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Sophie Bouchet : « On croit au foot féminin à Langeac »
Dans une petite ville de 4000 âmes de la Haute-Loire, le petit club de l'ASC Langeac, qui participe au Vrai Foot Day, tente d'entretenir la flamme du football et de promouvoir la pratique féminine. En partie grâce à l'engagement de sa présidente Sophie Bouchet, surnommée "Margarita" en hommage à l'ancienne présidente de l'OM, qui est l'une des rares femmes à la tête d'un club en France. Entretien.
Présentez-moi le club de l’ASC Langeac.On prononce « Lanjac » et on se trouve dans le département de la Haute-Loire, en Auvergne. Ce qui est un peu particulier, c’est que je suis présidente du club de Langeac en senior filles et garçons, et du groupement jeunes qui regroupe trois clubs, Langeac, Siaugues et Saugues. Ce groupement jeune couvre les catégories U6 à U18. On est obligés de se regrouper pour les catégories jeunes, et donc on fonctionne sur deux entités différentes. Le plus gros club à proximité, c’est Le Puy-en-Velay (le Puy Foot 43 Auvergne N.D.L.R.) qui évolue en championnat de National 1. Après, il y a l’US Brioude, mais c’est du championnat régional. Le club de Ligue 1 le plus proche, c’est l’AS Saint-Étienne, mais il n’y a pas d’échanges entre nous et les recruteurs de ce club. Le seul échange, c’est que l’on amène nos enfants voir des matchs à Saint-Étienne et ils sont hyper contents.
Entre vous et le club de Langeac, c’est une affaire de famille…
C’est ça. C’est vraiment une histoire familiale, mon grand-père était président du club dans les années 1950-1960, il est resté longtemps. Ensuite, plusieurs présidents se sont succédé, mon frère et mon père ont aussi assumé la présidence, un bon bout de chemin pour mon père. En 2016, il est tombé malade et a dû se retirer de la présidence, mon frère a repris le flambeau pendant un an, mais a dû abandonner à cause d’une mutation professionnelle. Il m’a donc « gentiment demandé » si je souhaitais m’investir. J’ai répondu oui assez naturellement. Et voilà…
Avant de devenir présidente, vous aviez quel rôle au club ?Je n’en avais aucun. Je n’ai jamais joué au foot, je n’ai jamais encadré d’équipes, je n’ai jamais fait partie du bureau… J’étais plutôt au bord du terrain, j’ai baigné dans le foot avec ma famille. Mais j’étais plutôt une supportrice qui donne un coup de main, mais qui n’était pas forcément très impliquée. Personne d’autre ne s’était positionné pour assumer cette présidence, personne n’est venu en disant : « Je veux être président. »
Tout le monde doit désormais vous connaître à Langeac ?C’est une ville de 3800 habitants, tout le monde me connaît (rires), mais même sans être présidente, ce serait le cas vu la taille de la ville. Mon action quotidienne au club, je la définis plus comme une action de gestion, c’est plutôt le côté administratif, financier, développement des projets dont je m’occupe. Le côté sportif, ce n’est pas mon côté le plus fort, et pour cela je m’appuie sur des bénévoles et éducateurs qui sont très compétents en la matière. On a mis en place un projet sportif tous ensemble, il a été discuté, écrit. Au quotidien, je suis donc plus sur l’administratif, le financier, mais aussi l’humain : la médiation, la gestion de conflits… Certains éducateurs ne sont parfois pas d’accord par exemple sur la manière d’apprendre le football aux enfants, est-ce que l’on ne fait que du foot animation ou doit-on miser sur la compétition. C’est dans ces moments qu’il faut rappeler la nature du projet.
Le fait d’être une femme a-t-il posé des…
(Elle termine la question) … problèmes de légitimité ? Pas du tout car je n’ai jamais caché en arrivant que je connaissais le foot, mais que je ne maîtrisais pas sa dimension tactique et technique. Cela a été clair pour tout le monde dès le départ. J’avais dit que je m’appuierais sur les gens déjà présents et très compétents comme le coordinateur sportif ou même les éducateurs. Je n’ai jamais entendu de critiques négatives dues au fait que je sois une femme. J’ai eu de la chance.
Pourquoi avez-vous eu de la chance ?J’ai eu l’occasion de discuter avec une stagiaire qui travaillait à la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes et qui faisait un mémoire avec pour sujet « Les femmes sur le terrain des hommes » . Elle me disait que dans d’autres clubs de football, cela se passait moins bien que pour moi à Langeac. Pour certaines femmes, c’est encore difficile de s’impliquer dans le monde du football qui reste un monde plutôt masculin. Moi, je n’ai même pas eu de problèmes avec des dirigeants d’autres clubs. Un jour, on a été convoqué en commission de discipline du district de la Haute-Loire parce qu’un match s’était mal passé. Quand on est arrivé sur place, les gens m’ont serré la main en me disant : « Bonjour mademoiselle » , et j’ai dû rectifier : « Non, c’est madame. » Le monsieur en face m’a répondu : « Mais vous n’avez pas d’alliance, je ne vais pas vous appeler madame. » Je lui ai fait remarquer qu’il n’aurait pas posé ce type de questions à un homme s’il n’avait pas d’alliance. Une attitude particulière, même au-delà du football.
Vous avez un surnom au club…Oui, Margarita, c’est lié à l’ancienne propriétaire de l’OM. Un joueur senior a lancé l’idée, ce n’est pas lié à un héritage financier comparable. C’est juste qu’un jour j’ai dû mettre une veste en fourrure et cela a tout déclenché.
Vous faites quoi en dehors du football ?Je suis directrice adjointe dans la communauté de communes du territoire où je vis, je suis fonctionnaire territoriale et je m’occupe plus spécifiquement de la mise en place des projets sur le territoire. Ma carrière professionnelle me donne de vraies bases pour la gestion d’un club de football, il y a de vraies similitudes au niveau financier, la recherche de subventions, la gestion de projets.
Vous parliez du manque de femmes dans l’univers du foot. Sentez-vous quand même un vent favorable à la féminisation ?
Au sein du club, au niveau local, j’ai au moins trois ou quatre filles dans le bureau. Ce n’est pas la parité, mais c’est pas mal. Au niveau des instances départementales, j’avais lu les statuts du district et j’avais trouvé bizarre qu’il doive y avoir pour composer le conseil d’administration un président, un secrétaire, un trésorier, un arbitre, un médecin et une « femme » . Une femme au même titre qu’un arbitre ou un médecin, son statut c’est « femme » . La femme, là parce qu’elle est une femme et pas parce qu’elle amène une compétence particulière, c’est le signe qu’il y a encore beaucoup à faire. C’est promouvoir pour promouvoir, c’est un comble qui ne valorise pas les femmes dans le monde du football. Pour moi, c’est la compétence qui doit compter, les quotas pour forcer la parité, cela ne m’intéresse pas. La compétence et la motivation doivent seules compter.
Y a-t-il des dirigeants du football professionnel qui vous plaisent ?(Elle réfléchit et soupire.) Je ne suis pas assez le football professionnel et donc je ne connais pas assez les dirigeants. De toute façon je ne cherche pas de modèles et inspirations à ce niveau-là, car ce n’est pas le même monde, ce n’est pas adapté au football du dimanche. Je peux quand même vous dire que par élimination, j’aime bien Jacques-Henri Eyraud. Les chiffres économiques autour du PSG ou de Lyon, ce ne sont pas des choses qui m’attirent.
À votre niveau, quels sont les enjeux ?Déjà le bénévolat. Trouver des personnes pour encadrer la vie du club, ce n’est pas simple. On est dans une société de plus en plus individualiste, donc c’est de plus en plus rare de voir des gens s’investir dans la vie d’un club sur dix ans, voire toute une vie. On arrive à capter quelques bénévoles parce qu’un de leurs enfants fait partie du club, mais pour les fidéliser c’est super dur. Même à notre petit niveau, il y a même des fois un peu d’argent en jeu, cette ligne-là ne m’intéresse pas. Parfois on me dit : « Je préfère aller sur ce club-là, car on me propose 50 euros par mois, toi tu proposes quoi ? » Ben moi, je ne propose rien. Financièrement, en tout cas. Donc le seul truc qui fonctionne, ce sont les parents, et les quelques fidèles qui aiment le club ou le territoire et donnent un grand coup de main. Mais c’est difficile, chaque mois de mai ou juin, on a un vrai casse-tête pour définir qui fait quoi.
Pour le football senior féminin, cela reste compliqué aussi…
Oui, on a déjà peu d’effectif, les filles jouent à huit et ne sont souvent que neuf ou dix le dimanche. Certaines bossent le dimanche, donc cela tourne… On essaie de communiquer, et surtout, on mise sur la formation. On a plein de filles dans les équipes de jeunes, et ça, c’est chouette. Elles vont permettre de développer l’activité.
Le Mondial féminin a aidé ?Oui, il y a eu un impact positif, c’est sûr. On a gagné des joueurs, mais je n’ai pas le décompte précis. Mais il y a des têtes nouvelles chez les jeunes, en 12 ans et moins, quelques U15 et U18 aussi. Le football féminin, c’est mon père qu’il l’avait mis en place à Langeac, on y croit depuis un moment et c’est un vrai levier de développement. Mon père y croyait beaucoup, les effectifs augmentent d’année en année. Mais après, on peut aussi développer d’autres pratiques. Il y en a une qui me tient à cœur, c’est le walking football, très développé en Grande-Bretagne, du football en marchant pour les gens de plus de 60 ans. C’est le football pour les seniors, pour la santé et le lien social. Le foot a aussi un rôle social. On a une population vieillissante, donc c’est une piste intéressante. L’autre piste, compliquée, c’est pour les jeunes papas. J’ai beaucoup de jeunes pères qui ne peuvent pas prendre une licence faute d’avoir une solution pour garder leurs enfants le dimanche parce que la maman travaille. Il y a un truc à développer, ne peut-on pas mettre en place une sorte de garderie en bord de terrain pour les enfants ?
Propos recueillis par Nicolas Jucha