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Stéphan, la galette du roi

Par Théo Denmat
Stéphan, la galette du roi

L'artisan de la victoire de Rennes face au Betis (1-3) n'a pas un très bon pied gauche, ne soigne pas ses contours capillaires, ne porte pas la barbe et, ironie de l'affaire, ne s'habille d'un costume cintré que depuis quatre mois. Ce jeudi soir, Julien Stéphan a assis son (nouveau) statut d'entraîneur, et même prouvé mieux : la Ligue Europa, c'est pas que pour les grands.

Des chiffres, des chiffres, des chiffres. Bertrand Renard peut jubiler, au diable Arielle et ses voyelles. Le foot se compte à la calculatrice, et tant pis pour ceux qui ont choisi d’œuvrer en littéraire. Les points, les buts, les classements aux allures de tableaux Excel. Les victoires, les défaites, les matchs nuls. Au patinage artistique ou en gymnastique, Nelson Monfort pourra en témoigner, une partie de la notation finale dépend d’autre chose que des figures elles-mêmes. Il y a la grâce, il y a l’aura. Il y a parfois, aussi, ce que l’œil d’un profane ne verra pas, raison qui justifie à elle seule l’existence médiatique de Philippe Candeloro. Au football, après le spectaculaire match aller entre Rennes et le Betis Séville (3-3), le plus « médiatique » des journalistes français spécialisés dans le football n’avait rien évoqué d’autre que cela sur les réseaux sociaux : les chiffres.

Deux lignes de résumé et un « 75% de possession de balle » qui avait une belle tronche de « Rennes s’est fait rouler dessus » , puisque le football de possession a de toute évidence plus de valeur que les autres, voilà où l’on en était. Le SRFC, statistiquement, avait 14% de chances de passer jeudi soir, un chiffre parvenu jusqu’aux oreilles du nouveau gourou breton. Est-ce qu’en cas de victoire, la performance aurait donc valeur d’exploit ? « Je vous laisse seuls juges » , bottait-il en touche cette semaine. Et puis, il y a ces chiffres, les autres : aucune victoire française sur la pelouse du Bétis, huit jours pour trouver comment faire, 1616km de doutes et d’espoirs parcourus par 3500 supporters rennais (2700 selon la police), et l’info la plus importante de toutes, glissée par celui qui a fait relever le menton à toute une ville. « Il y a quatre mois, je coachais des matchs de National 3. C’est fou. » Oui, Julien Stéphan, c’est fou.

Apprendre de ses erreurs, vite

Julien Stéphan grandit vite, c’est une certitude. Voilà 81 levers de soleil que le bonhomme bouffe de l’expérience à grandes bolées et qu’on le soupçonne de bloquer sa glotte comme un étudiant en Erasmus irlandais. Hier soir, il glissait après la rencontre qu’il s’était « passé beaucoup de choses dans (s)a vie professionnelle en peu de temps » , ce que l’on savait déjà, mais qui témoignait d’une volonté d’expier, d’enfin souffler. Un soliloque en mondovision, pour mieux prendre conscience de l’exploit. Lui qui n’était au départ qu’ « intérimaire » est donc celui qui restera dans l’histoire rennaise pour avoir permis au club, pour la première fois de son histoire, d’atteindre un huitième de finale de Coupe d’Europe. Le dernier à avoir ainsi marqué les tablettes de son institution s’appelle Roberto Di Matteo, et on sourit en l’écrivant. Le mieux, dans tout cela, c’est peut-être la manière. Tiémoué Bakayoko – que Stéphan a eu sous ses ordres en équipe réserve rennaise – le décrivait il y a peu comme un gus doté d’une « vision à la Guardiola » , basée sur la possession de balle. Mais, surtout, comme un type doté d’un talent rare, celui de « faire passer des caps » à ses joueurs, et maintenant à son club.

L’exercice de l’analyse tactique de la rencontre disputée jeudi au Benito Villamarín nécessite une sacrée appétence pour la bipolarité. Parce que les leçons du match aller avaient été tirées, on va le voir, mais que l’exploit de jeudi soir tient probablement autant de cela que de la maladresse sévillane. Pour preuve : le pressing à quatre exercé, comme à l’aller, par Hunou, Ben Arfa, Niang et Sarr, a encore une fois étouffé le Betis lors de la première demi-heure du match. La défense à trois Mandi-Bartra-Sidnei avait les pires peines du monde à relancer proprement la balle en phase offensive (amenant d’ailleurs l’action du second but, celui d’Adrien Hunou) et Bensebaini, titulaire surprise à la place de Zeffane, s’est révélé incroyable dans la percussion (ajoutez un but à l’équation). Et puis lentement, progressivement, Rennes a commencé à prendre l’eau. Pressing inégal, dangereux, trous au milieu de terrain… Ce que Ben Arfa résumait en « on est allé les chercher haut » devenait abordage inconscient, avec pour unique perspective l’issue du Roazhon : un but dans le bidet. Là, Stéphan s’est levé et a montré les pectoraux.

Ouf

« On a analysé ce qui s’était passé à l’aller.(…)On a appris de nos erreurs de la semaine dernière. On a été admirables de don de soi, de sacrifice, d’intelligence. » Les compliments délivrés en fin de match par l’entraîneur breton faisaient aussi figure d’aveux, ceux qui confirment que les considérations techniques et tactiques comptent moins en Europe que les kilogrammes de couilles que l’on peut poser sur la table. Simeone l’a compris depuis ses douze ans, Stéphan n’a cette fois-ci pas laissé ses hommes se cramer seuls à la tâche. On parlait de l’obsolescence des chiffres, mais le bilan est tout de même gratifiant : le Stade rennais sous Julien Stéphan, c’est 17 matchs, 10 victoires, 4 nuls, 3 défaites, 30 buts marqués (dont 6 au 8e de Liga), et 17 encaissés.

Il y a quatre mois, Stéphan coachait en National 3. Et il y en a sept, il rejoignait son père, Guy, sur la pelouse du stade Loujniki de Moscou. « Je ne l’avais jamais vu avec un visage aussi radieux, se souvenait ce dernier il n’y a pas si longtemps, le trophée dessiné par Silvio Gazzaniga en mains. Il m’a dit « c’est un truc de ouf… », et je lui ai répondu que dans sa carrière d’entraîneur, il pouvait connaître des joies aussi fortes, même à un échelon inférieur. Comme en 2017, quand, avec sa bande de gamins du centre de formation, il avait remporté son groupe de CFA. Le foot est une source de bonheur immense et intarissable. »

Dans cet article :
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Par Théo Denmat

Propos de Guy Stéphan tirés du Parisien.

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