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Souleiman Ngamamba : « Être footballeur au Gabon, c’est presque l’enfer »
Le samedi 14 mai, les footballeurs professionnels gabonais vont retrouver les terrains et la compétition, après plus de deux ans d’interruption, notamment pour cause de crise sanitaire. Enfin, pas tous, puisque certains ont décidé de mettre un terme à leur carrière, comme le défenseur Souleiman Ngamamba (34 ans), ancien joueur passé par CF Mounana, l’USM Libreville et Missile FC, et qui a décidé, juste avant l’épidémie, de créer sa PME dans le secteur du bâtiment, dans la capitale gabonaise. En regrettant même de ne pas l’avoir fait avant...
Allez-vous suivre le championnat gabonais, qui va se disputer en deux mois et demi, du 14 mai au 30 juillet, après plus de deux ans d’interruption ?Oui, si j’ai le temps, j’irai peut-être voir quelques matchs, car j’ai encore des amis qui sont en activité. Je suivrai les résultats, notamment ceux de Mangasport, un de mes anciens clubs. Mais une saison qui se déroule sur deux mois et demi, est-ce bien sérieux ? On va demander à des joueurs qui n’ont plus eu de compétition depuis plus de deux ans de jouer à un rythme soutenu. Et fin juillet, tout va s’arrêter. Est-ce que le championnat suivant reprendra en octobre, comme on l’entend ? On verra bien. Vous savez, être footballeur au Gabon, c’est presque l’enfer…
C’est pour cela que vous avez décidé d’arrêter votre carrière juste avant la crise sanitaire ?Absolument. Je ne pouvais plus continuer. À quoi cela sert de jouer au football, d’y consacrer son temps, son énergie, et de ne pas pouvoir vivre de son travail ? La réalité des footballeurs professionnels au Gabon, c’est ça. Vous jouez, mais sur une saison de dix ou douze mois, vous allez toucher deux mois de salaire. Sauf pour ceux qui sont sous contrat avec des clubs soutenus par des gros sponsors, comme le Stade Mandji de Port-Gentil ou l’AS Mangasport. Au Gabon, l’État verse de l’argent aux clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 afin qu’ils puissent payer une partie des salaires des joueurs. Mais la plupart du temps, cet argent est détourné par des dirigeants de clubs ou par des fonctionnaires du ministère des Sports. Donc comme j’en avais assez de ne pas être payé tous les mois, j’ai préféré arrêter.
Vous n’avez aucun regret ?Si, un seul : celui de ne pas avoir pris cette décision plus tôt. Je ne vais pas hésiter à vous dire que le football m’a fait perdre beaucoup de temps. Je regrette presque d’avoir été footballeur professionnel. Quand je jouais, le meilleur salaire que j’ai eu, c’était 250 000 francs CFA (380 euros) quand je jouais au Canon 105 de Libreville. Sauf que ce salaire, je ne l’ai touché que deux fois. Sinon, je gagnais plutôt 150 000 francs CFA (230 euros). Donc, le reste du temps, je devais faire des économies partout. Quand vous avez un loyer de 100 000 francs CFA (150 euros), et qu’il faut payer les factures, nourrir votre famille – j’ai quatre enfants –, vous faites comment ? Vous êtes déjà venu à Libreville ?
Oui…Vous avez pu remarquer que la vie est chère. Avec en moyenne 200 euros par mois, c’est déjà difficile quand on vous les verse, mais quand le salaire ne tombe que deux fois sur dix, c’est intenable. Donc, il m’arrivait souvent de sauter des repas pour que mes enfants puissent manger. De me faire aider de 3, 4 ou 5 euros par des amis pour manger, prendre le taxi pour aller à l’entraînement. Et aussi de faire des petits boulots. Oui, j’ai nettoyé les caniveaux, pour gagner un peu d’argent. Mes coéquipiers me surnommaient « Le Fer » , car ils étaient impressionnés par ma volonté. Je sais que d’autres faisaient comme moi, des petits travaux à droite, à gauche. Mais ils ne le disaient pas, ils avaient honte. Aujourd’hui, j’ai ma PME dans le domaine du bâtiment (plus exactement, il est devenu peintre en bâtiment, NDLR) et j’ai proposé à certains joueurs de venir au moins faire une formation pour apprendre un métier. Mais ils refusent. Ils sont gênés, auraient peut-être honte d’accepter. Ils veulent croire qu’ils vont s’en sortir grâce au foot. Je l’espère pour eux, mais je n’y crois pas.
Quand avez-vous décidé de créer votre PME ?Il y a huit mois. Comme je n’avais pas pu économiser de l’argent lors de ma carrière, que je n’avais jamais pu m’acheter une maison ou une voiture, c’est un ami qui a accepté de prendre en charge le coût de la création de l’entreprise. Il a vu que travailler dur ne me faisait pas peur. Je travaille de 8 heures à 17 heures. J’avais des compétences dans le domaine du bâtiment et plus précisément de la peinture. J’ai un salarié, et ce que je peux vous dire, c’est que je gagne plus aujourd’hui que quand j’étais footballeur. Je n’ai pas un salaire fixe, mais en moyenne, j’arrive à me faire 400 000 francs CFA par mois (600 euros). Je vis correctement, mes enfants mangent à leur faim. J’applique la loi du contentement de peu. Je me dis que si j’avais su ce que c’était d’être footballeur au Gabon, je n’aurais pas choisi cette voie. Et aujourd’hui, je n’aurais pas cette impression d’avoir perdu mon temps. Ce que j’espère, c’est récupérer une partie des sous qu’on me doit. J’ai engagé des actions pour ça.
Comment expliquez-vous qu’un pays comme le Gabon ne parvienne pas à organiser un vrai championnat, avec des footballeurs payés tous les mois ?Nous sommes un pays peu peuplé et qui est riche. Mais le football, ici, ne rapporte qu’à certaines personnes : des dirigeants, des entraîneurs, alors que ceux qui le pratiquent n’ont rien. Combien, lors de ces deux ans d’interruption, ont été expulsés de leur logement car ils ne pouvaient plus payer le loyer, ne pouvaient plus nourrir leurs enfants ? C’est lamentable, et la FIFA, qui sait, ne fait rien, ne dit rien. Elle est complice. Ici, tout est faux. Moi, j’ai été plusieurs fois un des meilleurs latéraux du championnat. Je n’ai jamais été sélectionné dans aucune équipe nationale, ni de jeunes, ni rien. Jamais. Parce qu’ici, c’est la magouille. Il faut reverser ses primes à certaines personnes si on veut aller en sélection. Tout cela m’a dégoûté. À tel point que je n’ai quasiment plus aucune photo de moi joueur, que je n’ai plus de maillot… J’ai tout donné, tout vendu, ou presque. Je me contente de jouer le week-end, avec des amis.
La presse gabonaise relaie-t-elle fidèlement cette situation ?Non, car au Gabon, on n’ouvre pas sa bouche comme on veut. Heureusement que la presse étrangère en parle. Moi, j’ai déjà été menacé, on m’a dit que je parlais trop ! Pfff, je m’en fous, je suis tranquille…
Propos recueillis par Alexis Billebault