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Stefano Torrisi : « À Marseille, j’étais nul, c’est tout ! »

Propos recueillis par Eric Marinelli et Raphael Gaftarnik
13 minutes
Stefano Torrisi : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>À Marseille, j’étais nul, c’est tout !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Deux petits matchs, une frappe déviée dans ses filets puis un but contre son camp : Stefano Torrisi aura marqué l'OM à sa façon lors de la saison 2002. Désormais commerçant à Prague où il vit, joueur de tennis occasionnel, le défenseur revient avec le sourire sur ce transfert raté, sans oublier de retracer les moments plus glorieux de sa longue carrière transalpine. Entretien garanti sans CSC.

Bonjour Stefano, comment vas-tu ?Tout va bien. Très bien même. Et toi, ça va ?

Nickel. Avant tout, merci beaucoup d’avoir accepté de répondre !Non, justement, c’est moi qui te remercie. Depuis le temps que je pense à mon expérience à l’Olympique de Marseille, j’ai enfin la chance de pouvoir m’exprimer à ce sujet (rires).

Super, on va évidemment y venir. Mais avant cela, parlons un peu de ce que tu fais actuellement. Dans quoi t’es-tu reconverti après ta carrière ?Aujourd’hui, je suis totalement en dehors du monde du football. Je regarde évidemment des matchs de temps en temps, mais je n’y joue même plus. Je vis à Prague, avec ma femme et mes deux enfants. J’ai des activités dans le monde de la mode. On a un magasin de vêtements avec ma femme.

Tu avais déjà pensé à cette reconversion avant de prendre ta retraite ?Non pas vraiment. Mais en Italie, quand je jouais encore, j’avais déjà fait des investissements dans l’immobilier et dans des restaurants. Cette activité dans la mode est venue plus tard. C’est d’abord ma femme qui a eu envie d’ouvrir un magasin, mais, évidemment, on l’a fait ensemble. Et on est très contents de l’avoir fait.

J’ai vu que tu as aussi un peu joué au tennis après ta carrière de footballeur… Oui bien sûr, je joue encore ! Beaucoup de footballeurs jouent au golf après leur carrière. Mais je n’aimais pas trop ça. Avec le tennis, je garde un esprit de compétition dont j’ai toujours besoin. Je continue aussi pour rester un peu en forme, pour avoir un entraînement physique régulier. Je gagne quelques matchs… j’en perds aussi quelques-uns (rires). Mais je suis au moins resté en forme. Je dois avoir, à tout casser, un kilo en trop.

Tu as suivi des cours ou tu t’es débrouillé tout seul ? Non, au début, j’ai été dans un club. Avec un entraîneur qui t’explique les gestes : « Il faut prendre la balle comme ça, blablabla » (rires). Et après j’ai commencé à jouer contre des adversaires.

J’ai vu que tu avais participé au Senior Tour…Oui, j’y participe encore. En ce moment, je suis justement à Seefeld en Autriche, pour jouer les championnats d’Europe Seniors. Je suis dans la catégorie « Over 45 » . Il y a plein de joueurs français. Alain Moracchini par exemple, qui a été numéro 1 de cette catégorie. C’est une façon de vivre une seconde vie sportive en quelque sorte. Il y a un bon petit niveau. C’est sympa.

On peut dire que j’ai été acheté par le Milan et que je n’y ai jamais joué, mais qui aurait joué dans ce Milan-là ?

Parlons tout de même un peu de football. Tu as commencé ta carrière professionnelle en 1988 à Modène, en Serie C1. Que retiens-tu des premières années de carrière ?Avant tout, quand j’ai commencé à jouer au football, je ne savais pas si j’arriverais vraiment à devenir footballeur professionnel. C’était juste un rêve. Mais quand j’ai commencé à jouer avec Modène, c’est là que j’ai compris que j’étais en passe d’y arriver. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir de très bons entraîneurs, et aussi la chance de jouer dans une bonne équipe qui venait de descendre de Serie B et qui avait l’objectif de gagner la Serie C1 pour remonter immédiatement. J’ai été chanceux de ce point de vue-là. Puis après quelques saisons, j’ai eu encore plus de chance, puisque j’ai été repéré par le Milan et j’y ai même signé (en 1993, ndlr).

Pendant plusieurs saisons, tu as eu Renzo Ulivieri comme entraîneur. C’est…(Il coupe) Oui, sept ans. C’est très certainement l’entraîneur qui a le plus influencé ma carrière. Il m’a fait énormément progresser aussi bien comme joueur que comme homme. La première fois qu’il m’a entraîné, j’avais à peine 17 ans. J’étais donc très jeune. On avait deux caractères très différents. Il ne m’a pas seulement donné une éducation sportive, mais également une éducation de la vie… C’est quelqu’un avec qui je suis encore en contact régulièrement et à qui je suis encore très lié. Aujourd’hui, il est président de l’association des entraîneurs italiens (l’AIAC, ndlr). Il m’a appelé tant de fois pour me dire de passer le diplôme d’entraîneur. Mais ça ne m’intéresse pas. Mon cerveau est fait pour guider une personne, pas vingt ou même plus.

C’est un hasard si Ulivieri a été ton entraîneur aussi bien à Modène qu’à Bologne ou Parme ? Qui suivait l’autre ?(Rires) Ça dépend. À Bologne, c’est lui qui m’a fait venir. Mais à Parme, c’est lui qui est arrivé. Malesani avait été viré, et c’est lui qui avait été choisi pour le remplacer.

Tu en as déjà parlé, mais en 1993, tu signes un contrat avec le Milan. Toutefois tu n’as jamais joué avec les Rossoneri. Tu as des regrets par rapport à ça ? Non honnêtement, vraiment pas. J’ai été choisi par le Milan parce que j’avais fait une très bonne saison en Serie C1 avec Ravenne (où il a joué de 90 à 93, ndlr). À l’époque, le Milan signait très souvent les meilleurs jeunes des divisions inférieures. J’ai fait un mois (de pré-saison, ndlr) au Milan. Mais c’était un Milan où il y avait des joueurs comme Baresi, Maldini, Tassoti, Costacurta. Je n’aurais jamais pu jouer à la place de tels joueurs. C’est pourquoi j’ai d’abord été prêté à la Reggiana, qui jouait alors en Serie A, puis la saison suivante au Torino, toujours en Serie A. J’étais très content de cela, parce que j’avais la chance de jouer et de voir si j’avais le niveau pour la Serie A. Alors qu’au Milan, je n’aurais jamais joué. J’étais très content d’avoir été choisi par le Milan, mais lors de ces années-là, c’était juste impossible de s’y imposer pour un joueur comme moi, je n’ai donc aucun regret. On peut dire que j’ai été acheté par le Milan et que je n’y ai jamais joué, mais qui aurait joué dans ce Milan-là ? (rires)

Je suis convaincu que le Milan de Sacchi est l’unique équipe qui serait en mesure de battre le Barcelone de Guardiola ou celui d’aujourd’hui.

Effectivement, ce serait sans doute une tout autre histoire aujourd’hui…Le football italien a beaucoup changé. Les grands champions d’autrefois ne jouent plus en Serie A aujourd’hui. Ça va sans doute un peu mieux depuis deux, trois ans maintenant, mais c’est incomparable si on regarde une quinzaine d’années en arrière. Je pense que le football italien était beaucoup plus technique il y a dix, quinze ans. Aujourd’hui, les grands champions ne viennent plus jouer en Serie A, ou très rarement. Ils vont en Espagne, en Angleterre ou au PSG.

Puisqu’on parlait du Milan, tu as été entraîné par un grand Milanista à l’Atlético Madrid : Arrigo Sacchi. Quels souvenirs en gardes-tu ? Tu te rends compte à quel point Sacchi est un bon entraîneur quand il ne t’entraîne plus ! Sacchi est un entraîneur qui demandait à ses joueurs de faire des choses dont ils n’avaient pas l’habitude. Sa vision du football était très futuriste. Ensuite, à plusieurs moments de ma carrière, je me suis dit : « Putain, Sacchi avait raison » sur ceci ou cela. Je suis convaincu que le Milan de Sacchi est l’unique équipe qui serait en mesure de battre le Barcelone de Guardiola ou celui d’aujourd’hui. Ce serait en tout cas un sacré match entre deux équipes qui ont une façon totalement différente de jouer.

Après l’Atlético Madrid, tu reviens en Italie à Parme (en 1999, ndlr), où tu es resté trois saisons. Dans quelle situation était le club à ce moment-là ? Il n’y avait que des champions ! Buffon, Cannavaro, Thuram, Boghossian qui était aussi champion du monde, Crespo… Parme venait de gagner la Coupe de l’UEFA contre Marseille d’ailleurs. On avait vraiment une grosse équipe.

Vous vous doutiez que la Parmalat avait des problèmes ? Non, je peux te le garantir. Personne ne pouvait se douter de ce qui allait arriver (la Parmalat, qui était l’actionnaire majoritaire du club, a fait faillite fin 2003, manquant d’entraîner le club dans sa chute, ndlr). Ça a été une catastrophe pour l’économie italienne. Même ceux qui connaissaient la famille Tanzi (la famille qui détenait la Parmalat, ndlr) ne pouvaient se douter qu’une chose aussi grave puisse arriver.

C’est un peu comme ce qu’il s’est passé la saison dernière, toujours à Parme, non ?Oui, mais ce qui est arrivé l’année dernière est encore plus incroyable. Ce qui est arrivé avec Tanzi et la Parmalat, était un problème d’économie, de politique. Ce qui est arrivé la saison dernière en revanche, c’est un problème de la Fédération italienne. C’est impossible de laisser un président acheter et revendre 200 joueurs, et même plus, sans rien contrôler. Même après que le club n’a pas réussi à obtenir sa licence pour la Ligue Europa ! C’est quand même fou qu’une chose pareille puisse arriver !

Certains joueurs s’en foutent de rester sur le banc tant qu’ils sont payés. Pas moi. Pour moi, si tu restes toujours sur le banc, tu voles ton salaire.

Venons-en à … l’OM ! Pourquoi as-tu choisi d’aller à Marseille en janvier 2002 ?Alors, laisse-moi t’expliquer. (Il prend une profonde inspiration) Pour commencer, Marseille était l’équipe d’un joueur dont j’étais amoureux : Chris Waddle. C’était un joueur fantastique ! Ensuite, j’ai joué avec Jocelyn Angloma et Abedi Pelé au Torino et ils m’ont toujours parlé de Marseille. Avec mon ami Alain Boghossian, pareil. Toujours : « Marseille, Marseille, Marseille » . Dans mon esprit, c’était devenu une obsession de jouer un jour pour ce club. Quand j’ai eu un appel de l’OM, ce qui m’a énormément surpris d’ailleurs, j’ai immédiatement dit oui. Mais le problème était ailleurs…

C’est-à-dire ?Je m’étais pété le genou avec Parme. Six mois sur le côté et j’avais aussi été suspendu à cause du dopage…

Un contrôle positif à la nandrolone…Oui, en effet. Cette année-là, énormément de joueurs ont eu ce problème en Italie. Davids, Couto, et plein d’autres… Donc quand j’arrive à l’OM, ça fait presque neuf mois que je n’ai plus joué. Quand Marseille m’a appelé, j’ai aussi dit oui parce que c’était une très bonne opportunité pour moi. Je savais que le football français était différent, plus physique, mais moins technique et tactique que le foot italien. J’étais très content d’aller à l’OM. Mais tout a été de travers, par ma faute. Parce que je suis arrivé après près de neuf mois d’inactivité. Je n’étais pas prêt pour jouer un match, pas assez entraîné, et puis je ne connaissais pas bien le foot français.

Tu es aussi arrivé dans un environnement compliqué…C’était une catastrophe, un énorme bordel ! Il y avait plus de quarante joueurs sous contrat. Et pourtant, je finis par être aligné à Nantes. On perd et je mets un but incroyable contre mon camp de la tête. Pfff, une catastrophe… Mentalement, c’était très dur pour moi. Je joue mon premier match depuis neuf mois. Je ne connais ni la langue ni mes coéquipiers, je joue et là, je mets un but invraisemblable contre mon camp. Presque deux, puisque sur le premier, je dévie la frappe… Comme si c’était écrit.

Et ensuite ?Je joue un deuxième match dans la foulée contre Guingamp, on gagne 2-1 si je me souviens bien. Pour l’anecdote, Drogba jouait en face à cette époque. Mais pendant tout le match, j’ai seulement peur de faire une erreur. Et de cette façon, on fait forcément des erreurs. Je me rends compte que je suis le mauvais mec, au mauvais endroit, au mauvais moment. Ensuite, on va à Paris, en Coupe de France, je suis sur le banc. Pareil lors des deux matchs suivants en championnat. J’ai été voir l’entraîneur, Albert Emon, ainsi que les dirigeants et je leur ai dit « Je m’en vais, je vous laisse même mon salaire. » J’ai laissé de l’argent à Marseille. J’ai touché seulement un salaire, celui du mois de janvier. Je tiens à le dire. Certains joueurs s’en foutent de rester sur le banc tant qu’ils sont payés. Pas moi. Pour moi, si tu restes toujours sur le banc, tu voles ton salaire.

Et tu es parti, comme ça ?J’étais en difficulté. Je n’étais pas prêt à jouer. J’avais dit aux dirigeants de Marseille : « Écoutez. Je m’en vais. Vous n’avez pas besoin de moi. Je n’ai rien à vous apporter en ce moment. Je ne suis pas en forme, je dois rentrer en Italie et redevenir un joueur de foot. »

Personne n’a cherché à te retenir ? Comme le président de l’époque par exemple ? Un certain Bernard Tapie…Non, non, ils ne m’ont rien dit. Ils avaient bien vu que j’étais en difficulté. La décision que j’avais prise leur convenait bien. À ce moment-là, j’étais nul, c’est tout. Il n’y a pas d’autre façon de le dire. Je suis très honnête sur ça. La plupart des joueurs rejette la faute sur leur entraîneur ou leurs coéquipiers. Mais ce n’est pas mon cas. Si je jouais mal, c’était de ma faute, et de personne d’autre ! Marseille est le seul passage triste de ma carrière que je voudrais réécrire. Je n’ai pas eu la possibilité d’être en forme pour démontrer ce que je valais. Je n’étais pas un fuoriclasse, hein, mais je pouvais faire de bonnes choses.

Marseille est le seul passage triste de ma carrière que je voudrais réécrire.

Ces bonnes choses t’ont d’ailleurs amené à jouer un match amical avec la Nazionale, en juin 1997 à Paris, contre la France. Tu t’en rappelles ? (Sans la moindre hésitation) 2-2 ! Évidemment que je m’en rappelle. D’ailleurs, c’est la même France qui a été championne du monde à peine un an plus tard ! C’était une immense fierté et une émotion incroyable d’être convoqué en équipe d’Italie. Surtout pour ma famille et mon père qui a toujours été un grand fan de foot. C’est un rêve qui s’est réalisé.

C’est ton plus beau souvenir ?J’ai plein de beaux souvenirs. J’ai eu la chance de jouer avec Baggio à Bologne. J’ai eu la chance de jouer contre Maradona qui m’avait même donné son maillot à la fin du match. J’ai eu la chance de jouer avec la Nazionale, de jouer la Ligue des champions…

Et quel est le plus grand joueur avec lequel tu as joué ?Baggio et Buffon. Ou même Cannavaro, mais Baggio et Buffon sont sûrement encore un cran au-dessus.

Et le plus grand contre qui tu as joué ?Je dirais Ronaldo. Mais le plus difficile à marquer était Trezeguet, parce qu’il ne faisait pas un dribble, mais jouait tout le temps en première intention. Il n’avait besoin de toucher le ballon qu’une fois pour marquer. Il me rendait fou.

Pour finir, c’est l’occasion ou jamais : quel message voudrais-tu faire passer aux supporters marseillais ?Qu’avoir eu la chance de porter le maillot de Marseille a été une grande émotion. Mais je n’ai pas réussi à démontrer, par ma faute, que je méritais de le porter. C’est la vie. Mais dans tous les cas, je n’oublierai jamais mon expérience à Marseille.

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