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« Chaque derby est très photogénique »
Le dernier Euroderby de la Madonnina avait donné lieu à une scène restée dans la légende, en partie grâce à une photo de l'Intériste Marco Materazzi appuyé sur l'esthète milanais Rui Costa. Retour avec son auteur sur cet instant précis du quart de finale retour de Ligue des champions 2004-2005.
Vous n’en avez pas marre qu’on vous renvoie toujours à cette photo ?
C’est marrant, parce que même après dix-huit ans, après avoir couvert plein de matchs de football depuis, tout le monde se souvient de cette photo. Ça fait plaisir. À l’époque, je travaillais comme photographe pour Reuters à Milan. J’étais amené à couvrir toutes sortes d’événements, mais là-bas, le foot reste le plus important. J’ai couvert des matchs de Serie A, de Coupe d’Europe, de Coupe du monde, ça fait des milliers et des milliers de photos, mais parmi tout ça, c’est celle-là qui est restée.
Vous êtes-vous rapidement rendu compte du succès qu’elle rencontrait ?
Elle est devenue iconique après quelque temps. Il y a ce quart de finale retour, et ce but annulé d’Esteban Cambiasso. Tous les supporters de l’Inter ont jeté des fumigènes sur le terrain, et un a explosé à côté de Dida, qui a été blessé à l’épaule (le gardien brésilien a été remplacé par Christian Abbiati à la 73e, NDLR). Le match a été interrompu, tout le monde a été renvoyé au vestiaire pendant une vingtaine de minutes. Maintenant, on a l’habitude que le jeu soit interrompu, mais à l’époque, c’était exceptionnel. Avec l’interruption, les fumigènes sur le terrain, ce match a fait polémique. Quelques jours après cette soirée, je me rends compte que la photo a été très utilisée. Elle s’est doucement installée comme celle principalement utilisée pour illustrer ce moment. Les réseaux sociaux n’avaient pas la place qu’ils ont maintenant, mais elle est quand même devenue virale.
Uma das maiores fotos de todos os tempos no futebol. Materazzi, da Inter, apoiado em Rui Costa, do Milan, vendo a torcida nerazzurra arremessando sinalizadores em campo, nas quartas da Champions de 2005. É DERBY DELLA MADONNINA! 🇮🇹🔥 #CasaDaChampions
Crédito: Stefano Rellandini pic.twitter.com/tgmCKpYMgR
— TNT Sports BR (@TNTSportsBR) May 8, 2023
Vous rappelez-vous du moment exact où vous avez pris cette photo ?
Les joueurs étaient revenus sur la pelouse, tout le monde a pensé que ça allait reprendre, mais finalement non, il y avait encore des fumigènes sur le terrain. Les joueurs sont restés là, sans reprendre le jeu. Materazzi et Rui Costa se retrouvent à côté. Ce sont deux équipes qui se font la guerre, Materazzi a la réputation d’être un méchant sur le terrain, Rui Costa est lui un artiste, un poète du jeu. C’est ce contraste que je voulais photographier. Puis Materazzi pose son bras sur le dos de Rui Costa, ça ne dure que quelques secondes, je ne fais qu’une photo de ce moment précis. Le jeu reprend aussitôt. J’avais toute une série de photos, mais une seule de cet instant précis. Elle est quand même un peu différente des autres, donc je l’ai transmise au bureau de Reuters à Londres.
L’ambiance sur place laissait-elle présager pareille tournure des événements ?
Je me souviens de l’avant-match, comme pour chaque derby, c’est toujours un match chaud, historiquement les deux équipes ne s’aiment pas, il y a toujours de la tension sur la pelouse comme dans les tribunes. Là, c’est un quart de finale de Ligue des champions, donc c’est encore plus fort. Mais personne ne s’attendait à cette réaction des supporters après ce but annulé. Ils étaient comme en guerre pendant un quart d’heure.
La situation devait être assez confuse…
Quand on regarde la photo, on se rend compte que je suis du mauvais côté par rapport à l’action. Je suis en face de ce qui s’est passé entre les supporters et Dida. La fumée des fumigènes cache tout au bout de quelques minutes. Au départ, je me dis que j’ai raté le moment pour prendre la bonne photo, avec la blessure de Dida, qui tombe par terre… Je me dis que c’est là qu’il fallait être, que j’ai raté la photo de la soirée, c’est frustrant. Je suis dans le virage opposé, et je ne peux plus rien voir au travers de mon objectif. On ne savait pas s’il était gravement blessé. Après, on ne sait jamais ce qu’il peut arriver, cette photo le démontre bien. Ce n’est finalement pas Dida qui se retrouve au centre l’histoire, mais Rui Costa et Marco Materazzi.
Pourquoi cette photo a-t-elle particulièrement marqué les esprits ?
Je ne sais pas pourquoi, alors que nous sommes plein de supporters au bord du terrain, mais je suis le seul à avoir capturé ce moment où Materazzi pose son bras sur les épaules de Rui Costa. C’est aussi pour ça qu’elle est devenue iconique. Chaque derby est très photogénique, à l’époque on pouvait voir des joueurs comme Ronaldo, Shevchenko, Ronaldinho… De quoi prendre des photos plus dynamiques, plus spectaculaires que celle de Materazzi et Rui Costa… Mais dix-huit ans après, elle est restée de ce derby dans la tête de tout le monde. Ça fait vraiment plaisir, parce qu’on passe énormément de matchs, des heures à couvrir des matchs de foot en tant que photographe, que ce soit dans le froid, sous la pluie, au milieu de plein de photographes, dans une mauvaise position… Et à la fin, après des années, qu’une photo reste dans la tête de tout le monde, c’est gratifiant, c’est un peu ma signature laissée dans le monde du foot… Je suis content que tout le monde s’en souvienne. Materazzi l’a utilisée plusieurs fois sur les réseaux sociaux, il l’a encore postée récemment quand il a vu que l’Inter allait de nouveau rencontrer Milan.
Vous qui êtes de Milan, vous avez une préférence pour le match de ce soir ? Un pronostic ?
Je ne suis pas un grand supporter, mais je suis plutôt pour l’Inter Milan. Cette semaine, j’enchaîne les interviews pour raconter la photo, et on me montre plein de T-shirts, de tasses, de magnets pour les frigos, toutes sortes de goodies avec cette photo… Je n’ai rien gagné avec cette photo, mais je suis très content qu’elle ait marqué les esprits. J’espère surtout qu’il y aura la possibilité pour un autre photographe de prendre une nouvelle photo iconique !
Propos recueillis par Baptiste Brenot