journalisme sportif. « Parfois, le journaliste ou le consultant peut aussi faire preuve d’une méconnaissance, d’une maîtrise insuffisante de la question raciale et religieuse, qui pose problème. »

Quelques exemples parlants ? Cette sortie plus que maladroite de Stéphane Guy, sur le plateau de J+1 le 12 janvier 2015. Le journaliste faisait alors réagir Demba Ba aux récentes attaques djihadistes qui viennent de secouer Paris en lui demandant s’il se sent « mis en cause par les événements récents » , avant de lâcher : « Vous êtes un musulman, pas un islamiste ? » Ou encore cette sortie malheureuse de Jean-Michel Larqué en direct sur RMC lors de la demi-finale du Mondial 2014 entre l’Argentine et les Pays-Bas. Alors qu’Ezequiel Lavezzi vient de déposer Bruno Martins Indi, l’ancien milieu stéphanois lâche un : « C’est la première fois que je vois un Blanc courir plus vite qu’un Noir. » Malaise.

Pourtant, ces stéréotypes ne pullulent évidemment pas que dans le sport. « Ce sont des croyances qui existent bien au-delà du journalisme sportif et du journalisme tout court, oui, confirme Karim Souanef. Pourquoi c’est un phénomène qui peut toucher plus facilement le sport ? Parce que c’est un domaine où les corps s’affrontent, où des hiérarchies de vitesse, de contact physique se dégagent. La pratique sportive donne la possibilité de confirmer des croyances que certains ont déjà intériorisées, comme le joueur noir qui est plus fort, va plus vite, etc. »

« La pertinence du débat se retrouve surtout autour de la question sociale »

Pourtant, dans le cas de Sterling, les attaques subies par le joueur ne semblent a priori pas liées de près ou de loin à sa couleur de peau, au regard des Unes de la presse anglaise. « Oui, mais est-ce qu’on parle de stéréotypes, de racisme, ou alors de mépris de classe ? nuance Karim Souanef. Je pense que les deux s’imbriquent. Mais dans le cas de Sterling, je retirerais presque cette analyse par la couleur de peau, la pertinence du débat se retrouve surtout autour de la question sociale. Il y a un certain discours dans l’information sportive, qui véhicule une forme d’intolérance envers des comportements qu’on juge déviants, des manières de s’habiller, de parler. Ce sont des styles de vie dans lesquels certains journalistes ne se reconnaissent pas. »

De quoi créer une distance parfois infranchissable entre certains joueurs et les journalistes ? « Est-ce que le sentiment de racisme ressenti par Sterling n’est pas du même type que celui ressenti par Benzema, Nasri, Ribéry, Anelka ? poursuit Karim Souanef. Est-ce que ce n’est pas davantage cette distance sociale entre les joueurs et des journalistes dotés d’un certain capital culturel – et qui appartiennent plus ou moins à une forme de bourgeoise culturelle – qui constitue le problème ? Il y a peut-être parfois un manque d’attitude sociologique chez certains journalistes, qui ne comprennent pas ce que peut provoquer chez ces jeunes ce déplacement hyper brusque dans la hiérarchie sociale – on passe d’un milieu populaire au statut de millionnaire hyper médiatisé – et qui voudraient que les joueurs gardent la tête sur les épaules… »

Les failles du système

Alors, si les médias sont coupables, sont-ils pour autant les seuls fautifs ? Pour Karim Souanef, les journalistes sont aussi victimes de la communication des clubs professionnels, qui leur laissent de moins en moins d’accès aux joueurs. « Le problème, c’est aussi que les journalistes n’ont plus la possibilité d’être sociologues. Comme le milieu du foot est très fermé, on n’a plus l’opportunité de déjeuner avec ces joueurs, d’entrer dans leur monde, de se mettre à leur place, car on leur a fermé les portes de ces lieux. Passer du temps avec Ribéry, Benzema, ça permettrait aux journalistes de mieux les comprendre et d’éviter de recourir à d’éventuels raccourcis et stéréotypes. » De quoi complexifier un problème aux contours franchement vicelards, car souvent subtils : « Bien sûr, ce racisme ordinaire est parfois difficile à combattre, confirme Souanef. Il se manifeste le plus souvent par des petits raccourcis révélateurs d’un inconscient, de croyances ancrées qu’on a intériorisées. Et finalement, c’est peut-être ce qu’il y a de plus compliqué à éradiquer. »

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Par Adrien Candau

Propos de Karim Souanef recueillis par AC.

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