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Stade rennais : retour sur le départ surprise d’Olivier Létang
La bonne santé sportive du Stade rennais n'a pas empêché le tremblement de terre : le club breton a annoncé vendredi après-midi qu'Olivier Létang n'était plus le président du SRFC. La fin brutale d'une aventure de 27 mois, pleine de succès pour le dirigeant de 47 ans qui aura contribué au changement de dimension récent des Rouge et Noir. Mais qui n'aura pas su conserver la confiance de la famille Pinault, actionnaire depuis 1998, qui se trouve désormais face à un nouveau défi.
Tout était trop calme à Rennes. Tout était trop beau, même, pour ce club habitué aux jeux d’influence en interne sous l’ère Pinault et abonné aux psychodrames surprises ces dernières années. Les choses sont rentrées dans l’ordre (ou plutôt le désordre) aux alentours de 15h30 vendredi après-midi quand le SRFC a annoncé dans un communiqué le départ surprise d’Olivier Létang, vingt-sept mois jour pour jour après son arrivée comme président exécutif. Une bombe inattendue. Un coup de tonnerre sur un club toujours en course pour conserver son trophée de la Coupe de France et surtout bien calé sur le podium en championnat depuis la fin de la phase aller. Et une confirmation : en coulisses, le Stade rennais ressemble toujours à un Far West, où les uns flinguent les autres. Un univers impitoyable dans lequel Létang aura survécu et souvent triomphé pendant un peu plus de deux ans. Jusqu’à ce que le couperet ne tombe violemment, comme à chaque fois qu’une tête doit sauter sur les bords de la Vilaine.
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— Stade rennais F.C. (@staderennais) February 7, 2020
Mélancolie, isolement et gourmandise
Au moment de quitter son costume de président, Létang a probablement vécu la journée la plus longue de son aventure rennaise. La plus éprouvante, aussi. Après avoir subi les évènements tout au long de la journée de vendredi, entre un ultime comité exécutif et un conseil d’administration qui a entériné la décision de l’actionnaire unique de révoquer le dirigeant sarthois, comme le dévoile Ouest-France, le désormais ex-président du SRFC a couché ses premiers mots en cinq petits paragraphes, au bout du communiqué annonçant la sentence. Et la conclusion ne laisse pas place au doute, son départ est bien indépendant de sa volonté. « Je vous quitte évidemment à contrecœur, mais je ne vous oublierai pas, l’ambiance du Roazhon Park va me manquer et je resterai toujours un fervent supporter du Stade rennais qui est un club magnifique » , pose-t-il sur le ton de la mélancolie. Létang a enchaîné les adieux dans l’après-midi, dans les bureaux comme face aux joueurs, sans parvenir à masquer son émotion. Le quotidien régional raconte la scène et le discours tenu à un groupe secoué par la nouvelle : « Vous, je veux dire vous les joueurs, je m’en fous ; ce qui m’intéresse, c’est les hommes. Je ne pouvais pas ne pas vous dire au revoir parce que notre relation est, et a été, très forte.(…)J’ai un rêve en tête, c’est de qualifier ce club pour la Ligue des champions. Vous pouvez le faire. Ça commence par une victoire demain contre Brest. Faites-le pour moi. »
Chez certains joueurs comme chez de nombreux supporters, les mêmes questions étaient sur toutes les lèvres : pourquoi montrer la porte à Olivier Létang, alors que le Stade rennais vit la meilleure période de son histoire ? Pourquoi maintenant, à la veille d’un derby important contre Brest à la maison ? Le timing est mystérieux et malgré la multiplication des hypothèses faites par divers médias – plus ou moins crédibles -, il est pour l’instant difficile de déterminer l’élément déclencheur. En revanche, la menace planait sur la tête du président Létang depuis plusieurs semaines. Selon nos informations, l’homme de 47 ans était de plus en plus isolé au sein du club, au point de n’avoir aucune influence dans les négociations pour le recrutement de Steven Nzonzi cet hiver. « Demandez au joueur, tout le monde sait ce qui s’est passé. Maintenant, j’ai besoin de me ressourcer » , nous a répondu brièvement Olivier Létang quelques heures après avoir appris son départ. Isolé, il l’était aussi depuis les tensions de l’intersaison avec Julien Stéphan. Une chose est sûre : ses relations très fraîches avec le jeune technicien et son staff ne sont pas les seules raisons qui ont poussé la famille Pinault à se séparer de l’ancien dirigeant du PSG.
Dans l’environnement rennais, la personnalité clivante de Létang ne pouvait pas plaire à tout le monde. L’ambitieux président a rapidement pris de la place, peut-être trop, sans toujours être irréprochable dans son management ou transparent dans sa politique sportive. Dernier exemple en date : la nomination en douce de Denis Arnaud à la tête du centre de formation deux mois après le départ d’Éric Assadourian, symbolisant l’instabilité dangereuse, dans un secteur cher au SRFC, depuis la sortie de Landry Chauvin au printemps dernier. En outre, son manque de clarté sur certains transferts (sans pouvoir confirmer les chiffres avancés par L’Équipe dans son édition du jour) et son implication personnelle dans le futur d’Eduardo Camavinga ont eu raison de la patience des Pinault.
Létang, l’âme de la gagne
Pourtant, rien ne semblait annoncer un tel tremblement de terre. En tout cas, pas aussi rapide. En janvier, Létang s’était arrêté en toute décontraction pour discuter avec une poignée de journalistes après la réception de Marseille. Il se voulait rassurant malgré la défaite. Plus tard, il avait aussi défendu le projet du SRFC, comme d’habitude, sur le plateau du Canal Football Club, quelques jours après avoir régalé une dizaine de supporters rennais en distribuant des maillots aux courageux présents aux Costières lors de la victoire face à Nîmes. Un écho à son credo récurrent : le club rouge et noir doit absolument procurer du plaisir et susciter la fierté de ses fans. « Nous avons vécu 27 mois inédits et intenses au cours desquels le Stade rennais a battu de nombreux records sur et en dehors du terrain. Le Stade rennais ne s’est jamais aussi bien porté sportivement et économiquement » , s’est-il félicité sur le site officiel, comme pour dresser le bilan de sa présidence, logiquement considérée comme très réussie par une majorité des habitués du Roazhon Park.
Il faut dire que les résultats sont flatteurs pour Létang, qui aura laissé une trace indélébile dans l’histoire du club breton. En novembre 2017, il était arrivé avec cette image d’ancien paria du PSG et une réputation de carriériste gravitant dans le monde des agents en tant qu’ancien directeur général de Sports Invest UK, une société de gestion de carrières où il avait pu tisser des liens avec l’influent Kia Joorabchian. Plus de deux ans après, il quitte le Stade rennais avec un palmarès inédit : une Coupe de France, un premier trophée depuis 48 ans, remporté face au PSG, deux campagnes en phase de poules de la Ligue Europa successives (dont un huitième de finale inédit) et une troisième place en Ligue 1 après vingt-trois journées. Une réussite presque totale. Le fruit d’une restructuration profonde, d’un professionnalisme nouveau et d’un discours ambitieux, voire unique dans l’histoire récente des Rouge et Noir. Une différence notable avec son prédécesseur, le fantasque René Ruello, qui aimait répéter qu’une 14e place ne serait « pas une déception » lors de l’exercice 2016-2017. Dans son sillage, Létang laisse, lui, une culture de la gagne au Stade rennais.
Le défi des Pinault
La réussite d’un nouveau modèle enclenché par François-Henri Pinault, qui était allé chercher lui-même Létang pour lui proposer la présidence à l’automne 2017, rompant avec les habitudes de son père, plutôt enclin à nommer des copains (Ruello) ou des dirigeants fantoches (Patrick Le Lay, Frédéric de Saint-Sernin). Sauf que François Pinault, 83 ans, a toujours gardé un œil attentif – malgré une légère prise de recul au profit de son fils ces deux dernières années – sur les affaires du Stade rennais, et le milliardaire a probablement eu son mot à dire sur l’éviction de Létang. Reste maintenant à savoir combien de temps Jacques Delanoë, actuel président du conseil d’administration, copain de lycée de François-Henri et grand supporter de Rennes, assurera l’intérim. Le nom d’Arsène Wenger a déjà circulé, en attendant d’autres potentiels candidats. Le défi est immense pour les Pinault, qui ne devront pas se tromper d’homme dans les prochaines semaines, au risque de briser la dynamique et faire retomber Rennes dans un anonymat déprimant.
Par Clément Gavard
Propos d'Olivier Létang recueillis par CG.