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Sofiane Boufal : « J’ai dû arrêter l’école très tôt pour aider ma mère »
Après trois années compliquées à Southampton et un prêt au Celta de Vigo, Sofiane Boufal avait pris la décision de rentrer chez lui, en Maine-et-Loire, pour se relancer l'été passé. Après une saison tronquée par les blessures, l'international marocain a commencé le nouvel exercice en boulet de canon avec le SCO d'Angers.
Comment juges-tu ton début de saison ?Je suis très content d’avoir fait une préparation complète parce que ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé, donc je me sens beaucoup mieux que la saison dernière. Physiquement et mentalement je suis prêt, donc on peut dire que c’est parti. On a très bien démarré la saison, et en plus, j’ai marqué mon premier but face à Lyon, à la maison, donc tout va pour le mieux.
Au-delà de la crise sanitaire, tu sors d’une saison quasi blanche à cause d’un enchaînement de blessures…C’était une saison hyper difficile. La préparation n’était pas évidente dès le départ parce que je m’étais mis en tête de quitter Southampton, alors que le club voulait me garder. Pour moi, c’était clair, je voulais un nouveau challenge et voir autre chose. Je m’entraînais à part et j’ai signé à Angers le dernier jour du mercato sans préparation et à court de forme. Le problème, c’est que tu dois rattraper ton retard sur les autres et retrouver au plus vite une bonne condition physique. Honnêtement, j’ai trop tiré sur mon corps en voulant bien faire. Et puis le mercato en pleine période de Covid n’était pas facile à gérer, c’était vraiment usant mentalement. Il a duré jusqu’au 5 octobre, donc les clubs prenaient plus leur temps pour décider des transferts. La saison a déjà commencé, l’équipe a joué six matchs, et toi, tu débarques sans avoir eu de préparation avec le groupe.
Est-ce que ton retour à Angers est dû à ton histoire avec le club et la ville justement ?Plusieurs clubs m’ont fait des offres, notamment à l’étranger avec la possibilité de jouer la Ligue des champions, mais j’ai refusé. Je voulais rester dans un championnat majeur. Avec la crise sanitaire, les clubs avaient beaucoup de problèmes financiers, et certains avaient moins de marge de manœuvre dans les décisions. Et puis, la proposition du SCO est arrivée sur la table. Je suis toujours resté en contact avec le président Saïd Chabane, il m’a appelé plusieurs fois pour me parler de ses ambitions futures avec Angers, et petit à petit, j’ai commencé à me dire que revenir ici me serait bénéfique. J’ai vu ça comme un retour aux sources après quelques années compliquées où je considérais que je stagnais. Revenir dans un environnement où les gens parlent français et ont confiance en toi, c’est top. Tu sens que tu redeviens un élément majeur. C’est comme si je venais de signer mon premier contrat professionnel et que j’avais tout à prouver à moi-même. Revenir là où tout a commencé, je vois un peu ça comme une douche. Tu viens, t’es un peu sale, tu te laves et tu ressors propre, bien habillé, bien parfumé. (Rires.)
C’est aussi la première saison sans Stéphane Moulin depuis 2011. Quels sont les objectifs ?Franchement, on ne veut pas se mettre de pression particulière non plus. C’est une nouvelle saison avec un nouveau coach. Quand tu te mets des objectifs trop importants, c’est là que tu te perds. Pour l’instant, on veut juste faire mieux que ce qu’on a déjà fait (9e en 2015-2016, NDLR). Et oui, c’est la première saison sans Stéphane Moulin, qui m’avait lancé en pro et qui avait cru en moi, mais je n’aime pas du tout les comparaisons. Gérald Baticle vient à peine d’arriver et il commence à mettre en place des choses qui sont très intéressantes. C’est un très bon coach, avec une très bonne pédagogie et il est déjà proche de ses joueurs. Pour l’instant, c’est une réussite totale.
Tu es un joueur très technique, mais pourtant ça a été compliqué plus jeune en centre de formation.Depuis tout petit, j’ai ce côté dribbleur et ce talent. Je considère que c’est inné, je ne saurais même pas l’expliquer. Mes amis peuvent en témoigner, les gestes que je faisais à cinq ans, je les fais aujourd’hui en professionnel. Mais j’ai eu des gros problèmes de croissance qui m’ont ralenti dans ma progression, alors que dans le fond, ça m’a aidé. J’étais beaucoup plus petit et plus frêle que les autres, donc je devais tout faire plus vite qu’eux pour éviter de prendre des coups. Si on me touchait, je tombais, donc il fallait que je fasse la différence en dribblant. Pour l’anecdote, en moins de 18 ans, le SCO a voulu me virer, et c’est Stéphane Moulin, alors entraîneur de la réserve à l’époque, qui est intervenu. Je m’entraînais avec son fils, donc il voyait ce que j’étais capable de faire. Il est devenu un allié, et a dit au club que ce n’était qu’un problème de taille et qu’avec mon talent, il fallait être patient avec moi. Juste après, j’ai commencé à grandir en prenant quinze centimètres sur l’année et j’ai rattrapé mon déficit physique pour être finalement au même niveau que tout le monde en moins de 19 ans. Je savais que j’allais devenir pro lorsque mes problèmes de croissance se sont terminés. J’étais tellement motivé et sûr de moi que je savais que ça allait venir. Du coup, quand c’est arrivé, je n’ai eu aucune pression, c’était juste la suite logique des choses, je savais que je serais là.
En plus la situation extrasportive n’était pas évidente non plus.En vrai, je reviens de loin. J’ai dû arrêter l’école très tôt pour me consacrer au foot et pour aider ma mère. Je n’ai jamais manqué de rien, mais je n’étais pas un jeune comme les autres. Je savais déjà ce que je voulais faire, où je voulais aller. J’avais une famille derrière moi, je ne pouvais pas me permettre de faire n’importe quoi. À 16 ans, 18 ans, il n’y avait pas de cinémas, de meufs, de soirées ou de boîtes. C’était seulement football, football, football. Moi je voyais ma mère partir à 6 heures du matin au travail. Du coup, je ne voulais pas tout gâcher surtout en sachant que j’avais du talent. Quand quelqu’un sacrifie sa vie pour toi, c’est le minimum. J’étais obligé de finir pro pour elle. Quand j’ai signé au SCO mon premier contrat, je ne gagnais pas grand-chose, mais dans tous les cas, je ne prenais que 200 euros pour me faire plaisir. Tout le reste, c’était pour ma mère. Je m’en foutais de gagner de l’argent à ce moment-là. Je voulais juste me montrer auprès des plus grands clubs.
Justement, tu franchis une première étape en 2015 en découvrant la Ligue 1 avec le LOSC.À Lille, je considère que j’ai eu de la chance d’arriver quand le club avait besoin de renouveau pour se relancer. Je ramenais un peu un vent de fraîcheur. (Rires.) J’ai débarqué motivé et avec une grosse volonté, mais le début a été plus compliqué que ce que je pensais. J’étais dans une grande ville, je ne connaissais personne. C’est la première fois que je sortais d’Angers, il faisait tout le temps froid, surtout en janvier. Heureusement que ma mère m’a accompagné, je n’étais pas tout seul. En plus, René Girard attendait un grand attaquant qui prenne la profondeur, il ne voulait pas d’un profil comme le mien. Mais je me disais déjà : « Tranquille, à la fin de l’année, c’est mon nom qui sera placé en premier sur sa liste. » Ensuite, j’ai quitté Lille et malheureusement, je me fais le ménisque… J’étais absent pour six mois, et les clubs savaient aussi que la CAN arrivait en janvier et que je pouvais m’absenter pour jouer avec ma sélection. Je pense que pour mon transfert, l’addition de ces deux événements m’a fermé la porte pour les grands clubs. Mais c’est le destin, je n’ai aucun regret.
Finalement, tu as signé pour cinq ans à Southampton, mais ça n’a pas vraiment fonctionné. Pourquoi ?Le jeu de Southampton a évolué avec le temps, et mon profil ne correspondait plus trop au schéma tactique. J’avais forcément plus de mal à exprimer ce que j’étais censé apporter, surtout en étant arrivé encore blessé. Je ne jouais pas, je n’enchaînais pas les matchs, donc je perdais ma place et surtout ma confiance. Tu sens que tu peux aider, mais on ne te donne pas ta chance. Quand certains joueurs avaient quatre ou cinq rencontres pour prouver, moi j’en avais une ou deux.
Comment expliques-tu ça ?Pour moi, on est plus intransigeant avec les joueurs de talent. J’ai l’impression qu’avec mon nom, je dois faire la différence à tout moment, à chaque match. Le football, ce n’est pas prendre le ballon et dribbler tout le monde, il faut un collectif. Quand j’arrive, il y a des cadres comme Van Dijk, Ryan Bertrand, Fonte, donc beaucoup d’internationaux et une grande équipe. Mais c’est aussi une période durant laquelle l’effectif a besoin d’un souffle nouveau, qui met du temps à arriver. Ma deuxième saison, on se retrouve à jouer le maintien. Ton moral est touché, t’es jeune, c’est ta première expérience à l’étranger, donc c’est compliqué d’y faire face. En plus, tu débarques dans un vestiaire dans lequel beaucoup de joueurs te voient plus comme un concurrent qu’un coéquipier. C’était très compliqué de m’intégrer sportivement.
Malgré ça, tu vis aussi une belle expérience en prêt à Vigo. Est-ce que le jeu espagnol, plus technique, était plus adapté pour toi ?Je ne me suis jamais aussi bien senti physiquement qu’à Vigo. L’Espagne, c’est le championnat qui correspond le plus à mon profil, dans lequel je rêvais de jouer. Je me sentais vraiment fort, j’ai fait 35 des 38 matchs en tant que titulaire. Mais malheureusement, les statistiques ne suivaient pas. Et j’ai des offres ensuite en Liga, mais pas de clubs qui me tentaient. Le retour à Southampton, c’était la saison de trop. J’ai forcé, alors qu’en fait, j’aurais dû chercher un autre challenge direct. Voilà pourquoi aujourd’hui, mon objectif, c’est de reprendre du plaisir.
Comment analyses-tu ce manque de statistiques ?À Vigo justement, j’ai eu une discussion avec le coach. Il me disait que j’étais très important, parce que je créais des décalages, cassais des lignes par des dribbles, ce qui permettait d’ouvrir des brèches. Donc si tu ne regardes que les chiffres, oui je n’étais pas décisif. Mais finalement, les sorties de balle étaient toutes aussi importantes. Donc j’ai toujours eu la confiance de mon entraîneur là-bas par exemple. Dans des clubs où la situation sportive est un peu plus compliquée, je descends plus bas pour aller chercher le ballon et créer des décalages. Je ne pouvais pas attendre devant, je n’aurais pas eu le ballon. Finalement, ce sont mes attaquants qui en ont profité. L’essentiel, c’est que je sois décisif, mais à mon échelle.
Parlons un peu de la sélection. As-tu digéré le fait de ne pas avoir joué la Coupe du monde 2018 avec le Maroc ?C’est une déception de ne pas avoir y avoir participé, forcément. Je suis un peu fataliste, si je n’y suis pas allé, c’est que je ne devais pas y aller. Mais ça reste clairement dans un coin de ma tête.
Messi vient d’arriver au PSG. Tu l’as déjà affronté avec le Celta au Camp Nou, tu es donc légitime pour nous dire ce que son arrivée en Ligue 1 t’inspire.Au Celta, je l’ai affronté une fois. C’est impressionnant de le voir sur un terrain parce que c’est le meilleur joueur de l’histoire du foot. Il n’a rien à prouver en venant à Paris, mais ce que j’aime chez ces mecs-là, c’est que ce sont des vrais champions. Ils restent dix, quinze ans au top. Et même quand il joue contre le dix-huitième de Liga, il se donne autant. C’est vraiment une machine. À l’époque de Ronaldinho et des grands dribbleurs, l’intensité physique n’était pas aussi présente. Même lui aujourd’hui est gainé de partout, il n’a pas le choix. Il a 34 ans, il a tout gagné : il pourrait se relâcher, mais il a une mentalité hors du commun. Franchement, la Ligue 1 passe un nouveau cap. Après, c’est vrai que pour moi, Messi c’est le Barça et le Barça c’est Messi. Quand je joue contre lui, on perd 2-0 juste avant la trêve hivernale. Je ne l’ai vu accélérer que deux fois dans le match. Résultat, il a mis un but, une passe décisive et il est monté dans son jet qui l’attendait pour partir en vacances. (Rires.) Clairement, c’est un truc de fou, l’équipe du PSG. Mais il faut aussi se rappeler que les Galactiques n’ont jamais remporté la Ligue des champions, ce que je souhaite aux Parisiens.
Propos recueillis par Diren Fesli (avec Julien Bialot)