- C1
- 8es
- Barcelone-Lyon
Sous la toison de Jason Denayer
S’il a longtemps couru après la fameuse « confirmation », censée suivre automatiquement la « révélation », Jason Denayer n’a cependant eu besoin que de six petits mois pour s’imposer comme le patron de la défense lyonnaise. Enfin.
Il n’a pas encore passé une saison complète à l’OL, mais Jason Denayer fait déjà partie des meubles. Du genre solide, robuste, pratique, esthétique, malgré quelques éraflures subies lors des déménagements précédents. « Je savais que je n’aurais pas de mal à m’intégrer(à Lyon), puisque je commence tout doucement à avoir l’habitude de débarquer dans un vestiaire sans connaître personne, vanne-t-il avec ses compatriotes du Soir. Ma mère m’avait dit qu’elle avait lu certaines choses comme quoi les gens en France ne me connaissaient pas. Honnêtement, ça, typiquement, c’est le genre de trucs qui me passent au-dessus. » Mais après sa performance impressionnante de l’aller contre le Barça, ajoutée à six premiers mois de haute facture dans la capitale des Gaules, le Belge a peut-être enfin mis la main à 23 ans sur cette fichue Toison d’or. Celle après laquelle il n’a cessé de courir pendant toute sa jeune carrière.
Va-nu-pieds
Pourtant, il aurait très bien pu ne rester qu’un mythe. De ceux qui prennent de l’épaisseur les années passant et ne se dégonflant pas tant qu’aucune preuve ne le met à terre ou que rien ne le sort de sa dimension chimérique. Aussi bien dans les esprits que dans la littérature, Jason Denayer a longtemps été cantonné au titre de « nouveau Vincent Kompany » ou encore de « futur grand défenseur d’Europe » . Comme si un oracle avait un jour prophétisé que l’avenir du poste serait un type qui a commencé sa carrière pieds nus. Jason Denayer a bien fait une partie de son apprentissage sans grolles. Plus précisément à l’Académie Jean-Marc Guillou où il a débarqué en provenance d’Anderlecht à 13 piges. « La première fois que j’y suis allé, j’avais pris mes chaussures, racontait-il dans les colonnes du Mail. Et puis j’ai vu le panneau sur la porte, indiquant « pas de chaussures ». C’était très bizarre, au début ça faisait très mal ! Quand vous jouez, vous vous brisez les orteils, mais j’ai tellement amélioré ma technique. Donc oui, ça marche. »
À Lier, le garçon né d’un père belge et d’une mère congolaise et qui a grandi à Ganshoren, commune populaire à l’ouest de Bruxelles, se fond dans le moule de la JMG Football et commence à se définir en tant que joueur. « À Anderlecht, il était ailier gauche, témoignait à L’Équipe Vincent Dufour, le manager général. La seule chose qu’on lui a dite : il ne pouvait pas jouer devant. Et il a accepté sans problème. » Les pieds sur terre, Jason s’est donc mis à rêver d’un chemin doré. C’est d’ailleurs à sa propre initiative qu’il laisse derrière lui sa Belgique, à 16 ans, pour aller toquer à la porte des grands d’Angleterre : Liverpool et Manchester City. Dans l’attente des résultats des tests, il passera les trois mois suivants sans jouer, rongé par l’incertitude. « Maintenant que j’y réfléchis, je me dis que j’aurais eu des raisons d’avoir peur parce que c’est à ce moment-là que tout s’est joué » , assurait-il à France Football. C’est finalement Manchester City qui lui ouvra son académie.
À la recherche du temps perdu
Quelques apparitions avec les U19 permettront aux Citizens de comprendre qu’ils tiennent là un gros morceau. Le Belge file directement avec les U21, s’entraîne avec le groupe pro et signe son contrat en 2013, alors qu’il est tout juste majeur. Mais cette intégration express ne se concrétisera pas aussi rapidement sur le terrain. Désespérant de pouvoir jouer avec les grands, il prend son mal en patience sous les ordres de Patrick Vieira, coach des équipes de jeunes, qui pense connaître les raisons de ce plafond de verre. « C’était la phase défensive. On trouvait qu’il avait pas mal de lacunes et il a travaillé dessus, assure aujourd’hui le champion du monde à L’Équipe. Mais dans une équipe qui a la possession, il peut créer le surnombre, il aime toucher le ballon, construire de derrière. C’était un grand espoir et il peut rattraper le temps perdu. » C’est tout le paradoxe de Jason Denayer : un gars qui avait de l’avance, mais qui l’a dilapidée à cause de « ses choix de club qui ont fait qu’il n’a pas pu se stabiliser » .
C’est d’ailleurs le Grand Pat qui l’a poussé à partir en prêt au Celtic en 2014. À Glasgow, le dreadeux met enfin tout le monde d’accord et comprend enfin pourquoi il s’est acharné à faire tout ça. Buteur seulement 4 jours après son arrivée pour son premier match professionnel contre Dundee, « peut-être (sa) plus belle émotion en club » , il remporte ensuite le championnat, la Coupe de la Ligue et est élu meilleur jeune d’Écosse. Suffisant pour se frayer une petite place chez les Diables rouges et crever l’écran lors d’un amical contre les Bleus au Stade de France (victoire 4-3 des Belges). Soucieux de renouveler une arrière-garde vieillissante, Marc Wilmots a tout de suite cru en Jason Denayer. « Sa qualité première, c’est sa vitesse, analysait-il pour L’Équipe. Il a la puissance et une technique très propre. Il peut encore améliorer son jeu de tête défensif, mais n’est pas mauvais pour autant, il a un bon jump même s’il ne sera pas Virgil van Dijk en raison de sa taille(1,84 m). Pour le reste, il a tout. Pour moi, c’est le nouveau Kompany, sans le côté leader charismatique. » Encore et toujours cette foutue comparaison.
Du « vieux dromadaire courbaturé » à la « pieuvre »
Et c’est justement parce qu’il n’est pas Kompany que City rechigne à miser définitivement sur lui. Ce qui lui vaut d’être encore trimbalé à gauche et à droite. Ou plutôt prêté à Galatasaray (deux fois) et à Sunderland, où il vit la relégation en Championship. S’il arrive à s’accrocher au porte-bagage de la sélection pour jouer l’Euro 2016, où il est du naufrage en quarts contre le pays de Galles (élimination 1-3), sa trajectoire en club lui vaut d’être zappé durant deux longues années. Avec l’impression d’avoir laissé filer le train. Si bien que lorsque l’Olympique lyonnais, qui avait un œil sur le garçon depuis qu’il faisait ses classes à l’Académie Jean-Marc Guillou, le recrute en août dernier pour 10 millions d’euros (dont 3,5 de bonus), il n’est aux yeux de beaucoup qu’une solution de repli, le président Aulas ayant fait du Portugais Ruben Dias sa priorité.
À l’inverse, en rejoignant Lyon, Jason Denayer semble avoir enfin pris la bonne bifurcation. « Il a enfin fait le bon choix de carrière, se réjouissait Wilmots. Je me souviens avant l’Euro 2016 et juste après la finale de la Coupe de Turquie, j’ai eu l’impression d’un vieux dromadaire courbaturé de partout. Il n’avait pas assez travaillé en Turquie. Mais quand il est bien dans sa préparation, il est énorme dans l’anticipation, il défend en avançant, il n’a pas peur d’aller chercher au milieu, c’est une pieuvre. Son avenir est dans un grand club. » Avec du recul, Jason Denayer ressemble surtout à ce mec qui a été chercher des réponses là où on lui a laissé creuser, sans jamais se retourner sur son parcours sinueux. « On a tous notre propre chemin, relativise-t-il pour Le Soir. Le mien a été cabossé pendant un certain temps, mais cela m’a aussi donné l’opportunité[…]de vivre de beaux moments, puis de moins bons, c’est vrai. Est-ce que pour autant, je dois nourrir une frustration quelconque ? Je ne sais pas. Je ne crois pas. »
Chaussettes baissées et ambitions à la hausse
Pendant toutes ces années, hormis ce qui relève de son évolution sur le terrain, Jason n’a pas bougé d’un iota. « Il y avait un coach dans le staff à Sunderland qui ne trouvait pas normal que je joue avec les chaussettes baissées. Il voulait aussi que je me coupe les cheveux, raconte-t-il au Soir. On a tous des choses qu’on aime ou qu’on n’aime pas chez quelqu’un, mais je ne changerai jamais pour plaire à qui que ce soit. Pourtant, ce n’est même pas une question de style dans mon cas. » Non, juste une technique pour éviter les crampes aux mollets. Et même si « c’est peut-être dans (sa) tête » , il se sent « plus libre comme ça » . La liberté, la clé de l’épanouissement. Et c’est enfin sans le poids de son contrat avec City que Denayer a trouvé sa place, en tant que successeur de Cris et de Sam Umtiti avec l’OL.
Et quand fin septembre, lorsque lui et les Lyonnais sont allés surprendre à l’Etihad Stadium un Pep Guardiola avec lequel espérait grandir, Denayer n’a pas considéré ça comme une revanche. « Ce match, ce n’était pas Jason contre Guardiola, c’était Lyon contre City. Pour moi, cette victoire, c’est juste un gros résultat contre une excellente équipe, rien d’autre. » S’il sera définitivement adopté après un but victorieux dans le derby contre Sainté, Jason a juste compris qu’entouré des Gones, il avait trouvé, après toutes ces épreuves, ses Argonautes. Ceux qui lui permettent d’accéder à son destin et de vivre heureux, même en exil.
Par Mathieu Rollinger