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Sociétés écrans aux îles Caïman : le Real Madrid a-t-il fraudé ?
Nouvelles révélations dans les Football Leaks. D'après une info dévoilée par le média allemand Der Spiegel et relayée par InfoLibre en Espagne, le Real Madrid aurait déclaré 200 millions d’euros dans des paradis fiscaux et ainsi échappé au fisc espagnol. Jusqu’à enquête et sanction ?
Depuis 2015, le consortium European Investigative Collaborations distille d’ennuyeuses révélations concernant la planète football, allant de dopages financiers, des fraudes fiscales de certains joueurs de football à des tentatives de corruption des instances. C’est le lanceur d’alerte Rui Pinto qui en est à l’origine, avec plus de 1,9 téraoctet de données, soit 18,6 millions de documents, envoyées au groupe de médias européens.
Il y a deux ans, le Paris Saint-Germain et Manchester City s’étaient alors retrouvés dans l’œil du cyclone, avec des informations, relayées en France par Médiapart, sur un probable contournement du fair-play financier et des soupçons de tricheries. On parlait alors de plus d’un milliard d’euros illégalement injectés, depuis le début des années 2010, par les dirigeants des deux clubs, à travers des sociétés écrans ou des contrats de sponsoring surévalués. Sauf qu’à chaque fois, malgré les supposées preuves des Football Leaks, les affaires se sont conclues par des non-lieux ou des abandons de sanctions, par l’UEFA directement ou par le Tribunal arbitral du sport.
La fraude du Real
À présent, c’est au tour du tout-puissant Real Madrid d’être au centre des révélations. Der Spiegel, en Allemagne, et InfoLibre, l’équivalent de Médiapart en Espagne, ont publié des documents prouvant une fraude fiscale consciente et assumée des dirigeants de la Maison-Blanche. Dès 2016, ils auraient négocié un contrat de rétrocession d’une partie de leurs droits commerciaux, essentiellement issus de la gestion numérique et des réseaux sociaux, avec le fonds d’investissement américain Providence Equity Partners. Ce contrat, signé sur une période de dix ans, d’une valeur de 500 millions d’euros, devait alors permettre d’augmenter de 23,75% leurs revenus commerciaux. Seulement, et c’est ce qui fait tache pour le Real Madrid, le deal n’aurait pas été pris directement avec Providence Equity, mais avec l’une de ses filiales, PQ VII Sàrl, domiciliée au Luxembourg. Après enquête, il s’avère qu’elle n’est qu’une « société instrumentale » dont les bénéficiaires ultimes sont « deux sociétés domiciliées dans le paradis fiscal des îles Caïmans », comme le précise l’article d’InfoLibre.
Autrement dit, les fonds versés au Real, à travers ce contrat de gestion des droits, auraient transité par un paradis fiscal et auraient ainsi échappé à l’impôt. À travers différentes sociétés écrans, les traces des virements n’apparaîtraient nulle part dans les documents comptables transmis à l’administration fiscale espagnole. On parle alors de 200 millions d’euros, versés depuis 2017, non déclaré au fisc, une fraude claire à la loi. À travers ce mécanisme, ce sont entre 20 et 48 millions d’euros qui auraient échappé à l’impôt, selon les taux de prélèvement en vigueur de l’autre côté des Pyrénées. Les dirigeants du Real Madrid étaient parfaitement au courant du procédé, mais auraient malgré tout maintenu le contrat en l’état. « Cela ressemble à une blague, mais j’ai peur que ce soit sérieux » avait alors conclu le directeur financier du club, « cette structure sera presque certainement remise en question par le Trésor ».
Des sanctions sportives et financières ?
Et pourtant, le Real Madrid a quand même accepté et signé l’accord, conscient des risques et des incertitudes. Depuis ces révélations, le club a refusé de répondre aux questions de la presse ibérique, pour préparer sûrement sa réponse et ses éléments de langage. Concrètement, que va-t-il se passer maintenant ? Au niveau du fair-play financier, alors que beaucoup espèrent des sanctions sportives, il n’y aura pas grand-chose. Le règlement de l’UEFA précise bien, dans son article D de l’annexe 10, que les charges, les pertes d’impôt et le produit fiscal « ne sont pas inclus dans le calcul relatif à l’équilibre financier » conduisant à une investigation de l’Instance de contrôle financier des clubs européens (ICFC). On pourra néanmoins supposer que l’ICFC s’intéresse au contrat et à son montant, potentiellement surévalué, à travers un mécanisme d’optimisation fiscale, conduisant ainsi à une surveillance claire. Si et seulement si, bien évidemment, ces révélations amènent à une enquête.
L’autre risque concerne directement le trésor espagnol, qui pourrait sévir et fixer des amendes financières. Le Real a en effet un passif déjà lourd avec les autorités fiscales et ne risque pas d’apparaître comme totalement innocent. Entre 2011 et 2014, le club avait contourné une partie de ses déclarations fiscales en rémunérant ses joueurs via des versements aux agents. 28 millions d’euros avait alors été exigés par le fisc, au titre d’arriérés de paiements, malgré l’appel du Real devant la Cour administrative centrale. Idem, en 2016, 9,2 millions d’euros d’impôts sur les joueurs n’avaient pas été déclarés et la Maison-Blanche avait dû s’acquitter de 6,5 millions d’euros d’amendes. Avec cette nouvelle affaire, le Real Madrid risque gros. Ou alors pas du tout. Eh oui, on a beau chercher, rares sont les cas et les exemples de sanctions à l’encontre des très gros du football international…
Par Pierre Rondeau