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Sochaux vend son âme en Espagne
Si Sochaux n'est pas totalement exclu de la course aux play-offs, en coulisses, le club semble bel et bien au bord du gouffre. En devenant un club satellite du Deportivo Alavés, Bonal s'apprête à perdre un bout de son âme.
Fondé en 1928, le FC Sochaux-Montbéliard, pionnier du football professionnel en France, est nonagénaire. Un âge qui force le respect. Car depuis qu’il est né, Sochaux en a vu des clubs naître à leur tour, s’épanouir, tomber dans l’oubli, tenter de survivre ou même mourir. Mais Sochaux, au contraire de n’importe quel club français qui a connu des hauts et des bas, a cette particularité d’être toujours là, solide, imbougeable. Depuis l’acquisition de son statut professionnel en 1932, Sochaux n’est jamais tombé plus bas que la deuxième division et est le deuxième club français à avoir disputé le plus grand nombre de saisons en première division – 66, juste derrière Marseille avec 68. Un mastodonte du football français, en somme. Il y a onze ans, Sochaux remportait la Coupe de France et la Gambardella le même jour. Il y a six ans, Sochaux participait à la Coupe d’Europe. Aujourd’hui, Sochaux est en Ligue 2 et est en passe de devenir le vulgaire satellite d’un club espagnol de bas de tableau. « C’est le résultat en très peu de temps d’une gestion catastrophique. À mon départ, il y avait des gens compétents et qui aimaient le club. Aujourd’hui, je vois un club qui meurt » , peste Jean-Claude Plessis, président du FC Sochaux de 1999 à 2008.
Perte d’identité
Mercredi, le club franc-comtois a annoncé dans un communiqué qu’il confiait sa gestion au groupe espagnol Baskonia-Alavés. En gros, pendant trois ans, le groupe qui détient le Deportivo Alavés va prendre le contrôle de Sochaux sur les plans sportif et économique et s’engage à prendre en charge une partie de sa dette. « Ça veut dire que l’actionnaire actuel n’est pas en mesure de gérer le club. On devient un club sous tutelle, lance sur un ton morose Jean-François Bonnet, président du supporter-club du FCSM. Mais on l’avait pressenti, on a compris depuis longtemps que Ledus est incapable de gérer la dette. » Si les supporters sochaliens ont compris depuis belle lurette qu’une combine se préparait, c’est parce qu’il y a bientôt trois mois, la DNCG a épinglé le club franc-comtois, le menaçant d’une rétrogradation administrative en National 3 si « les dépenses programmées dans le budget de la saison prochaine ne sont pas couvertes » d’ici le mois de mai.
Pour se sortir de ce mauvais pas financier, Sochaux va donc devenir un club satellite du Deportivo Alavés, au même titre que Rudes en Croatie, et le JS Hercules en Finlande. Triste. Si Jean-François Bonnet se dit « sur le cul, sonné » , Jean-Claude Plessis est quant à lui en colère : « Un club de sport, c’est une entreprise. Mais à la différence d’une entreprise classique, il faut aussi une âme. Surtout pour un club du calibre de Sochaux. Et là, il n’y a plus d’âme dans ce club, plus personne qui le dirige » , gronde l’ancien président du club sochalien. Si le groupe Baskonia-Alavés réussit plutôt bien dans le sport, avec un club de basket performant en Europe, et le Deportivo qui est passé de la Segunda B (D3) avec 20 millions de dettes à la Liga avec des finances saines en quelques années, les supporters sochaliens ne peuvent décemment pas se réjouir de cet accord. « Le club n’aura pas les mains libres, il sera tributaire de ce club espagnol. C’est lui qui prendra les décisions. Et si un jour, Alavés va mal et qu’il faut sacrifier une entité, ce sera nous » , déprime le président du supporter-club.
Plessis : « Ledus n’a jamais vendu une lampe en France ! »
La vérité, c’est que cela fait maintenant un moment que Sochaux coule doucement. Depuis la descente en Ligue 2 en 2014, le désengagement de Peugeot et le rachat du club par le groupe chinois Ledus en 2015 – Sochaux est le premier club d’Europe à être passé sous pavillon chinois –, Bonal vit de fausses promesses et de gestion financière opaque. Ces derniers mois, Ledus France a été placé en liquidation judiciaire, et TechPro, la maison mère de Ledus, est tombée en chute libre à la bourse de Hong-Kong. « Je trouve ça ahurissant que ce club soit tombé entre les mains d’un malfrat comme ça, Ledus n’a jamais vendu une lampe en France ! C’est extraordinaire. Si ça arrivait dans un club du top 5 français, les médias écriraient des centaines de papiers tellement c’est un scandale » , s’emballe Plessis, abattu par ce qu’est devenu son club.
En seulement trois ans, Wing Sang Li, le président de Sochaux, a réussi à se mettre tout Bonal à dos et est tout simplement en train de tuer le FC Sochaux-Montbéliard. « L’autre jour, je suis allé voir un match à Bonal. Je ne connaissais pas tous les joueurs, mais je connaissais le prénom de presque tous les spectateurs, tellement le stade était désert » , assure Plessis. Sur un ton presque fataliste, Jean-François Bonnet assure qu’il préférerait que « l’on vende le club, et que l’on trouve un repreneur » . L’ancien président du FC Sochaux partage cet avis, avec encore plus de véhémence : « De toute façon, le meilleur avenir possible, c’est que Ledus s’en aille et que le club reparte de zéro. Quitte à partir de National. Il faut que ce type se barre avec son équipe de bras cassés. » Quitte à mourir, autant le faire complètement pour pouvoir ressusciter.
Par Kevin Charnay
Propos de Jean-François Bonnet et Jean-Claude Plessis recueillis par KC