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Splendeurs et misères du journaliste de banc de touche
Incarné à merveille par Laurent Paganelli, l'homme de terrain est une particularité bien française. Une belle planque pour certains mais qui comporte aussi des risques. Refus d'interviews, réponses agressives. Olivier Tallaron ne va certainement pas nous contredire.
Parc des Princes, dimanche soir, 61e minute d’un PSG-OM où tout le monde a les yeux braqués sur un remplaçant pas comme les autres. Olivier Tallaron prend son courage et son anglais Yasser Arafat à deux mains pour s’approcher du banc parisien. L’homme de terrain de Canal + se pose aux côtés de David Beckham pour une mini-interview en plein match. Le Spice Boy, surpris, expédie deux questions « It’s football you know » avant de lui signifier d’un geste de la main de le laisser en paix. Gênant. « Au début, je sens qu’il ne veut pas me répondre, il ne comprend pas trop ce qui lui arrive. Ensuite, quand il aperçoit la caméra, il se prête au jeu. Beckham est quelqu’un de très classe, de très professionnel. Au bout de deux questions, il me fait un petit signe pour me signifier que ça suffit, qu’il est dans son match » , explique Tallaron au Figaro.fr.
L’exception française
La surprise du « bénévole » parisien est légitime. Passé par l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et les États-Unis, le beau gosse n’a jamais été interviewé en plein match. Et pour cause, il s’agit d’une spécificité française. Darren Tulett, journaliste britannique à BeIn Sport et anciennement homme de terrain sur la chaîne cryptée, est bien placé pour parler de cette particularité. « C’est une différence culturelle. Le fait d’aller s’asseoir sur le banc et d’interviewer des joueurs ou des entraîneurs pendant un match, ça n’a jamais été fait en Angleterre. Beckham a dû se demander : « C’est qui ce type à côté de moi, qu’est-ce qu’il fout, il est dingue ou quoi ? » » .
Mais le joueur du PSG n’est pas le premier à s’étonner de ces interviews en plein match. Sir Alex Ferguson peine, lui aussi, à comprendre cette pratique. « Un jour, je couvrais un match de Lille et Alex Ferguson était venu superviser les Lillois. Juste avant la mi-temps, je m’approche de lui pour lui demander si on peut lui poser deux ou trois questions mais il refuse. À la mi-temps, on est quand même allés boire un coup avec le président Seydoux et je lui ai expliqué qu’en France, le journaliste vient parler à l’entraîneur pendant le match. Il m’a dit : « La prochaine fois que tu viens à Old Trafford, essaie de venir me poser une question pendant le match et tu verras comment je vais te jeter par terre » » , se souvient hilare Darren Tulett.
Le sale travail
Le manager écossais a juste dit avec franchise ce que la plupart des entraîneurs en Ligue 1 pensent. Il est facile de concevoir qu’ils n’ont pas toujours envie de parler pendant un match. Mais comme le dit le journaliste de BeIn, « cela fait aussi partie de leur job » . Alors comment avoir les réactions des acteurs, même dans les pires moments ? La réponse est simple pour l’indéracinable Daniel Lauclair, homme de terrain de France Télévisions : le côté relationnel prime. « La qualité première, c’est d’avoir une cote d’amour auprès des joueurs. Et de savoir l’entretenir. On est dans un climat de confiance aussi » . Une méthode qui a d’ailleurs fait ses preuves. « Lors d’un match de l’OM, Niang avait été remplacé. Je m’approche de lui et il me balance un : « Qu’est-ce que tu veux toi ? » Il était très en colère, il aurait pu détruire le banc. Je lui ai dit : « Je fais que passer Mamadou ». Je me suis assis à côté de lui, tranquillement, et au bout de quelques minutes, il s’est calmé. Au bout de cinq minutes, il m’a demandé si je voulais qu’il dise un mot, je lui ai dit : « Oui, j’aimerais bien » et voilà. À la fin du match, il a enlevé son maillot en venant vers moi et m’a dit un simple : « Merci tu as tout compris » » .
La proximité avec les joueurs, c’est donc l’objectif recherché par les hommes de terrain. Même les soirs de défaite. « Quand on a une certaine complicité avec un joueur, c’est plus facile, avance Darren Tulett. Je me souviens aussi d’un match entre Benfica et Manchester United. United avait perdu, personne ne voulait venir. Ce jour-là, j’avais un pantalon violet. J’étais haut en couleur, quoi. Et puis à un moment, Gary Neville est sorti du vestiaire et s’est dirigé vers moi. Quand il m’a vu, il a commencé à se marrer et à me dire : « C’est quoi cette tenue ? » (Rires) ! Du coup, on a pu faire une interview beaucoup plus sympathique que si j’avais été habillé en gris ou en noir » .
« Un taux d’échec important »
Mais cette « fonction » n’a rien d’une science exacte. Parfois, avec tous les efforts du monde, l’interview relève de l’impossible. Une partie du métier qu’il faut accepter sans se formaliser. « Quand vous faites homme de terrain, vous savez qu’il y a un taux d’échec important. Après, ce n’est pas gênant plus que ça. Le plus important, c’est d’arriver à avoir quelqu’un. Ce n’est pas une question d’ego » , confie David Astorga. L’ancien journaliste de TF1 sait de quoi il parle, lui qui a essuyé le refus de Diego Maradona à l’issue d’une rencontre entre la France et l’Argentine (0-2), à Marseille. Le journaliste doit ainsi rester à sa place, écouter et raconter une histoire. « Avant de juger, écoutons ce qu’ils ont à dire. Je vais peut-être passer pour un vieux con mais ce qui me manque dans le journalisme aujourd’hui, c’est la capacité d’écoute. Un journaliste doit raconter des histoires mais les acteurs, c’est eux, les sportifs. Moi je préfère tendre le micro et les laisser parler » , résume Tulett.
Un micro que les journalistes anglais pourraient bientôt tendre en Premier League. Car l’homme de terrain « made in France » semble faire des émules chez nos voisins : « En Angleterre, les journalistes rêveraient de s’asseoir sur un banc en plein match ! En France, des fois, on se plaint parce que l’on nous voit trop dans les vestiaires. Certains pensent que ça banalise un peu l’intimité du vestiaire mais en Angleterre, ça n’arrive presque jamais. Les TV anglaises commencent à se dire : « Ouais, ça serait bien quand même » » . On souhaite donc bonne chance à celui qui va se coltiner Sir Alex.
Pour le plaisir des oreilles, « Paga » tente l’interview de Joe Cole en anglais.
Par Grégory Blasco, Emmanuel Guérin et Romain Duchâteau