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Spalletti, le chauve a du cœur

Par Maxime Renaudet, à Naples

Considéré jusqu'ici comme un loser incapable de gagner un titre majeur, Luciano Spalletti a fait la nique à la toute l'Italie avec son équipe du Napoli. À 64 ans, le technicien toscan va enfin remporter un Scudetto qu'il n'a pas volé. Portrait d'un entraîneur franc, généreux et attachant.

Spalletti, le chauve a du cœur

Dimanche 23 avril, un parfum de Scudetto plane dans l’air du Juventus Stadium. Le Napoli vient de battre sur le gong la Vieille Dame (0-1), et les joueurs azzurri célèbrent longuement ce succès capital acquis chez l’ennemi turinois. Les sourires sont légion, sauf sur le visage des Bianconeri, agacés par l’arbitrage du soir et frustrés par la joie adverse. Pour une fois peu expansif – et encore moins après le pion salvateur de Giacomo Raspadori -, Luciano Spalletti est pourtant pris à partie par Marco Landucci. « Chauve de merde, je te mange le cœur », lui balance l’adjoint de Massimiliano Allegri. La réponse du principal intéressé ? Filer aux vestiaires sans broncher. Une réaction surprenante au vu de son tempérament volcanique, mais qui montre la classe du bonhomme, laquelle ne dépend pas de sa calvitie, mais bien de son cœur. Un organe vital dont il se sert constamment. Comme lorsqu’il a aidé à reconstruire le terrain et les vestiaires de son club d’enfance près d’Empoli, acheté des parts pour sauver le club de Spezia en 2007, ou rendu hommage aux femmes tuées en Iran. Humain, le Toscan met aussi du cœur à l’ouvrage dans tous les vestiaires où il est passé, y compris celui qui abrite cette fantastique équipe du Napoli. Cette dernière le lui rend bien, puisqu’elle va lui permettre de remporter, enfin, son premier titre de champion d’Italie. Une reconnaissance tardive pour cet entraîneur qui n’a jamais renié ses principes ni ses valeurs.

Sacchi + Zeman = Spalletti

Si l’histoire de Luciano Spalletti sera liée à jamais à celle du Napoli, c’est en Toscane qu’elle a commencé. Une terre qui compte plus que tout à ses yeux, car c’est là que ses parents ont élu domicile en 1967, un an après l’inondation de Florence qui a causé 35 morts dans la région. Fils d’un garde-chasse et magasinier dans une verrerie d’Empoli, décédé en 1984, il commence le foot à Avane, dans la banlieue d’Empoli, avant de rejoindre à 12 ans la Fiorentina. À cette époque, le jeune Lucio a encore beaucoup de cheveux sur le caillou, mais déjà un tempérament de feu. C’est ce qui pousse d’ailleurs la Viola à le mettre à la porte après seulement quatre saisons, l’obligeant alors à entamer une carrière de joueur de seconde zone. Jusqu’au jour où il croise la route à Entella d’un certain Gian Piero Ventura, qui l’emmène dans ses valises à Spezia (Serie C1). C’est là-bas qu’il rencontre sa femme Tamara, et qu’il devient enfin pro. Un succès d’estime qui arrive sur le tard, un peu comme aujourd’hui avec ce Scudetto inattendu, qui va lui permettre de prolonger automatiquement son bail napolitain d’une année.

Comme Zeman ou Sacchi, je pars de convictions, qui sont le jeu à terre, le mouvement et les redoublements de passe, mais il faut aussi que je m’adapte à la réalité, à faire la balance entre le souhaitable et le possible.

Spalletti à SoFoot, en 2014.

Milieu de terrain offensif capable de jouer partout, sauf devant le but et dans les cages, Spalletti terminera sa carrière à Empoli, présidé alors par Fabrizio Corsi, dont il est devenu l’ami quelques années plus tôt, lors d’une soirée en discothèque. « La deuxième saison à Empoli, il n’a pas beaucoup joué à cause d’un problème chronique au genou, et dans une période difficile, nous lui avons confié l’équipe pour les barrages afin de ne pas descendre en Serie C2, confiait Corsi au Cronache di Spogliatoio. Il a préparé l’équipe de façon exceptionnelle, et nous nous sommes sauvés. » Hélas, faute de diplôme, Spalletti retourne coacher les jeunes, et bosse en parallèle dans l’usine de meubles créé par son frère aîné Marcello, décédé en 2019. Cette double vie ne dure pas longtemps, puisque Corsi lui confie les clés du camion pour la saison 1995-1996. Un choix déterminant dans l’histoire du club toscan, qui va passer de la Serie C à la Serie A en deux ans. Voilà le premier coup d’éclat de Luciano Spalletti sur un banc, lui qui réussira à maintenir les Azzurri parmi l’élite la saison suivante, après avoir feint de douter de ses compétences pour entraîner à ce niveau-là.

Alberto Malesani et Spalletti lors de la saison 97/98 – © Massimo Sestini
Alberto Malesani et Spalletti lors de la saison 97/98 – © Massimo Sestini

Pourtant, des banderoles « Sacchi + Zeman = Spalletti » font leur apparition dans les tribunes du stade Carlo Castellani, et les comparaisons avec le technicien tchèque – son premier adversaire sur un banc de Serie A – se multiplient. Lui aussi amateur de verticalité et de défense en zone, le natif de Certaldo est toutefois moins buté que le Bohémien. Et sans doute aussi un poil plus pragmatique. « Comme Zeman ou Sacchi, je pars de convictions, qui sont le jeu à terre, le mouvement et les redoublements de passe, mais il faut aussi que je m’adapte à la réalité, à faire la balance entre le souhaitable et le possible », confiait-il à So Foot en 2014. Un mantra que Spalletti s’est efforcé de mettre en application depuis toutes ces années, lui qui aime mélanger, recycler, s’adapter et inventer. « Dans le domaine tactique, Spalletti a toujours été un innovateur. Ce qui m’étonnait chez lui à l’époque, c’était sa curiosité d’acquérir toujours plus de connaissances, constatait Fabrizio Corsi. Aujourd’hui encore, beaucoup d’entraîneurs se prennent pour des savants quand les premiers succès arrivent, mais pas lui. »

Orgueil et préjugés

Le maintien d’Empoli en Serie A ne lui fait pas prendre la grosse tête, mais lui ouvre successivement les portes de la Sampdoria et de Venise, où il troque le jogging pour le costard. Puis celles de l’Udinese, où il coache pendant trois saisons et demie une pléiade de noms excitants : Nestor Sensini, Carsten Jancker, Antonio Di Natale, Vincenzo Iaquinta, David Pizarro, Stefano Fiore, Marek Jankulovski, ou Sulley Muntari. Dans le Frioul, il réussit même un exploit : qualifier le club en C3, puis en C1. C’est le deuxième coup d’éclat du Mister dans sa carrière, celui qui lui donne le droit de prendre en main une grosse cylindrée du pays : la Roma.

Il y a beaucoup de similitudes entre ce qu’il propose à Naples, et le jeu qu’on pratiquait avec lui à la Roma.

Ricardo Faty, ancien joueur de la Roma

Et pas n’importe quelle Roma. Celle qui va enchaîner 11 victoires de suite en Serie A en 2005-2006, battre le Real Madrid à Bernabéu, et faire des misères à l’Olympique lyonnais d’Anthony Réveillère. Tout ça grâce à un jeu offensif qui ressemble, à s’y méprendre, à celui du Napoli version 2022-2023. « Dans ce jeu direct en une touche de balle, dans ses circuits préférentiels, la recherche en pivot ou en profondeur de l’attaquant, et dans les profils de ses joueurs, il y a beaucoup de similitudes entre ce qu’il propose à Naples, et le jeu qu’on pratiquait avec lui à la Roma, analyse Ricardo Faty, qui a joué sous ses ordres entre 2006 et 2007. Il s’appuie sur des milieux de terrain très performants, comme nous à l’époque avec Perrotta, De Rossi, et Pizarro, mais aussi sur des cracks devant, comme avec Totti et nos ailiers brésiliens : Mancini et Taddei. » Autre similitude, et pas des moindres, son comportement au bord du terrain, qui frôlait déjà parfois la folie. « Je me rappelle qu’une fois, après un début d’action qui ne s’était pas déroulée comme il voulait, il a baissé la tête et a fixé le sol pendant au moins 30 secondes, dépité, se remémore Faty. On a marqué à la fin de l’action, mais le mec n’a eu aucune réaction, il est resté encore la tête baissée en train de pester. »

Eh oui, en plus d’être un poil pointilleux dans les schémas et les circuits qu’il fait répéter à ses ouailles, Spalletti semble être un tantinet orgueilleux. C’est peut-être pour ça qu’il quittera aussi la Roma après quatre saisons alléchantes, un concert de louanges à son égard, mais aucun Scudetto en poche, reprochant à sa direction un manque de moyens. La suite ? Un exil réussi en Russie, où il remporte deux titres nationaux avec le Zénith, un retour à Rome où il bat le record de buts inscrits par les Giallorossi sur une saison en Serie A, mais où il a eu la lourde tâche de pousser Francesco Totti vers la retraite, quelques années après l’avoir replacé en faux numéro 9. Un détail que les journalistes italiens n’ont pas manqué de lui rappeler depuis son retour au premier plan en mai 2021, quand il a rejoint le Napoli après deux saisons loin des bancs de touche. Passé entre-temps par l’Inter, qu’il a qualifiée en Ligue des champions pour la première fois en sept saisons, Luciano Spalletti était considéré jusqu’à présent comme un loser incapable de gagner le championnat d’Italie. Mais ça, c’était compter sans cette fabuleuse saison sur le banc du Napoli. Une équipe qui a perdu plusieurs éléments phares cet été, mais que le Toscan de 64 ans est quand même parvenu à remodeler et à faire triompher.

Bisous, lutte gréco-romaine et concours de bras de fer

Après son éviction de l’Inter en mai 2019, deux jours après le décès de son frère Marcello, Spalletti aurait pu s’enticher d’une nouvelle écurie dans la foulée. « J’ai été contacté par Milan peu de temps après avoir été limogé. Ensuite, il a été décidé de me payer en restant à la maison, donc je suis resté à la maison », avouait-il en février 2020, sans vraiment préciser qu’il a refusé l’indemnité de départ proposé par l’Inter, ce qui l’a empêché de s’engager chez l’ennemi. Qu’importe, cela lui permet de retourner dans le silence des collines toscanes, la plus belle chose au monde selon lui. L’occasion de s’investir davantage dans la Rimessa, un énorme agriturismo qu’il gère avec sa femme depuis plusieurs années, et où il produit son propre vin. Une retraite au plus près de ses racines, qui lui permet également de passer du temps avec ses amis du club d’Avane, d’entraîner des chevaux, de se reposer, de lire, de mettre de l’ordre dans sa collection de maillots, et d’attendre patiemment le prochain club où il pourra poser ses valises, et ses idées.

Il était tous les jours dans le vestiaire, à prendre des nouvelles de ses joueurs, voir s’il y avait des problèmes humains plus que physiques ou sportifs.

Anthony Basso, ex-portier de l’Udinese

Malgré tout, quand il prend le contrôle de l’effectif napolitain en 2021, Lucio n’a pas l’air d’avoir pour objectif de changer de préceptes ou de méthode. Surtout pas en ce qui concerne la manière dont il manage ses troupes. « Je crois beaucoup au vestiaire, je m’entraîne comme un grand frère qui sait qu’il doit se transformer en père fouettard, mais ce n’est pas facile car je suis né de ce vestiaire. » Un dilemme qu’il évoquait déjà en 1997 lors d’un reportage de La Repubblica, et dont il semble avoir tiré sa force. « C’est quelqu’un qui va te dire les choses comme elles sont, et qui va te tirer les oreilles, dans le sens littéral du terme, pour te faire comprendre certaines choses, explique Ricardo Faty, repéré par Spalletti lors d’un match de Coupe UEFA avec Strasbourg. Mais quand ça se passe bien, il va te prendre dans ses bras, te faire des bisous, et te taquiner. C’est un mec qui est entier, et c’est pour ça que les joueurs l’aiment autant. » Spalletti est également proche de ses joueurs, peu importe leur rôle dans l’effectif. Un détail important qui a redonné confiance à Tanguy Ndombélé, arrivé à Naples cet été en provenance de Tottenham, et dont peut témoigner Ricardo Faty – régulièrement remplaçant à la Roma -, mais aussi Anthony Basso, qui l’a côtoyé à l’Udinese entre mars et juin 2001, sans jouer un match dans la peau de titulaire. « C’est vraiment un homme de vestiaire avant d’être un coach, car il a une partie humaine qui est vraiment extraordinaire, se souvient l’ancien portier français, qui n’a joué que 45 minutes de Serie A avec Udine. C’était assez surprenant, car il était tous les jours dans le vestiaire, à prendre des nouvelles de ses joueurs, voir s’il y avait des problèmes humains plus que physiques ou sportifs, ce qui permettait de libérer des choses ensuite à l’entraînement. »

Désireux de ne faire qu’un avec le groupe qu’il a sous ses ordres et profondément humain, Spalletti est aussi le genre de coach à payer la note de ses joueurs quand il les croise au restaurant, avant de les défier le lendemain. Que ce soit dans les vestiaires de l’Udinese, qui l’a vu battre Iaquinta et Roberto Muzzi au bras de fer, ou à la Roma. « Quand on avait une séance dans la salle de gym, il débarquait avec son maillot de corps, le torse bombé et il disait : “Qui veut m’affronter ?”, rejoue Ricardo Faty. Régulièrement, il m’attrapait, pour que je me batte avec lui sur le grand tatami au milieu, et il adorait faire des combats de lutte gréco-romaine, dont il était fan à l’époque. Il se donnait à fond, et il transpirait du crâne. » Un détail physique qui n’en finit pas de revenir. Peut-être parce que c’est là que son second cœur de coach se cache.

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Par Maxime Renaudet, à Naples

Propos de Ricardo Faty et Anthony Basso recueillis par MR.

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