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Sonia Souid : « La Coupe du monde 2019 ne va pas révolutionner le mercato féminin »
Sonia Souid, 33 ans, est l'une des rares femmes agents en France. Pionnière (elle a négocié le premier transfert payant d'une joueuse – Marie-Laure Delie – et permis à Corinne Diacre de devenir le premier entraîneur d'un club professionnel masculin en France), cette ancienne Miss Auvergne voit d'un bon œil la Coupe du monde 2019 à domicile pour poursuivre le développement du football féminin. Et faire décoller un marché des transferts féminins qui suscite trop peu d'intérêt ? Pas si vite. D'autant que le processus dépendra en grande partie du parcours des Bleues...
Aujourd’hui, un agent qui travaille dans le foot féminin peut-il vivre de son métier ?Ça dépend combien de joueuses il représente. Certaines joueuses sont rémunérées comme des joueurs de Ligue 2 ou de petites équipes de Ligue 1. Donc si on représente dix de ces joueuses, la commission devient intéressante. D’autre part, certains agents vont privilégier la quantité et représenter une cinquantaine de joueuses. 6000€ de commission + 8000€ de commission etc, ça s’accumule : on peut ainsi faire 100 000 € de commissions par an avec le football féminin. Mais attention, ça ne tombe pas du ciel. Il faut être implanté depuis longtemps, avoir développé un bon réseau auprès des clubs et des joueuses…
Pourquoi les médias ne s’intéressent presque pas au mercato féminin ?
C’est une question de notoriété : les joueuses ne sont pas connues, ça n’intéresse pas les journalistes. Ce ne sont pas non plus les mêmes montants. Les gens ont envie de lire des transferts en millions. Et c’est aussi dû à un manque de concurrence en France. Lyon qui gagne la Ligue des champions, vous allez faire deux lignes (dans les médias) parce qu’elles gagnent presque tout le temps. En revanche, j’ai parlé à plusieurs médias, et je sais qu’ils vont mettre des moyens importants en matière d’effectifs, pour des reportages… Canal+ et TF1 discutent aussi pour téléviser l’événement. Ça va dans le bon sens.
L’intérêt des médias, mais aussi du public et du monde du football en général, va-t-il augmenter avec la Coupe du monde en France ?Tout va dépendre du parcours de l’équipe de France. Je ne veux pas leur mettre de pression supplémentaire, mais si elles se font éliminer en poules, ça ne va pas trop bouger. Prenons l’exemple de l’Allemagne : là-bas, il y a 500 000 licenciées (150 000 en France), c’est un des meilleurs championnats du monde et il est très homogène. Cette ferveur, elle est là parce que l’équipe d’Allemagne a gagné plusieurs titres au niveau européen et mondial. Ce qui manque à la France, ce sont les titres.
Le mercato féminin peut-il exploser si les Bleues gagnent la finale ?
La Coupe du monde peut être un vecteur, mais ça ne va pas révolutionner le mercato. Vous savez, je suis dans ce métier depuis dix ans et il a évolué de façon incroyable. J’ai été le premier agent à m’intéresser au foot féminin. À l’époque, il n’y avait pas d’argent. Je ne le faisais pas par intérêt économique, mais pour faire avancer les choses. Les joueuses ne gagnaient que quelques centaines d’euros par mois. Même dans des clubs comme le PSG, les joueuses ne pouvaient pas vivre de leur passion, elles devaient étudier ou travailler à côté. Mais pour revenir à la Coupe du monde, une victoire leur permettrait de gagner en notoriété. L’opinion publique va s’y intéresser, se dire que le niveau est de plus en plus haut. Et ça va intéresser des sponsors. Petit à petit, il va y avoir un écosystème autour du foot féminin.
Le mercato va forcément s’agiter pendant l’événement avec des joueuses qui vont se révéler aux yeux des gros clubs…Effectivement, les clubs découvrent beaucoup de joueuses, d’Afrique ou d’Asie notamment, pendant les Coupes du monde. C’est très difficile de trouver des informations sur elles, à part en scoutant. Mais l’événement profite surtout aux joueuses, qui se révèlent. Les clubs, eux, prévoient leur mercato en amont du Mondial, et ils se laissent une ou deux recrues en fonction de la Coupe du monde.
La Coupe du monde peut-elle inciter les clubs français à consacrer davantage de moyens au mercato de leur équipe féminine ?
Non, je ne pense pas que ça aura un impact. En fait, tout dépend de la stratégie des clubs, de leur volonté ou non d’investir dans leur équipe féminine. Jean-Michel Aulas a choisi d’investir beaucoup dans l’OL féminin et je pense qu’il a un retour au niveau de son image, au niveau du palmarès. Ça lui apporte dans les instances, ça lui fait gagner en poids pour prendre des décisions : il est vu comme le président qui gagne. Mais les autres, je ne vois pas pourquoi la Coupe du monde les motiverait. La plupart du temps, un club préfère investir de l’argent gagné pour renforcer son équipe masculine plutôt que pour développer son équipe féminine. Et même les gros clubs comme Manchester City, l’Atlético de Madrid ou le Barça ont des budgets contrôlés, réfléchis. Ils ne veulent pas dérégler le marché, alors qu’Aulas, lui, il investit, il met les moyens. C’est un choix.
Un acteur peut-il bientôt arriver et faire exploser le mercato ?S’il y en a un, ce sera le Real, je pense. Au niveau local, ça pousserait l’Atlético et le Barça à investir plus pour se mettre au niveau. Au niveau de l’image, ils ne peuvent pas se permettre de prendre des 6-0 contre le Real. Ça va apporter aussi au niveau européen : des affiches Real-OL vont intéresser les droits télé, les fans, les sponsors. Je suis très optimiste.
La Coupe du monde peut-elle susciter des vocations chez des jeunes femmes qui voudraient devenir agents ?Là encore, la Coupe du monde est juste un événement qui arrive au bon moment au sein d’un processus qui progresse depuis 10 ans. Dans les conférences sur le foot féminin, je vois de plus en plus de femmes qui s’intéressent à ce métier (actuellement, il y a 13 femmes agents sur 450 en France). Cependant, elles ne sont pas encore assez bien renseignées, et il y a un travail à faire de la part de la Fédération.
C’est une bonne chose pour le développement du mercato féminin ?Oui et non. Malheureusement, le foot féminin n’attire pas les meilleurs agents. Ceux-là n’ont pas le temps pour s’y consacrer. Ceux qui s’y intéressent, ce sont ceux qui ne réussissent pas dans le foot masculin.
Moi, je recherche la qualité plutôt que la quantité, ce qui n’est pas le cas de la plupart des agents dans le foot féminin qui sont obligés de penser à leur propre intérêt financier pour s’en sortir. Mais ils n’ont pas de connaissance du marché, pas de réseau au niveau international, ils ne savent pas ce qui se fait à l’étranger. Ils se retrouvent donc à inciter des joueuses à accepter des contrats qui les avantagent eux, mais pas elles, à inciter des jeunes de 15 ans à aller au clash pour demander plus d’argent. Cela met en difficulté les clubs qui investissent dans le foot féminin. Certains vont même jusqu’à attendre de jeunes joueuses à la fin de leur entraînement pour leur remettre des enveloppes. On connaît ce fléau dans le football masculin, mais pas dans le football féminin. La FFF a été alertée à ce sujet pour protéger les joueuses. Mais je ne recommanderais pas 90% des agents.
Propos recueillis par Douglas de Graaf