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Spaces : le nouveau joujou de la communauté football sur Twitter
Depuis le début de l’été, la communauté football sur Twitter dispose d’un nouveau joujou : les Spaces. Au fil des semaines, ces salons vocaux accessibles à tous ont pris de plus en plus d’ampleur, jusqu’à rassembler plusieurs milliers de personnes en pleine nuit. Alors, simple mode ou nouvelle façon de vivre sa passion pour le ballon rond ?
Après Thomas Pesquet qui tweete sur le foot depuis l’espace, on peut maintenant parler de foot dans des Spaces sur Twitter. Cette nouvelle fonctionnalité du réseau social préféré des supporters en colère est la principale nouveauté de la saison 2021. Apparus au printemps dernier, les Spaces déboulent dans le monde du ballon rond depuis cet été. Le principe : un salon vocal auquel n’importe quel compte Twitter peut participer, à condition d’avoir une connexion et des écouteurs fiables. Treize personnes peuvent ainsi échanger, écoutées par des milliers d’autres. « Twitter a lancé ça en réaction au succès de Clubhouse(un réseau social de salons vocaux qu’on ne pouvait rejoindre que sur parrainage, NDLR). Twitter a voulu racheter Clubhouse d’ailleurs, resitue Adrien Macé, Social Media Manager de francetvsport. Mais finalement, ils n’ont pas réussi, et ont créé leur propre outil pour démocratiser le principe. » Six mois plus tard, on ne compte plus les Spaces dédiés au foot.
Hameçon, entre-soi et EELV
Tout cela a commencé avant le début de l’Euro, moment choisi par Twitter pour déployer sa nouvelle fonctionnalité. Au début, seuls les comptes avec plus de 600 abonnés peuvent lancer un Space. Pour cela, rien de plus simple : il suffit de cliquer sur un bouton, d’attendre que des followers vous rejoignent, et de parler. Une sorte d’appel de groupe, quoi. « C’est une bonne idée, pas hyper novatrice, mais basée sur la facilité d’accès et une viralité bien foutue, puisqu’on est déjà sur Twitter et qu’on peut écouter le Space en fond, tout en tweetant », résume Serious Charly, ponte de la communauté lyonnaise sur les réseaux, et CM dans le civil. Le Gone est, sans le savoir, l’un des premiers à utiliser la fonctionnalité en France, la faisant ainsi découvrir à ses 58 000 abonnés. Et pour cause : quand un utilisateur lance un Space, ses followers reçoivent une notification indiquant qu’il est en train de parler. Un hameçon qui a fait mouche.
Parmi les poissons attrapés de cette façon, Christophe Kuchly. « Sur le coup, ça ne m’a pas tenté outre mesure », reconnaît le journaliste freelance, qui est depuis tombé sous le charme de l’outil. Il y a une petite excitation, c’est amusant de voir qui t’écoute. Ça amène aussi d’autres retours sur ton travail, que tu n’as pas en podcast et par des messages Twitter. » Autre poisson attrapé par Serious Charly, Niki Shey, 39 000 abonnés et un goût prononcé pour la politique et l’OM : « J’utilisais Clubhouse, qui a vite dégringolé. Quand les Spaces sont apparus, j’y ai retrouvé les forces de Clubhouse sans le côté élitiste. » En dehors de ces noms connus dans le microcosme de l’oiseau bleu, les Spaces ont conquis les foules semaine après semaine pendant l’été, avec des audiences en hausse (jusqu’à 23 000 personnes pour un Space avec le journaliste Romain Molina). Chacun ayant sa propre consommation : régulière ou ponctuelle.
Serious Charly a lui institutionnalisé un rendez-vous hebdomadaire dédié à l’OL, chaque lundi : « Cet été, quand on se faisait chier avant la reprise de la L1, on a fait un premier Space lyonnais. Ça a bien pris, alors qu’en soi, Space est un outil un peu pété, avec plein de bugs, mais en même temps c’est super facile d’utilisation avec un côté radio libre. » Voilà qui explique le succès des Spaces, qui ont une autre force : ils sont en direct et non enregistrés. Ce qui, forcément, crée un rendez-vous à ne pas manquer. Autre raison du succès : l’interactivité. « Ça permet de donner la parole à des gens qu’on n’entend pas trop, apprécie Charly. Moi, j’ai des moyens d’expression, mais là on peut donner la parole à des gens qui n’en ont pas. C’est ceux-là que je veux entendre. » Parfois, les Spaces réussissent même à briser des barrières sociétales, comme lorsqu’un député EELV débarque dans un Space OL, ou que le président du SCO Angers s’invite dans un autre. « C’est ça l’intérêt du truc. Twitter n’a rien inventé, un Space, c’est juste un salon vocal comme Discord où ce qui se fait depuis 15 ans. Sauf que Space a la force de frappe de Twitter », conclut Charly. Un point de vue partagé par Basile Bilo, Twittos marseillais : « Tu as l’impression de parler à un pote. Quand il y a un invité, il n’est pas en interview, mais il discute. On apprend des trucs, des anecdotes. »
Un algorithme et des questions
Très simples à mettre en place, les Spaces accouchent de formats variés. De l’influenceur qui débat avec sa communauté (type SeriousCharly) à des Spaces 100% supporters, en passant par ceux, presque invisibles, entres potes . « On voit même aujourd’hui des Spaces sans thématiques où on parle de tout et rien, se marre Niki Shey, qui a déjà bien fait le tour de la question. J’y voyais plus un intérêt politique, surtout à l’approche de la présidentielle. Mais Twitter reste une bulle à ce niveau-là. » La supportrice de l’OM y voit plutôt un intérêt pour le football : « Sur les Spaces de foot, je vois du vrai débat, des échanges de qualité. Ça m’impressionne, c’est mieux que sur certains plateaux TV. En politique, l’entre-soi peut faire très mal, parce qu’on confisque la parole. Là, ça fait juste plaisir de parler de ton club avec des gens qui le connaissent vraiment, et qui l’aiment aussi. »
Cet entre-soi positif, on le retrouve dans d’autres Spaces qui cartonnent : ceux qui s’organisent entre supporters, à l’image du Marseille Night Talk Club lancé cet été par deux Marseillais, qui rassemble chaque soir des centaines de Phocéens entre 23h et 1h. L’un des deux papas du bébé, Chevalier Roze, raconte : « Le but n’est pas de parler aux journalistes ou aux stars, même si on a des invités quand on peut, comme Jacques Faty. Nous, on parle à et avec tout le monde, entre supporters. » En parallèle, et comme beaucoup de Spaces, le Marseille Night Talk Club s’est même délocalisé sur Twitch pour ouvrir la discussion au plus grand nombre, l’outil Twitter n’ayant pas de chat intégré : « Ça permet aussi le replay pour ceux qui ont raté le truc. Mais on est en mode galère, hein : je streame sur l’iPad, j’ai le Space sur un iPhone, et le chat sur un autre iPhone. » Et le conducteur de l’émission dans tout ça ? «
Derrière cet exemple se cache une vraie force : les Spaces fédèrent les communautés. « Dans la communauté lyonnaise, j’ai commencé à faire ça, puis d’autres ont suivi. À un moment cet été, on avait quasiment un Space OL tous les soirs », rejoue Charly. Ça allait des supporters aux journalistes comme Hugo Guillemet, ou même à des gens du club comme Amaury Barlet, un coach des jeunes de l’OL. » Mais comme souvent avec les réseaux sociaux, il y a aussi une question d’algorithme derrière tout cela. Car lorsqu’on se connecte sur Space, plus on a de followers, plus on apparaît haut dans la liste, et donc plus on a de chance d’obtenir la parole distribuée par l’hôte. D’autant que l’organisateur va avoir tendance à ne pas tendre le micro à n’importe qui, histoire d’éviter les trolls, qui sont toutefois peu nombreux sur les Spaces selon Charly : « Paradoxalement, je m’y attendais parce que Twitter est assez toxique, mais ça n’est jamais arrivé. Le contact vocal immédiat et l’effet groupe incitent à la cordialité. Après, si certains veulent en faire un outil de clash à la TPMP, ils le feront. »
Sans concurrencer les émissions classiques, qui auront toujours pour elles le budget, les audiences, le réseau et le savoir-faire, les Spaces font souffler un vent de fraîcheur. Et même un air de déjà-vu pour beaucoup, qui y voient une transposition du café du stade. Tout simplement. « Tu vas échanger avec des gens que tu ne connais pas, mais qui ont tout pour devenir ton ami, qui ont la même passion. Tu échanges pour échanger, pas forcément pour l’audimat », résume Niki Shey. Charly complète : « Les stades se sont barrés des centres-villes. Maintenant, après le match, tu dois rentrer, sinon tu n’as plus de transports. Forcément, tu n’as plus le temps de débriefer au bar du coin. Ces lieux de communion, de débrief, n’existent plus. » L’avenir des Spaces sur le football semble donc tout tracé. À condition que Twitter ne supprime pas la fonctionnalité du jour au lendemain, comme ce fut le cas avec les Fleets, s’inquiète Chevalier Roze : « Si ça arrive, je ne suis pas sûr d’aller sur Twitch ou Discord, on est des Twittos, nous, à la base ! »
Par Adrien Hémard
Tous propos recueillis par AH