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Sofyan Amrabat : merci patron
Bastonneur hors pair, premier relanceur exemplaire, Sofyan Amrabat (26 ans) est sans aucun doute le capo des Lions de l’Atlas, depuis le début du Mondial qatari. Retour sur le parcours d’un bulldozer qu’Erik ten Hag aura un jour décrit comme « capable d'avancer coûte que coûte, quitte à franchir quatre ou cinq murs ».
À l’entendre, Sofyan Amrabat est un type bien élevé. Le résultat d’une éducation plutôt corsée : « À la maison, il n’y avait qu’un seul patron : mon père. Il était très strict. Il m’a toujours dit, à moi et à mes trois frères : « Je ne veux pas de bêtises, de police à ma porte, ou d’autres ennuis. » » C’était il y a longtemps. Aujourd’hui, le joueur de la Fiorentina se voit dispenser plus de compliments que de sermons. « C’est le meilleur joueur de Serie A dans ce Mondial. Le Maroc va où il décide d’aller », s’enflammait ainsi la Gazzetta dello Sport, après la prestation d’Amrabat face à l’Espagne, en huitièmes de finale du Mondial qatari.
Le grand nettoyeur
Avec 78% de passes réussies, 88% de duels gagnés et 100% de tacles réussis face à la Roja, le Marocain a purement et simplement fait régner la loi et l’ordre au milieu. Une habitude depuis le début du tournoi. Soldat le plus utilisé par Walid Regragui à Doha (404 minutes jouées sur 404 possibles), le Hollando-Marocain aura mis dans sa poche Luka Modrić, Kevin De Bruyne et Sergio Busquets, dont il aura éteint l’influence dans l’entrejeu. Un régal pour Regragui, qui a fait de son numéro 4 l’implacable contremaître de sa formation. Difficile, en effet, de ne pas voir en Amrabat le point d’équilibre des Lions de l’Atlas : avec 33 ballons récupérés depuis le début de la compétition, il est le meilleur joueur du Mondial dans cet exercice. Ses sorties de balles, souvent assorties de passes verticales et précises pour ses attaquants, complètent de manière idyllique le tableau. En bref : le nettoyeur marocain n’a jamais semblé aussi fort, au moment de défier le Portugal ce samedi. « Il est en train de passer un cap dans ce rôle de relayeur, se régalait dernièrement Regragui. C’est lui le premier défenseur de l’équipe. C’est devenu un joueur de top niveau, tout simplement. » Des chiffres hyperboliques et des compliments en cascade qui laissent une question en suspens : pourquoi Sofyan Amrabat remporte-t-il donc aussi aisément cette fameuse bataille de la terre du milieu ?
« Face à l’adversité de la vie, il y a deux choses que vous pouvez faire : combattre ou fuir »
Lors du Mondial en cours, on aura vu tour à tour le Florentin s’extirper d’une forêt de jambes pour ressortir proprement un ballon, dominer dans les airs un type à qui il rend 5 centimètres ou encore caler un bout de pied, de cuisse, de genou, pour couper court à un contre adverse. Sofyan Amrabat est comme ça. Il a à la fois la rage du cogneur et la discipline inflexible de l’ultime soldat qui s’évertue à tenir ses remparts. Une hargne inébranlable que le principal intéressé raconte s’être forgé dans l’enfance : « Mon père avait 13 ans lorsqu’il a quitté le Maroc pour arriver aux Pays-Bas. Il ne parlait même pas la langue, mais il a construit une existence décente grâce à son travail acharné. Il nous a transmis cela. » Originaire de la commune néerlandaise d’Huizen, Amrabat suit les traces de son frère, Nordin, qui deviendra aussi footballeur professionnel. Si son aîné s’en va faire sa formation à l’Ajax, Sofyan fera ses premières classes dans le club local du HSV Zuidvogels. Mais seulement après avoir fait ses preuves en petit bassin : « Je pouvais jouer au football quand j’étais enfant, mais je n’ai pas pu rejoindre Zuidvogels immédiatement. Mon père voulait d’abord que j’obtienne mon certificat de natation. »
Repéré par le FC Utrecht, Amrabat fait ses débuts en équipe de jeunes à 18 piges. Son formateur d’alors, Robin Pronk, doit déjà se farcir le caractère très affirmé du garçon. « Quand il a débuté avec les U19 d’Utrecht, il pensait qu’il était une star et méritait toujours de figurer dans le onze type. Au début, j’ai donc décidé de le mettre sur le banc. Le truc, c’est qu’il ne s’est pas plaint. Il a décidé de travailler, pour encore s’améliorer. » Stakhanoviste revendiqué, Amrabat n’est déjà plus là pour rigoler : « Face à l’adversité de la vie, il y a deux choses que vous pouvez faire : combattre ou fuir. Je suis un combattant. Je l’ai montré en donnant tout pendant les séances d’entraînement. Je quitte le terrain en dernier, puis je vais au gymnase pour travailler mon corps. » Désormais convaincu, Pronk fait rapidement du Marocain son capitaine. C’est aussi lui qui le fait reculer d’un cran, de milieu offensif à milieu relayeur. La machine à laver est en marche. On ne l’arrêtera plus. Promu en équipe première en 2014, Amrabat est lancé comme un train en marche et bluffe Erik ten Hag, qui l’aura sous ses ordres à Utrecht de 2015 à 2017 : « Souf’ est imperturbable, inflexible. Il peut continuer d’avancer, même s’il doit traverser ou franchir cinq murs. Pour moi, c’est d’abord un joueur de liaison. Sa tâche principale est de gagner des balles, de se projeter avec le cuir après l’avoir récupéré. Il est très bon dans ce domaine. Je lui vois tellement de potentiel… Je pense qu’il peut avoir une carrière fantastique. » Ivan Jurić, son coach au Hellas Vérone en 2019-2020, dira du Marocain qu’il appartient à cette race de joueur « prêt à crever sur le terrain ». Depuis 2020, c’est donc pour la Fiorentina que le duelliste marocain ferraille, en flirtant souvent habilement avec les limites. Joueur le plus averti en Serie A cette saison (7 cartons jaunes), Amrabat distribue allègrement les taquets et n’est pas franchement étranger au concept de faute tactique. Quand il évoluait au Club Bruges entre 2018 et 2020, son entraîneur Ivan Leko l’avait d’ailleurs décrit comme « le gangster nécessaire à son équipe ». Pour braquer le Portugal ce samedi, nul doute que le Maroc aura encore besoin de lui.
Par Adrien Candau et Tristan Pubert
Tous propos issus de Voetbal International, Sportmagazine.be et la Gazzetta dello Sport.