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Statut et coups de Blues

Par Markus Kaufmann
6 minutes
Statut et coups de Blues

Cette semaine, Kevin De Bruyne s'est plaint de son statut lors de son passage à Chelsea : s'il a joué trop peu, c'est parce qu'il aurait coûté trop peu, à savoir 8 millions d'euros. Et ce n'est pas le premier. Si le talent est déjà un élément très discriminatoire dans le football, de nombreux joueurs (et entraîneurs) avancent que leur faible temps de jeu est dû à « une question de statut », reposant sur des données à la fois financières et humaines. Si De Bruyne avait coûté 40 millions d'euros, soit autant qu'Eden Hazard, se serait-il imposé pour autant ?

Dans le Larousse, un statut est « une situation de fait, une position par rapport à la société » . Dans le football, il s’agit d’une sorte de grade au sein du vestiaire, qui trouve son reflet dans l’ensemble du monde du ballon rond. Et d’après le meneur belge Kevin De Bruyne, aujourd’hui flamboyant à Wolfsburg, le statut d’un joueur de Chelsea sous José Mourinho dépend de son prix d’achat. Aux micros de Sky Sports, De Bruyne est revenu sur sa courte expérience londonienne : « Chelsea n’a pas été le meilleur choix dans ma carrière. Être un joueur de Chelsea, c’est entrer dans un autre monde. José Mourinho ne m’a jamais expliqué pourquoi il ne me faisait pas jouer plus souvent. Peut-être que les choses auraient été différentes si Chelsea avait payé 45 millions d’euros pour me recruter, plutôt que 8 millions d’euros. Un transfert plus élevé m’aurait peut-être permis d’avoir un statut différent au sein du club. »

Effectivement, dans tout vestiaire, et peut-être encore plus dans les grands clubs – mais peut-être moins, les clubs semi-professionnels en savent quelque chose – la bataille « sociale » du statut est extrêmement difficile. Une guéguerre pour onze places à partager entre près de vingt-cinq joueurs, ayant tous des âges, talents, salaires, ambitions et besoins différents, dépendant plus ou moins du jugement d’un seul homme. Cette bataille, profondément humaine, et donc animale, parfois primaire mais toujours nécessaire, est forcément dictée par des facteurs variés. Parce que savoir s’imposer dans un vingt mètres carrés de carrelage, crampons et eau glacée n’est pas donné à tout le monde, indépendamment du talent de chacun. Les plus forts survivent. Les autres craquent, perdent leur appétit pour les duels et ne deviennent plus une option valable aux yeux de leurs entraîneurs. Le combat, ils ne le perdent pas tous sur le terrain, mais c’est tout comme. Ce combat, De Bruyne l’a peut-être perdu en acceptant cette indemnité de transfert à huit millions d’euros. Mais peut-être pas.

« Je partais défavorisé parce que je n’avais pas de statut »

Le Belge n’est pas le premier à se plaindre de cette question de statut à Chelsea. À l’occasion d’un entretien donné à So Foot Junior en 2014, Salomon Kalou revenait sur son épopée londonienne. Lui aussi était arrivé jeune, à 21 ans, et pour 9 millions de livres sterling : « Chaque saison, j’avais un nouveau coach (7 coachs en 7 saisons). Et vu que je n’avais pas le statut des autres, je devais toujours prouver quelque chose et recommencer à zéro. Même si j’arrivais à chaque fois à finir la saison dans le onze de départ. Mais je partais défavorisé parce que je n’avais pas leur statut. C’est sûr que ça a perturbé ma progression à Chelsea. » Kalou revient également sur la logique financière, la raison pour laquelle Eden Hazard n’a pas eu à forcer le passage, d’après l’Ivoirien : « Ce n’est pas pareil, parce qu’il est arrivé avec un statut. À Chelsea, quand tu arrives sans statut, on ne te donne pas le temps de jouer, et donc tu n’as pas le temps de progresser. Le statut, c’est une question d’argent : quelqu’un qui coûte 40 millions et quelqu’un qui coûte 10 millions, ce n’est pas la même chose. Avec ce statut, il a le temps et la confiance du club pour démontrer ses qualités. » Le statut, une question d’argent ? Pas seulement. Si le prix d’achat est un gage de sécurité pour le joueur concerné, impliquant que le club fera tout pour démontrer qu’il n’a pas investi ses fonds précieux dans du vent, certains entraîneurs sont plus sensibles que d’autres aux pressions de leurs dirigeants. Mais malheureusement pour De Bruyne, José Mourinho n’en fait pas partie.

Kalou le dit lui-même : « L’entraîneur avec lequel j’ai le plus progressé, c’est Mourinho. Sans hésitation. Et puis Ancelotti, avec lequel j’ai gagné le doublé et j’ai beaucoup joué. Le fait de beaucoup jouer, tu apprends beaucoup et tu progresses. » Dans son Chelsea, Gary Cahill (7 millions de livres) ne peut pas se plaindre de son temps de jeu, tandis qu’Azpi (8 millions d’euros) est titulaire aux dépens de Filipe Luiz (16 millions de livres) et que Courtois s’est rapidement imposé devant l’immense « statut » de Petr Čech. Pas de place pour les lois : chez Mourinho, le degré du statut semble plutôt évalué par le taux d’investissement individuel au profit du collectif. À Madrid, Khedira (8-13 millions d’euros selon les sources), Arbeloa (4 millions d’euros), Diego López (3,5 millions d’euros) ou encore Varane (10 millions d’euros) ont tous eu un rôle majeur à jouer malgré un prix d’achat mineur. Dans le même sens, Ricardo Quaresma n’a jamais eu de passe-droit à l’Inter, malgré un prix d’achat exorbitant (25 millions d’euros). Mais tous les entraîneurs n’ont pas les mêmes sensibilités, et tous les clubs n’ont pas les mêmes fonctionnements. Par exemple, il semble évident que le prix de David Luiz (50 millions d’euros), dont la nécessité dans le système parisien reste encore à prouver, ait beaucoup d’influence sur son temps de jeu au PSG. D’ailleurs, la question du statut vaut aussi pour les entraîneurs, qui font partie intégrante de cette bataille du vestiaire. À Chelsea, Roberto Di Matteo n’a pas eu la marge d’erreur octroyée à Villas-Boas, et Rafa Benítez n’a pas eu la confiance accordée à Mourinho. Au PSG, il semble aussi évident que Laurent Blanc n’ait pas la même marge de manœuvre qu’aurait un José Mourinho.

Faut-il avoir été acheté pour jouer dans un grand club ?

Mais si le prix d’achat peut être une garantie de temps de jeu pour le joueur, les premiers à en souffrir sont les jeunes sortant des centres de formation. Si Sakho pouvait être mis « gratuitement » sur le banc à Paris, ce n’est pas vraiment la même histoire à Liverpool, après un transfert à 23 millions d’euros (dont 4 de bonus). Acheté à 20 ans, De Bruyne était d’ailleurs plutôt perçu comme un joueur cher, car il venait avant tout pour gonfler les rangs de la prestigieuse réserve des Blues, cet ensemble de jeunes espoirs payés à prix d’or et prêtés partout dans le monde, sans garantie de retour à Londres… Son jugement est donc erroné : la question serait plutôt de savoir pourquoi les jeunes joueurs des rangs des Blues ne parviennent jamais à s’imposer en équipe première ? Depuis qu’Abramovitch s’est mis à investir sur la formation, la liste est déjà longue : Oriol Romeu, Lucas Piazón, Fabio Borini, Franco di Santo, Daniel Sturridge, Gaël Kakuta dans une certaine mesure… Même Nemanja Matić a été forcé à partir avant de réussir.

Il n’y a pas de recette. Certains s’en sortent par le talent footballistique, d’autres par l’humour, l’affectif, ou même le leadership. Car parmi tous ces guerriers, des footballeurs ont fait plus de chemin que d’autres, et ont plus ou moins grandi humainement pour savoir slalomer entre les statuts, l’importance du salaire ou même le talent. Comme dans le reste du monde du travail, tout le monde ne sait pas se mettre en valeur de la même façon en interne et vers l’extérieur. C’est une histoire de perception. Pour le dire de manière inexacte, mais pertinente, dans tout groupe, il y a des Franck Ribéry et des Yoann Gourcuff, dont la capacité d’intégration restera toujours aussi capricieuse qu’énigmatique. Mais tôt ou tard, pour devenir un joueur à la hauteur de son talent, Kevin De Bruyne devra savoir gravir les obstacles que le vestiaire d’un grand club mettra sur sa route.

Dans cet article :
Brest et Lille : leçons d’Europe
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Par Markus Kaufmann

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