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Sócrates et ce Brésil 82 solaire

Par Chérif Ghemmour
6 minutes
Sócrates et ce Brésil 82 solaire

Quand on dit Sócrates, on pense, inévitablement, à ce Brésil 1982 au maillot jaune or. Le plus beau Brésil de toujours, même s'il n'a pas gagné. Et c'est peut-être ça, d'ailleurs, qui le rend encore plus beau.

C’est en mai 1981, le 15 exactement, soit cinq jours après la victoire du centre que nous autres, Français, avions découvert Sócrates. On le connaissait un peu : Brésil, attaquant, grand, technique, barbu. En gros, une réputation plutôt flatteuse en ces temps médiatiques chiches en images (trois chaînes TV et basta !). Tout aussi flatteuse, la réputation d’une Seleção newlook qui renouait, disait-on, avec l’âge d’or, à la différence du Brésil décongelé du Mundial 78, battu même par les Bleus au Parc juste avant la compète (0-1, but de Platoche). En 81, on attendait les Brésiliens comme des mômes, des étoiles plein les yeux. La même fascination mystique que les fans de rugby qui, eux, attendaient les All Blacks qui, à l’époque, ne venaient en France que tous les cinq, six ans. Et là, le Brésil était de retour, « dans la place » ! Et on a vu… France-Brésil 81, pfffff ! OK, beaucoup de forfaits côté Bleus (Platini, Giresse, Rocheteau, Battiston), mais ce Brésil était de toute façon trop fort. Aïe-aïe-aïe, Junior, Eder, Cerezo, Zico… et Sócrates ! On ne nous avait pas menti, le grand échassier au toucher de velours avait une classe folle : une passe décisive au laser pour Zico et un but sur lob. Un 3-1 au Parc. Sans forcer, sans suer.

Vidéo

Sócrates : un nom facile à retenir, une dégaine et une barbe révolutionnaires et une réputation certifiée de foot bossa-samba. Le gars faisait un peu baba-cool (après tout, Eagles cartonnait encore en 81) et en plus, il était médecin ! « Pédiatre » , donc « médecin du pied » . Les pieds, le foot, le football, quoi. CQFD. En fait, c’était plutôt médecin de l’enfance, mais on n’était pas des lumières… Donc, il avait un côté « humanitaire » , on l’imaginait en blouse blanche, sauver des bébés dans un pays du tiers-monde. Respect : ce footeux sortait de l’ordinaire. Le Brésil 1981 de Zico et Sócrates était veni, vidi, vici. Une démonstration qui avait remis nos petits Bleus à leur place.

Du jaune or au jaune pisseux

L’année d’après, la Seleção drivée par Telê Santana, un prophète du foot samba, débarque au Mundial espagnol. Avec Zico, Sócrates, Dirceu, Cerezo, Falcão, ce Brésil magnifique ne pouvait pas perdre : tout au long de la compète, la Seleção gratifie le monde d’une séance de rattrapage, nous qui avions manqué le fabuleux Brésil 70. Mais Paolo Rossi trucide ce Brésil d’un triplé assassin. La légende raconte que les Brésiliens ignoraient qu’à 2-2, ils étaient encore qualifiés pour la finale… Comme si seule la victoire était belle et qu’elle imposait au pays du futebol roi de gagner 3-2 en prenant un maximum de risques… Sócrates fit plus tard une mise au point, ne regrettant rien : contre la Nazionale, le Brésil se serait renié en jouant petit bras et défensif. Merci, docteur. Merci pour la beauté du sport.

La Seleção, toujours pilotée par Telê Santana, offrira le même spectacle et la même philosophie de jeu au Mundial 86 au Mexique. Mais sa chance était passée, ce Brésil avait vieilli. Contre la France, au cours d’une partie somptueuse baignée de soleil, le Brésil de Sócrates perd à nouveau aux tirs au but (avec ratés de Zico, puis du barbudo), l’occasion de porter au firmament son foot de rêve. Le Brésil de Sócrates rêvait trop, peut-être. L’Italie 82 et la France 86 étaient plus « réalistes » , donc meilleures. Le Brésil de Sócrates portait une utopie footballistique qui n’avait plus cours. En 86, c’était d’ailleurs la dernière fois que la Seleção revêtait un maillot jaune d’or, couleur chaude et fraternelle. Ensuite, ce serait jusqu’à aujourd’hui un maillot au jaune plus clair, plus flashy, plus acidulé, voire jaune pisseux. Malgré deux autres titres mondiaux, les nouvelles teintes du « jaune Brésil » attestaient d’un abandon de l’utopie au profit d’un football plus « efficace » . Amen.

La Démocratie corinthiane

Avec le temps, on apprendra que le bon Sócrates s’appelait ainsi de par la volonté de son père, autodidacte venu du Nordeste, réussissant à la force du poignet et féru de philosophie grecque. Qu’avec les Corinthians, Sócrates et ses potes avaient mis en place une gestion de club démocratique où toutes les décisions étaient prises par un vote intégral. Que ce mouvement de la « Démocratie corinthiane » fut le catalyseur du renouveau démocratique qui permit de chasser les militaires (1984-85). Sócrates, « grande pointure » , comme aurait dit Gainsbarre… Un footeux 100% atypique dans son pays : il était très grand, cultivé et diplômé, politisé, animé d’une vraie spiritualité, mais non croyant, non religieux (à l’inverse des footeux de son pays).

Intellectuellement plus proche de la vieille Europe que de l’Amérique (il joua à la Fiorentina, jamais aux USA, comme pas mal de joueurs sud-américains en fin de carrière)… Un souvenir fugitif de quelques secondes à peine, dans un coin de l’image TV, à l’écran : Sócrates le gentleman donne l’accolade à Tardelli sans rancune et échange son maillot avec lui dès le coup de sifflet final de ce maudit Italie-Brésil 82… Sócrates, le footballeur hippie qui aurait eu sa place chez les Novos Baianos, célèbre groupe rock brésilien des années 70 : onze babacools barbus, adeptes de la fumette, de la guitare et du ballon rond. Sócrates aimait les arts et les artistes, la musique d’abord.

Poésie pure

Famille, équipe, groupe de rock, cercle militant, football : Sócrates était éminemment collectif. Sur le terrain, tout son jeu était tourné vers l’autre, vers le coéquipier. Jamais sur lui-même. Ses buts en solitaire sont rares et c’était quand il n’y avait pas de solution collective… Deux derniers souvenirs So Foot. En 2004, une interview par mail qu’il nous avait accordée. Il avait répondu longuement par écrit dans un français très approximatif mais très compréhensible. Une syntaxe flinguée. Mais c’était de la poésie pure. On a égaré ce mail et ça nous a fait mal quand Sócrates nous a quittés en 2011, il y a cinq ans déjà.

Et puis, il y a ce rendez-vous manqué à São Paulo en mai 2005. Un coup de fil, une voix chaleureuse, éraillée à la clope et à la cachaça au bout qui nous confirme le rencard pour le lendemain. Le rencard est tombé à l’eau. On s’y attendait, connaissant le côté « fly high » du bonhomme… Le « grand » nous a quittés au matin du 4 décembre 2011, jour précisément où les Corinthians ont été sacrés champions du Brésil. Et trente ans après la féerie brazileira du Parc des Princes 1981.

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Par Chérif Ghemmour

Article initialement publié en octobre 2012

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