- Amical
- France-Cameroun (3-2)
Stéphane Moulin : « Toute la défense pose question »
Bousculée par le Cameroun lors de son premier match de préparation, l'équipe de France a été obligée de s'en remettre à un exploit individuel de Dimitri Payet en fin de match pour arracher un succès encourageant (3-2) à Nantes. Stéphane Moulin, entraîneur d'Angers et consultant des Bleus pour So Foot pendant le championnat d'Europe, décrypte cette première sortie à dix jours du début de l'Euro.
À dix jours du début du championnat d’Europe, on a vu l’équipe de France peiner dans l’organisation face à un 4-4-2 assez basique. Au premier tour, on sait qu’elle devra la plupart du temps faire le jeu, est-ce quelque chose qui vous inquiète ?Pour le moment, c’est pas forcément inquiétant, mais il va falloir faire mieux, c’est certain. Face à un 4-4-2 à plat, si on a une sentinelle en pointe basse qui joue derrière les deux attaquants adverses et entre nos deux défenseurs centraux, on n’a pas la supériorité numérique au milieu. Sur ce premier match, c’est ce que j’ai trouvé assez surprenant. On était à trois contre deux, mais on n’a jamais su se servir de cette supériorité parce qu’en première mi-temps, Diarra était trop bas. C’est quelque chose qui a été un problème pour les sorties de balle, pour créer des deux-contre-un dans le milieu du terrain, ce qui fait qu’on n’a que très rarement créé des décalages.
On a vu deux mi-temps finalement assez différentes avec l’entrée de N’Golo Kanté à la pause pour remplacer Diarra. Dans notre volonté de vouloir faire le jeu, Kanté n’est-il pas une meilleure option ?Disons qu’aujourd’hui, là où il est au-dessus de Lassana Diarra et ça s’est vu sur ce premier match, c’est que dans sa vocation de jeu vers l’avant et dans la transition, il est meilleur. Là, l’équipe de France n’a pas été bonne sur la transition défense-attaque parce que, dès qu’on a récupéré le ballon, on a eu du mal à enclencher les actions vers l’avant, sauf quand Kanté est entré. Sur chacun de ses ballons, il a quasiment systématiquement enclenché le jeu vers l’avant, c’est lui qui a donné le tempo. Si on récupère le ballon et qu’on se retrouve à chaque fois par une passe en arrière avec dix joueurs face à nous, ça va être très compliqué. C’est quelque chose qui ne donne pas de rythme, pas de bons ballons pour nos attaquants si ce n’est s’en remettre à des duels. C’est ce qu’a fait Coman, et heureusement. Face à une équipe comme ça, le style Kanté risque donc d’être plus intéressant.
Ce tempo retrouvé en deuxième mi-temps est également lié au replacement progressif de Dimitri Payet qui est venu chercher davantage de ballons dans une position de meneur de jeu.Oui, au bout d’une vingtaine de minutes en deuxième mi-temps, Didier Deschamps est passé en 4-2-3-1 avec Matuidi et Kanté à la récupération, et Sissoko et Coman sur les côtés. C’est une option qui offre plus de possibilités pour trouver les joueurs dans les intervalles. Or, dans le système initial avec la pointe basse, quand on a un Paul Pogba qui, pour l’instant, est loin de son meilleur niveau, c’est compliqué de trouver des joueurs qui organisent le jeu, qui se mettent entre les lignes pour donner la dernière passe. Alors est-ce que ce 4-3-3 avec pointe basse doit être conservé, avec qui en sentinelle, ce sont les questions. C’est ce que j’ai retenu de ce premier match. On voit aussi que, pour le moment, le groupe manque d’intensité, c’est logique, le tournoi ne commence que dans dix jours et c’est là qu’il faudra être en forme. L’intensité manque dans les transitions et surtout dans la transition défense-attaque.
Vous évoquez justement le problème Pogba. Ce lundi soir encore, on l’a senti assez perdu, il ne savait pas trop où se placer vu la différence dans son positionnement avec la Juventus. C’est quelque chose qui vous a marqué ?Oui, d’ailleurs le feuilleton Deschamps-Pogba a prouvé cette difficulté à trouver la bonne place pour lui. Il doit se situer entre Matuidi et les attaquants, mais ce n’est pas facile, parce qu’il faut que les ballons sortent vite. C’est la grande difficulté. Après, notre plus grande faiblesse n’est pas forcément celle dont on parle, car là, c’est l’animation du jeu, comment on va récupérer le ballon, comment on va l’utiliser derrière. Je suis encore plus inquiet de comment on va le récupérer justement et de savoir si on ne va pas simplement le récupérer dans les filets. L’inquiétude est encore là, mais on le savait. On parle de notre défense centrale, mais je pense qu’il n’y a pas que ça : c’est la défense dans son ensemble qui pose question dans l’agressivité, car, pour l’instant, on est très en dessous.
On va arriver à la paire Rami-Koscielny…Je pense que ce n’est pas du tout convaincant. Ce n’est pas évident, c’est un premier match pour eux, et encore une fois, ils n’ont pas eu le temps de jouer ensemble. Reste qu’en matière de complémentarité, je sens Adil Rami en grande difficulté dans la confiance et dans les duels, ce qui est son point fort, car c’est là-dessus qu’on prend deux buts. C’est beaucoup. Pareil sur les côtés, je trouve qu’on n’a pas été assez performant : sur le premier but, c’est une sortie à contretemps. On a souvent été pris dans le dos. On en revient à l’agressivité.
Au niveau positif, Kingsley Coman a notamment été très en vue, surtout sur la première mi-temps. Qu’est-ce qu’il apporte de différent selon vous ?Là où il est intéressant, c’est que là où on n’arrive pas à faire les décalages, lui le fait par le dribble. C’est profitable pour l’équipe, car c’est dangereux, un coup franc obtenu ou un but à l’arrivée comme sur celui de Matuidi. C’est super d’avoir des joueurs de ce niveau-là, mais il faut aussi, par la qualité collective qu’on connaît de cette équipe, ne pas s’en remettre toujours aux exploits individuels. Aujourd’hui, je ne suis pas inquiet parce que c’est difficile d’être performant quand, physiquement, on n’y est pas. Pour l’instant, les joueurs n’y sont pas, car ils ont travaillé en conséquence, ils ont l’impression de jouer avec un pack d’eau sur le dos… C’est plus dur pour faire les efforts, les changements de rythme et c’est là que ça devient compliqué, car on ne fait jamais la différence. Pour l’instant, c’est difficile de juger sur un match. La répétition générale sera samedi.
Selon vous, jusqu’à samedi, sur quels points faudrait-il insister ?Didier Deschamps avait certainement des réponses avant le match. Je mettrais l’accent sur cette rigueur, la complémentarité viendra au fil des matchs, sur l’agressivité. Il va falloir travailler sur la transition défense-attaque, car il n’y en a eu que très peu, mais c’est aussi lié à la condition athlétique. Quand on n’a pas les jambes, cela devient compliqué d’enchaîner efforts – contre-efforts. Deschamps l’a dit aussi, il va falloir plus de justesse technique dans l’approche des trente derniers mètres, mais on n’a pas trouvé cette équipe aussi enthousiaste que lors des derniers matchs. Il y a eu de la folie à la fin de la rencontre, car ils étaient obligés, c’est bien, mais il faudra en mettre sans obligation.
On parle de folie, de transition, un Dimitri Payet ne serait-il pas finalement plus intéressant dans un milieu à trois que sur un côté ?C’est un choix de jeu. Finalement, le milieu de terrain qui a été le plus dangereux, c’est Cabaye avec deux courses dans le dos de la défense et deux tête-à-tête avec le gardien. Il y a la place de créer cette folie. Après, il faut le faire, ne pas tous aller au ballon, car là, le milieu a peu été dans le jeu vers l’avant, beaucoup dans le jeu dans les pieds. Matuidi, on connaît ses qualités, il faut qu’il arrive à trouver des espaces pour plonger, mais on ne l’a pas vu très demandeur sur des courses. Pour qu’il y ait ces courses-là, il faut des transitions, mais en attaque placée, c’est plus compliqué.
Propos recueillis par Maxime Brigand