- Supercoupe d'Europe
- Liverpool-Chelsea
Stéphanie Frappart, la grande victoire du football féminin ?
Ce soir à Istanbul (21h), Stéphanie Frappart arbitrera la Supercoupe d'Europe entre Chelsea, vainqueur de l'Europa League, et Liverpool, triomphateur de la Ligue des champions. Ce match chaperonné par l'UEFA, certes de gala, exhale de facto un parfum de Premier League, et sera donc aussi une nouvelle marche dans la reconnaissance des femmes dans le football. Car, comme souvent, exercer une autorité constitue un des signes forts et symbolique d'une la conquête de l'égalité.
D’ici au coup de sifflet ce soir à Istanbul, beaucoup d’articles et de réactions viendront commenter cette « première » (du moins dans le contexte actuel). Une femme va en effet arbitrer une grande rencontre internationale de football masculin, avec quelques uns des plus grands joueurs du moment, sous les yeux de millions de téléspectateurs et de toute l’aristocratie du ballon rond. Les optimistes y verront les prémices d’une (r)évolution en route, d’autres esprits plus chagrins, un « one shot » marketing dans la continuité opportune, sinon opportuniste, du succès de la dernière Coupe du monde féminine en France. Y compris le lieu, la Turquie de l’autocrate Erdogan, semble faire sens dans la décision des instances du foot européen.
La femme en noire
De fait, plus encore que les joueuses – et la difficile reconnaissance de leur droits face à la tranquille arrogance du sexisme à crampons -, le cas des arbitres élargit le débat au-delà des seules considérations sportives. Quelle place occupe véritablement, ou doit occuper, dans un sport aussi mondialisé, essentiel, parfois central dans la vie de nos sociétés, le second sexe ? Car « la femme en noir » ne reflète plus simplement la bataille, à coups de subventions et de revendications, pour s’emparer du cuir. Elle impose au regard de tous et toutes ce retournement essentiel des rapports sociaux et sexualisés : exercer – légitimement – l’autorité au nom du bien commun.
Pour ce qui nous concerne ce soir, nous sommes presque face à un astre contraire de Megan Rapinoe. Cette dernière se positionne dans le discours et la contestation. Son foot est une tribune avec un haut-parleur, et elle a démontré à New-York combien elle savait s’en servir aussi bien que de ses pieds. Stephanie Frappart se situe davantage dans un « process » de reconnaissance au sein de l’institution. Son évolution et sa patience pour sortir le carton jaune au même titre que ses collègues masculins rappellent le parcours de celles qui par le passé enfoncèrent au mérite les portes si closes des métiers qui leur étaient interdit, surtout ceux qui supposaient un « pouvoir » , souvent à l’encontre de chromosomes XY.
Bouger les lignes
Pour les femmes, qui demeurent malheureusement encore une minorité dans le football, au sens politique et statistique, ces places de « cadres » ont une valeur importante, notamment afin de casser aussi bien les représentations qui sévissent encore sur leur capacité « à se faire respecter ou obéir » , que bouger les lignes au sein même de la fédération ou de la ligue. Au même titre que le combat quotidien des clubs ou des sections féminin(e)s pour exister et obtenir des créneaux s’avère essentiel, les 90 minutes dans le Vodafone Park, aussi anecdotiques puissent-elles sembler, incarnent une petite victoire non négligeable. Stephanie Frappart, qui travaille en outre dans une fédération sportive omnisports plutôt engagée (la FSGT), doit sûrement en avoir conscience. Il faut savoir tirer des deux pieds pour espérer marquer le but décisif.
Enfin, alors que malgré tout le foot féminin a conquis quelques lettres de noblesse et d’estime ces dernier temps, la présence sur le rectangle vert, au milieu de Mohamed Salah ou de N’Golo Kante, d’une arbitre féminine, interrogera la dernière frontière : la mixité. Si elle peut suivre le rythme du jeu, est-il à ce point inimaginable qu’une fille parvienne à se retrouver un jour également dans l’effectif d’une équipe qui ne serait pas exclusivement masculine, même parmi l’élite des pros ? Si cette dernière assertion fera sourire, rappelez-vous l’époque pas si lointaine ou de brillants acteurs du foot tricolore – et pas seulement feu Thierry Roland – renvoyaient ces gentes dames à leur cuisine et au linge sale.
Par Nicolas Kssis-Martov