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Srna, au nom du père
A jouer à la périphérie du gratin européen, Darijo Srna reste un joueur mésestimé. Uniquement transférable sur Football Manager, le capitaine du Shakhtar est un type à l'ancienne dont la parole compte.
« Sa présence sur le terrain rassemble l’équipe. C’est un vrai capitaine » . Le compliment dans la bouche de Lucescu a du poids. A l’heure où les joueurs s’échangent à la vitesse d’une chaude-pisse dans un lupanar oriental, Darijo Srna est un modèle de loyauté. Huitième saison au charbon sous les couleurs du Shakhtar quand les sites du monde entier aiment à l’envoyer partout et nulle part – Inter, Chelsea, Madrid, PSG – comme un running-gag éculé. Sauf qu’à Donetsk-la-minière, l’international croate est du genre chef d’équipe : lampe frontale sur le casque et manches retroussées. Heureusement il arrive que la fidélité, notion aussi étrangère au football moderne que l’abstinence chez Berlusconi, paye. Ainsi, Srna joue désormais les premiers rôles sur la scène européenne, se payant même le luxe en 2009 de remonter à la surface avec une Coupe de l’UEFA, une passe décisive en finale face au Werder et un titre de MVP fourrés au fond du wagonnet. Partir ? En voilà une idée bizarroïde… « Aujourd’hui, je joue pour l’une des meilleures équipes d’Europe. Le Shakhtar m’a énormément apporté. Je pense que je terminerai ma carrière ici » .
« Mon père a eu une vie difficile »
La carrière de Srna est indissociable d’une histoire familiale lourde à porter. Uzeir, son père, a tout connu. Né peu avant la deuxième guerre mondiale dans la Bosnie actuelle, il voit sa mère enceinte immolée par des nationalistes yougoslaves, atterrit dans un camp de réfugiés où il est séparé de son père qui meurt, plus tard, d’une balle perdue puis parachuté dans un orphelinat avant d’être adopté par un flic slovène. Retrouvé par son frère, Uzeir Srna retourne en Bosnie devenant tour à tour boulanger, militaire, ingénieur tout en embrassant une modeste carrière de gardien de but qui le mène du FK Sarajevo à Metkovic ; en Croatie, lieu de naissance de Darijo. Dès qu’il entame sa carrière, celui-ci ne cesse de couvrir de cadeaux son père, à jamais sensible à ce douloureux passé. Il garnit notamment le garage paternel d’une Mercedes et d’une BMW ou profite des pétrodollars de Rinat Akhmetov, président milliardaire du Shakhtar, pour lui offrir une boulangerie : « Mon père a vraiment eu une vie difficile et je suis très fier qu’il puisse maintenant mener une vie calme. Mais je sais qu’il est impossible de rendre à mon père tout ce qu’il m’a donné » , explique Darijo au Telegraph. Ce dernier se sent également redevable d’un père qui lui a enseigné les rudiments du métier. « Même s’il était petit, vous pouviez deviner qu’il avait un grand potentiel » , livre le géniteur. Les émissaires croates ne s’y trompent pas et se pressent pour accueillir le rejeton. Si la qualité du gamin ne fait aucun doute, la religion musulmane de Srna, en pleine guerre des Balkans, freine certains clubs. Finalement, l’Hajduk Split se laisse tenter suite à un essai concluant : « Darijo était tellement doué que l’entraîneur des jeunes l’a vu et a décidé qu’il resterait » , explique Uzeir.
Tatouages, cerf et trisomie 21
Après quatre saisons à l’Hajduk Split, il file au Shakhtar en 2003. En Ukraine, ses performances épousent celles du club : « Si je n’avais pas autant progressé comme joueur avec le Shakhtar, je serais probablement parti » , lâche-t-il au site de l’UEFA. Pièce maîtresse de l’effectif, le latéral offensif hérite du brassard et devient l’âme du club, supportant les appels de Brandao, et capable de pousser une gueulante au sortir d’une saison marquée par un doublé coupe-championnat en 2008 : « Pas une victoire depuis cinq matches (…) J’en ai marre de devoir faire des excuses aux fans. Nous méritons les critiques acérées de la presse » . Comme un écho au passé tourmenté de son père, il lui arrive d’inviter des orphelins au stade, allant jusqu’à payer de sa poche le transport. Toujours rayon philanthropie, il offre un terrain aux gamins de Metkovic. Malgré les bonnes actions, il reste un homme comme les autres : c’est-à-dire faillible. En 2006, il est exclu de la sélection à damiers avec deux autres coéquipiers après avoir guinché en discothèque. Sinon, en bon footballeur qui se respecte, Darijo étreint une délicieuse compagne et aime les tatouages. Puisque Srna signifie cerf en croate, il s’est fait tatouer un cervidé sur la jambe – il prétend que cela lui donne de la force – ainsi qu’un Igor au niveau du cœur, prénom du frangin atteint de trisomie.
D’ailleurs, il n’est pas rare que le buteur – vingt-deux pions au Shakhtar – lui dédit une de ces réalisations. La famille, toujours, incontournable leitmotiv dans la bouche de Srna : « Mon père et ma famille veulent tout dire pour moi. Je ne peux oublier combien ils ont souffert » . Facile techniquement, excellent centreur, il fait l’affaire tant comme défenseur en club qu’ailier en sélection mais reste aussi sous-coté que les bouquins de Pierre Siniac. Que ceux qui se plaignent de voir ce diamant à l’étroit au milieu des seconds couteaux du championnat ukrainien se fassent une raison, Srna a trouvé une nouvelle famille à Donetsk. Et comme la première, il n’est pas prêt de l’abandonner.
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