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Sous le Rocher, la plage !
Trois ans après avoir été admis par l’UEFA, la Fédération gibraltarienne est devenue en mai dernier le 211e membre de la FIFA. Une sélection semi-amateur, à deux éléments près, en lice pour la Coupe du monde en Russie. Et Gibraltar croit dur comme fer à sa première victoire en match officiel !
Ce lundi, M. Bosio était absent. Comme la semaine dernière. D’ailleurs, mardi non plus, il ne viendra pas au collège. M. Bosio est professeur d’anglais, il enseigne la langue et la littérature. Mais le jeune enseignant de vingt-cinq ans a une bonne excuse : il est sélectionné par Gibraltar pour disputer les qualifications de la Coupe du monde ! Comme le milieu défensif de la sélection, la plupart des joueurs de l’équipe nationale sont semi-professionnels. Travaillent de neuf heures du matin à cinq heures l’après-midi et s’entraînent au moins cinq fois par semaine avec leur club, une ou deux fois par mois avec la sélection. Ils sont greffier, pompier, douanier, policier, agent maritime…
10% de la population impliquée dans le foot
Gibraltar est un bout de territoire sur 6,8 km2 de la Couronne britannique à la pointe sud de l’Espagne (et toujours revendiqué par l’Espagne) où vivent 30 000 âmes – dix fois moins qu’en Islande. Un réservoir pas vraiment suffisant pour former une sélection nationale de renom. Mais le Rocher vit le foot. « Le week-end, les gens se retrouvent tous au pub pour regarder la Premier League. Entre les joueurs, les éducateurs, les arbitres et l’administration, 10% de la population est impliquée dans le foot » , certifie Dennis Beiso, le secrétaire général de la Fédération gibraltarienne.
Il y a un peu plus de trois ans, l’association adhérait à l’UEFA au bout d’un long combat enclenché en 1997 qui s’est conclu devant le Tribunal arbitral du sport. Pour son premier match amical contre une grande nation, Gibraltar accroche la Slovaquie 0-0. D’ordinaire habitués à affronter des équipes comme Rhodes, l’’île de Wight ou Guernesey lors des Jeux des îles (même si son territoire n’est qu’une presqu’île), Gibraltar allait bientôt affronter les champions du monde allemands. Pas de miracle cependant lors des éliminatoires de l’Euro 2016 : dix matchs, dix défaites – pas mal de raclées : 0-7, 7-0, 6-1, 0-7, 8-1 –, deux buts marqués, cinquante-six encaissés !
« Justice a été rendue »
Puis un nouveau bras de fer s’enclenche avec la FIFA. Après avoir refusé dans un premier temps la demande, la FIFA finit le 13 mai 2016 par reconnaître Gibraltar comme 211e membre, après le Kosovo, sur une nouvelle recommandation du TAS. « Justice a été rendue » , lance Dennis Beiso. « Pour nous, les joueurs, c’était la cerise sur le gâteau. Une fierté immense, appuie Jamie Bosio. On allait pouvoir jouer contre le reste du monde ! » Au programme du groupe des éliminatoires pour la Coupe du monde en Russie : Chypre, l’Estonie, la Bosnie-Herzégovine, la Grèce et surtout la Belgique. Reste une question : les Rouge et Blanc vont-ils encore servir de paillasson sur lequel s’essuient les pieds de leurs adversaires ?
À y regarder de près, les derniers résultats sont encourageants. Pour le premier match des éliminatoires du Mondial, Gibraltar a perdu 1-4 contre la Grèce, sans encaisser le moindre but en seconde période, quand l’adversaire prend habituellement le dessus physiquement. Vendredi dernier, à Tallinn, les hommes de Jeff Wood sont rentrés au vestiaire sur un score de parité (0-0) avant d’en prendre quatre par l’Estonie dans le deuxième acte (4-0). « On progresse doucement. Il n’y a pas eu de déclic particulier, mais par rapport à nos premiers matchs officiels en 2014, on sent qu’on réussit plus de passes, plus de tacles, on est davantage compétitifs » , témoigne Jamie Bosio. En outre, les champions locaux du Lincoln FC ont plié le Celtic (1-0) au deuxième tour aller préliminaire de la C1 en juillet dernier (défaite 3-0 en Écosse).
Un nouveau stade pour passer un cap
Et il y a bien un stimulus qui pourrait faire passer un cap au football sur le Rocher : l’Europa Point Stadium, un nouveau stade de 8 000 places, à bâtir sur un terrain de cricket, face au Détroit. Car jusqu’ici, Gibraltar reçoit dans le minuscule Victoria Stadium (2 000 places) en amical et doit se déplacer à l’Estádio Algarve, au Portugal, pour les rencontres officielles. « C’est comme si on jouait tous nos matchs à l’extérieur, regrette Jamie Bosio. Les fans ne sont que quelques centaines parce qu’ils doivent faire 10h de voyage aller-retour pour venir à Faro. »
Initialement prévu pour l’automne 2016, le projet du nouveau stade est repoussé à cause de l’opposition locale, qui estime – entre autres – que le stade pourrait dénaturer le paysage et saturer le trafic routier les jours de match sur un territoire si exigu. Dennis Beiso assure, lui, que le projet est en marche. « L’enceinte sera sur pied en septembre 2018. Ce stade, c’est crucial. Premièrement, ce n’est pas soutenable pour nos supporters de ne pas jouer dans notre propre pays. Deuxièmement, financièrement, nous serons exonérés des coûts de déplacement au Portugal et pourront lever nos propres recettes billetterie pour développer le football à Gibraltar. » En attendant, la plupart des Gibraltariens vivront le match contre la Belgique au pub ou devant leur télé. À commencer par les élèves de M. Bosio : « La première chose dont ils me parleront mercredi matin, c’est du match ! »
Par Florian Lefèvre
Tous propos recueillis par FL // remerciements à Anthony Wolfstyn, auteur du documentaire Gibraltar, si petit face aux géants du football