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Southgate, la métamorphose continue
Deuxième de son groupe de Ligue des nations avant de recevoir la Croatie dimanche, l’Angleterre peut valider son ticket pour le Final Four en cas de succès, ce qui viendrait valider son évolution en matière d’approche depuis la Coupe du monde et son côté protéiforme.
Débarqué dans le grand monde du foot de sélections le 17 novembre 2010, à l’occasion d’un Angleterre-France joué à Wembley, Jordan Henderson a déjà eu affaire à mille verrous. Puis, d’un coup, lors d’un été passé en Russie, le capitaine de Liverpool en a vu un sauter : oui, l’Angleterre est de retour, pour de bon. Attention, pas d’emballement, le dernier Mondial devant avant tout servir de base, contrairement à celui de 1990, qui représentait avant tout le pic d’une génération extraordinaire. Pourtant, en revenant de Moscou en juillet, quelques jours après la demi-finale perdue par les Three Lions face à la Croatie (1-2, a.p.), le milieu international s’est fait une promesse : affronter la défaite et l’avaler une seconde fois, au fond de son canapé. « Je voulais apprendre, expliquera-t-il alors quelques semaines plus tard à la presse anglaise. J’avais besoin de voir ce que j’aurais pu faire de mieux dans ce match, ce qu’on aurait pu faire, en tant qu’équipe, de mieux et également comprendre la façon dont on avait géré certaines situations. Je dois admettre que cela n’a pas été simple d’appuyer sur le bouton pour lancer et revoir le match, sachant que je connaissais son issue. C’est difficile, mais je pense que tu dois passer par ce genre de moments. » En revenant à St George’s Park début septembre, Gareth Southgate a ainsi saisi le retour aux affaires de son groupe pour refermer définitivement le livre de la Coupe du monde 2018. Ne pas oublier, trouver un pourquoi à l’échec et repartir : voilà comment l’histoire a repris.
Le procédé avant le résultat
Et aussi, comment elle a évolué, grâce à un groupe de Ligue des nations musclé, qui aura permis à l’Angleterre de retrouver directement la Croatie, mais aussi l’Espagne, une nation qu’elle n’avait plus réussi à dominer depuis le mois de novembre 2011 (1-0, but de Lampard). « Si on veut grandir et atteindre un niveau encore supérieur, nous devons affronter ce genre d’équipes, prévenait alors en début de campagne Henderson. C’est un défi parfait pour nous, surtout après ce qu’on a fait au Mondial. » Pour Southgate, affronter la Croatie et l’Espagne aura surtout été l’occasion d’ouvrir un nouveau module de travail avec ses hommes : on ne défie pas ces types-là avec une défense à trois, un système maîtrisé en Russie face à des nations plus « faibles » , l’Angleterre l’a appris dès son premier match contre l’Espagne, le 8 septembre, tout en recevant au passage une leçon de maîtrise totale (1-2). Résultat, dès le déplacement à Rijeka en octobre, Gareth Southgate a réinstallé un 4-3-3 plus adapté, qui aura permis aux Three Lions d’accrocher un nul en Croatie (0-0) et surtout de battre la Roja à Séville (2-3) alors qu’elle n’avait plus perdu un match officiel à domicile depuis 2003. Le plus important ici n’est pas le résultat, mais le procédé, et c’est sur ce procédé qu’il faut juger le travail d’un entraîneur.
Celui que réalise Gareth Southgate sur le banc de l’Angleterre est tout simplement brillant et sa force aujourd’hui est d’avoir réussi à rendre son équipe protéiforme, mais surtout d’avoir poussé ses hommes – ici, des gosses – à réfléchir sur le jeu, à se l’approprier, tout en maintenant des concepts footballistiques fixes : une exigence dans les sorties de balle, un jeu de position, l’idée que le ballon dicte le rythme des mouvements. En Espagne, les Three Lions n’avaient rien à voir avec la version vue cet été en Russie, c’était autre chose : du foot de contre-attaque, où les ailiers (Sterling, Rashford) ont un rôle central pour fermer et exploiter l’intérieur du jeu ; du jeu long Pickford-Kane qui permet de sauter le milieu de terrain et de libérer des espaces (ce qui a amené les buts à Séville) ; un bloc compact au milieu qui force un adversaire incapable de vivre sans le ballon (l’Espagne, la Croatie) à écarter au maximum et qui rend impénétrable l’axe du terrain (le trio Dier-Winks-Barkley avait été excellent dans ce rôle en octobre). Ce 4-3-3 permet aussi à l’Angleterre d’enfin « dicter sa vision » des choses comme l’a bien expliqué récemment Southgate et a des relents de guardiolisme. Longtemps critiquée, l’arrivée d’entraîneurs étrangers en Premier League, notamment Pochettino et Guardiola, a permis aux joueurs anglais de réfléchir en jouant, peu importent les systèmes.
La copie de City
Jeudi soir, contre les États-Unis (3-0), au cours d’une soirée marquée par la 120e sélection de Wayne Rooney et une large revue d’effectif qui aura vu Callum Wilson, Lewis Dunk (assez dépassé au cours de la soirée) et surtout Jadon Sancho croquer dans leur première titularisation internationale, on a revu tout le cocktail : des ailiers dynamiques et créateurs (Lingard, Sancho), deux milieux (Alli et Winks) qui permettent de maîtriser les transitions et un six (ici Delph) qui passe les plats tout en assurant l’équilibre de l’ensemble. Aujourd’hui, l’Angleterre est une copie de Manchester City dans son idée de construction – ce n’était pas le cas de l’Allemagne lorsque Guardiola était au Bayern – et, s’il ne faut pas tirer de conclusions définitives après une victoire contre une équipe qui ne s’est pas qualifiée au dernier Mondial à la suite d’une défaite contre Trinité-et-Tobago, tout ça est plus que positif. Seul bémol de cette première copie de la semaine : le jeu sans ballon, le pressing anglais se montrant moins intense au fil de la soirée, ce qui a bien agacé Southgate. Un Gareth Southgate qui a d’ailleurs prévenu : « Si on laisse cette liberté à la Croatie, on perdra dimanche. » Mais ça, tout le monde le sait et Jordan Henderson, entré en seconde période jeudi, l’a même revu à la télé durant l’été. Cet Angleterre-Croatie aidera pour de bon à mesurer les temps de passage : prêt ?
Par Maxime Brigand