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Stade, j’écris ton nom

Par Adrien Pécout
6 minutes
Stade, j’écris ton nom

À quelques heures de l’Euro, mardi soir, l’équipe de France a rossé l’Estonie (4-0). Au Mans, et plus précisément au MMArena. Une forme de consécration pour le premier stade français à avoir fait l’objet d’un naming, dès 2011. Bienvenue au pays du foot business….

Pour vendre leur lessive, les grosses sociétés disposent d’un moyen peut-être plus subliminal que les maillots de foot ou les panneaux au bord de la pelouse. Elles peuvent carrément recourir au naming (nommage, en VF), ce procédé par lequel une marque paie pour prêter son nom à une enceinte sportive.

Une méthode publicitaire observable dès 1913 avec le Philips SportPark d’Eindhoven. En vogue dans les pays anglo-saxons depuis les années 2000, le naming n’est apparu en France qu’en janvier 2011. Le nouveau stade du Mans, où la France a gagné, avant-hier, contre l’Estonie, a été inauguré sous le nom de MMAarena. Il portera les initiales des Mutuelles du Mans Assurances au moins jusqu’en 2021. Et le vieux repaire de Léon-Bollée dans tout ça ? Démoli cette année.

Certifié par L’Argus de la presse

Ce sponsoring un peu particulier sourit, pour l’instant, à la célèbre compagnie d’assurances. Stéphane Daeschner, dircom chez MMA, l’explique à grands renforts de chiffres : « L’an dernier, le stade a généré 1 800 occurrences dans les médias, d’après L’Argus de la presse. Ce qui représente l’équivalent de 2,7 millions d’euros de dépenses publicitaires. Bien sûr, même si le naming sert à renforcer notre image de marque, nous continuons aussi à faire connaître nos offres grâce à de la publicité traditionnelle. » Zéro tracas, zéro blabla, on connaît la chanson.

Au total, le naming coûtera 13 millions d’euros à MMA. L’entreprise a déjà réglé un acompte de 3 millions d’euros et s’est engagée à verser 1 million par an de 2011 à 2021. Attention, l’argent n’ira pas dans les poches du Mans FC. Le club a beau recevoir ses adversaires de L2 au MMArena, le stade ne lui appartient pas. En réalité, le pactole garnira le porte-monnaie du concessionnaire privé Le Mans Stadium. Cette filiale de Vinci, géant du BTP qui a construit le stade, gérera le lieu durant ses 35 premières années. Ce n’est qu’ensuite que la mairie du Mans en prendra le contrôle, en vertu d’un contrat de concession, sorte de partenariat public-privé (PPP).
Baptiser, plutôt que débaptiser

Finalement, MMA n’aura donc à débourser « que » 13 millions pour imposer sa griffe sur le bloc de béton et dans l’esprit des gens. Il faut dire que le club du Mans stagne seulement en deuxième division. Aussi, on est à des années-lumière du contrat liant Arsenal à Fly Emirates. Signé en 2004, ce deal s’élève à 147 millions d’euros sur quinze ans !

Un point commun entre Londres et la Sarthe, toutefois : le naming concerne un stade sans histoire et sans nom. C’est toujours plus commode que de renommer un lieu auquel le public a pu s’attacher. En 2005, par exemple, le président Olivier Sadran entendait faire du TéFéCé le premier club français à lancer un naming, avec l’entreprise Orange. Mais il aurait fallu renommer le Stadium. Hors de question pour les (rares) supporters du club. « Pour que le naming paraisse légitime, il faut que le stade concerné sorte de terre, il faut que la marque ait une image de bâtisseuse. À l’inverse, si elle débaptise un stade déjà existant, c’est comme si elle volait un élément de patrimoine » , analyse Gilles Dumas, cofondateur de Sportlab, agence spécialisée en sponsoring.

Argent vs patrimoine culturel

Pour le Front de gauche, la question n’est même pas de savoir si le naming est préférable dans des stades neufs ou anciens. Le programme de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle prévoyait d’abolir le naming. Car rien ne saurait justifier la marchandisation croissante du sport. Explications de Nicolas Bonnet, responsable de la commission sport du PCF : « Lorsqu’une marque baptise ou rebaptise un stade, l’argent prend le pouvoir sur l’Histoire et le patrimoine. Si l’on veut que les marques occupent tout l’espace public, on n’a qu’à vivre dans un centre commercial… Mieux vaut nommer un stade en l’honneur d’un résistant ou d’un quartier. » Tel est le cas du stade Auguste-Delaune de Reims – où les Bleus ont dominé la Serbie (2-0) le 31 mai – du nom d’un dirigeant communiste battu à mort par les nazis.

À chaque fois qu’un constructeur, un club ou une mairie envisage le naming, c’est toujours le même argument qui revient : il faut débloquer des fonds supplémentaires pour boucler la construction du stade ou sa rénovation. « Aujourd’hui, le naming ne procure que des ressources complémentaires, mais ce sont souvent les apports marginaux qui font la différence » , estime Gilles Dumas, de Sportlab. En ce qui concerne le MMArena, le budget global du projet s’élève à plus de 100 millions d’euros, financé en majorité par la mairie du Mans, Le Mans Stadium et Vinci. MMA n’aura en fait injecté que ses 3 millions d’euros d’acompte.

Une exception culturelle française

Cela semble déjà suffire au bonheur de Jean-Claude Boulard, maire socialiste du Mans, plutôt à l’aise avec la publicité : « MMA nous apporte des ressources et allège les charges des contribuables pour la construction du stade. Tant mieux, car le football professionnel demande beaucoup d’argent et ne concerne pas tout le monde. » L’édile apprécie d’autant plus cette manne qu’elle provient d’une firme locale, créée en l’an 1828, dans l’actuelle préfecture de la Sarthe.

Contrairement à l’Angleterre, la Scandinavie ou l’Allemagne, le naming reste à l’état embryonnaire dans l’Hexagone. Sauf pour le MMArena, la Park&Suites Arena (mai 2011) – occupée, entre autres, par les handballeurs montpelliérains – et le MatMut Stadium des rugbymen lyonnais (novembre 2011). Ou encore le polyvalent Kindarena de Rouen, qui sera inauguré en septembre 2012. Pourquoi ce constat ? La plupart de nos complexes sportifs appartiennent aux mairies et aux collectivités locales. Et non aux clubs. Ce qui limite les possibilités de montages financiers. « Sous l’impulsion des communistes et des gaullistes, surtout depuis les années 60, la France conçoit le sport comme un service public, rappelle Nicolas Bonnet. Ce n’est pas pareil dans les pays anglo-saxons, très libéraux, où les orientations sportives reposent sur le secteur privé. »

L’Euro 2016 comme catalyseur

À l’approche d’un Euro 2016 organisé en France, les choses sont cependant en train d’évoluer. Les stades français en construction ont prévu d’imiter le MMArena, toujours au motif de financer leurs travaux (mais de manière plus significative qu’au Mans). C’est prévu à Lille, Nice, Bordeaux et, bien sûr, à Décines, dans la banlieue lyonnaise. Le big boss de l’OL, Jean-Michel Aulas, espère tirer du naming entre 100 et 150 millions d’euros. Et ce, sur dix ou quinze ans. Un conseil : songer aussi à rentabiliser les poteaux de corner. Certaines enseignes seraient peut-être intéressées par l’idée de les baptiser.

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