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Sochaux : récit d’une « descente aux enfers »
Cette fois, le couperet est tombé : malgré son appel devant la DNCG, le FC Sochaux Montbéliard est rétrogradé en National. Un troisième échelon que le premier club professionnel de l’Hexagone n’a jamais côtoyé. La situation pose surtout la question de la pérennité d’un club historique de plus en plus menacé de déposer le bilan.
Lucien Laurent est resté dans les livres d’histoire comme le premier buteur de l’histoire de la Coupe du monde. En 1930, il part en Uruguay juste après avoir acté son arrivée au FC Sochaux-Montbéliard en qualité de footballeur ouvrier aux côtés de son frère Jean. De longues années plus tard, son petit-neveu Samuel Laurent fait également parler de lui. Le directeur général sochalien symbolise la dégringolade du club. Parti en urgence en Chine pour demander vainement quelques rallonges au groupe chinois Nenking, détenteur du FCSM, il ne peut qu’assister impuissant à la rétrogradation en National. En quelques semaines, les Lionceaux sont passés du rêve au cauchemar. Longtemps en lice pour monter en Ligue 1, ils se retrouvent désormais au troisième échelon national. « C’est d’une tristesse infinie, déplore Jean-Claude Plessis, président du club dans les années 2000, couronnées par les sacres en Coupe de France et Coupe de la Ligue. Les gens pleurent parce que c’est leur club, c’est comme si c’était un être vivant. Ils sont en deuil. » Son ancien entraîneur Guy Lacombe, lui, n’en revient pas : « C’est incroyable. J’ai été un peu abasourdi, je ne m’attendais pas du tout à ça. »
🚨 Communiqué du FCSM suite à décision de la DNCG de ce mardi 11 juillet.
Dès avant la rétrogradation en National 1 prononcée le 28 juin dernier par la DNCG dans le cadre de l’examen de sa situation au titre de la saison sportive 2023/2024, le FC Sochaux-Montbéliard s’est… pic.twitter.com/RByo5eNZ6I
— FC Sochaux-Montbéliard (@FCSM_officiel) July 11, 2023
Pour Fabrice Lefèvre, supporter depuis le milieu des années 1980 et à la tête de l’association Planète Sochaux, c’est « un déchirement ». Pour l’ancien capitaine du FCSM Michaël Isabey, ça ressemble à « une descente aux enfers ». Au moment de parler du club, le leur, celui d’une région entière, les mots manquent. La situation est alarmante avec la chute d’une des institutions phares du football français. Celle qui a instauré le professionnalisme sous l’égide des usines Peugeot, avant de remplir son armoire à trophées de deux titres de champion de France (1935 et 1938) notamment, puis de tomber en troisième division ce mardi. « C’est difficile pour moi, qui ai passé 17, 18 ans dans ce club et qui ai un attachement sentimental, d’accepter que le club arrive à cette situation », explique Mécha Baždarević, joueur puis entraîneur sochalien.
Le poumon de la région
Quand le FC Sochaux-Montbéliard vacille, c’est toute la Franche-Comté qui tremble. Samedi, un cortège n’a pas hésité à sortir les fumigènes jaunes et bleus et à donner de la voix dans les rues de Montbéliard pour montrer le soutien de la population pour son club. Fabrice Lefèvre ne peut que soutenir cette initiative : « En Franche-Comté, le FC Sochaux est un véritable ciment social. De par son histoire, c’est quelque chose qui se transmet de génération en génération. Ça fait partie de la vie de dizaines de milliers de personnes. C’est un sentiment de vide absolu qu’on a devant nous. » Même si tous veulent continuer de croire à un Bonal plein à craquer en National, les chiffres d’affluence devraient considérablement diminuer. Symbole de l’unité territoriale, l’agglomération de Montbéliard a, pour le moment, accepté un report de loyer du stade.
Avec la rétrogradation, ce sont des dizaines d’emplois qui sont menacés en interne. « De façon indirecte, c’est aussi une activité économique qui va être affectée. C’est très dur pour tous les partenaires », souligne le supporter. Car la grandeur du FCSM s’est faite grâce à ces partenaires. C’est ce qui rend cette institution particulière selon Mécha Baždarević : « Il y avait beaucoup d’entreprises intégrées au club, qui le sponsorisaient, les joueurs habitaient par là, il y avait beaucoup d’événements où ils étaient présents. » « Je ne dis pas que le club est le poumon de la région, mais presque, appuie Guy Lacombe. Quand j’y étais, c’était Peugeot qui possédait le FCSM et c’était justement ce cœur-là qui tenait économiquement la région. On savait ce qu’on devait à Peugeot, mais aussi à tous les supporters qui étaient souvent des ouvriers de l’entreprise. » L’entraîneur vainqueur de la Coupe de la Ligue 2004 se souvient avec émotion des années en compagnie de la marque au lion. Il s’en servait même comme piqûre de rappel dans son management : « Quand on avait besoin de rappeler certaines valeurs aux joueurs, on allait leur montrer les usines de l’intérieur. Ça remettait tout le monde dans le droit chemin parce qu’on comprenait à quel point le lien entre le club et Peugeot était important. »
Sous la direction de la famille Peugeot, créatrice du club en 1928, le club n’est jamais descendu au-delà de la deuxième division. Il aura fallu moins de dix ans aux futurs entrepreneurs chinois pour réussir cet exploit. « La famille Peugeot doit aussi être déprimée, ils habitaient Montbéliard, ils faisaient partie de tout ça. Il y a une identité Peugeot forte, moi dans mon équipe, on avait cinq joueurs dont les parents travaillaient à l’usine », se souvient Jean-Claude Plessis. Au fil du temps, la professionnalisation a évidemment pris le dessus. Mécha Baždarević le regrette : « Ce qui est gênant, c’est qu’on a l’impression que depuis quelques années, le club s’est complètement détaché de la ville, de la région, qui représente beaucoup. Le club a toujours vécu avec cette région et j’ai l’impression que, depuis quelques années, ce n’est plus le cas. » Les footballeurs ouvriers comme Lucien Laurent ont laissé place aux petits-neveux bien moins concernés par le sportif.
Une longue descente aux enfers
« Quand Peugeot s’est débarrassé du FC Sochaux, tout le monde savait que c’était un tournant dans la vie du club. » Guy Lacombe résume plutôt bien le sentiment vécu par tous les amoureux du FCSM depuis la vente du club à Ledus, en 2015. Une saison après sa relégation en Ligue 2, Sochaux devient le premier club français à passer sous pavillon chinois après n’avoir connu qu’un seul propriétaire : la marque automobile à l’origine de sa création. « Je me souviens que la famille Peugeot était très attachée au club, mais au fil du temps, les actionnaires n’avaient plus le football comme priorité », poursuit celui qui a dirigé les Lionceaux entre 2002 et 2005. Au printemps 2019, après une saison difficile sur le plan sportif et un maintien en deuxième division validé lors de la dernière journée, c’est un nouveau propriétaire chinois, Nenking, qui sauve Sochaux d’une première relégation administrative. Le couperet mettra quatre ans supplémentaires à tomber.
Quatre longues années où le groupe immobilier basé à Hong-Kong s’est attiré les foudres de tous les amoureux des Jaune et Bleu. « Ça fait longtemps que je le dis, on ne peut pas faire confiance à ces gens-là, et je crois que la preuve est faite, tranche même Jean-Claude Plessis. On ne confie pas le club à des amateurs, à des gens sans scrupule. » Directeur général, Samuel Laurent se retrouve au cœur de la tempête. « Si on avait eu quelqu’un qui tenait la route, on montait parce que ce qu’il s’est passé avec les huit défaites lors des huit derniers matchs, c’est qu’il y avait un problème dans le vestiaire et pour le régler, il faut y aller, dans le vestiaire. Ça ne serait pas arrivé à Jean-Michel Aulas, ni à Gervais Martel », gronde encore Plessis. Du côté des supporters également, les reproches sont nombreux, et la colère vive. « J’ai eu l’occasion d’échanger quelques fois avec lui, mais très vite je me suis dit “Il ne comprend vraiment rien” », ne peut que se lamenter Fabrice Lefèvre.
En cause également ces derniers mois, un train de vie bien au-dessus des moyens des Doubistes, convaincus de pouvoir retrouver très vite la Ligue 1 après la déception des barrages à Auxerre en 2022. « Le projet du club était ambitieux, mais quand il n’y a pas les résultats au bout, on paye les pots cassés. Maintenant, le club est dans une situation plus que délicate », ne peut que constater la légende locale Michaël Isabey, revenue il y a tout juste un an dans le costume de responsable de la préformation. Mais l’ancien capitaine garde un espoir : le centre de formation, « joyau » du club qui aura révélé Genghini, Pedretti, Frau et tant d’autres.
Strasbourg et Bastia : exemples à suivre ?
Malheureusement, alors que l’hypothèse d’un dépôt de bilan pointe le bout de son nez, la pépinière doubiste n’est pas certaine de pouvoir continuer à faire des merveilles. « Le club n’est pas mort, il est malade, mais il repartira en N2 ou en N3 et il faudra le reconstruire. Le côté positif, c’est qu’on n’aura plus les actionnaires en question, affirme Plessis, prêt à filer un coup de main dans l’espoir de revoir son ancien club revivre de grands moments. On a été trahis par des salopards (sic). C’est peut-être aussi une bonne leçon pour le foot français. » Tous les regards se tournent alors forcément un peu plus au nord-est. « Strasbourg a eu la sagesse de confier sa destinée à Marc Keller, qui a été très judicieux dans ses choix. La ville en elle-même est puissante dans le paysage français, alors que Montbéliard est une ville ouvrière. Je ne sais pas si on pourra avoir le même résultat à Sochaux, même si c’est aussi un club très populaire, tempère toutefois Guy Lacombe. Il faut que ce soit des actionnaires du coin qui aiment vraiment le club. Un peu comme à Rennes avec François-Henri Pinault. Ça, c’est l’actionnariat idéal en mettant la compétence aux bons étages du club. »
Gage aux anciens de sauver la maison ? Mécha Baždarević ne compte pas se défiler. « Après, je ne suis pas milliardaire, nuance celui qui compte neuf saisons professionnelles sous le maillot doubiste. Les investisseurs, les politiques, je pense qu’ils ont tous le devoir de réagir. Ce n’est pas possible que Sochaux disparaisse. » Une volonté politique affichée par Nicolas Pacquot, député de la 3e circonscription du Doubs : « Nous devons déployer tous les moyens possibles pour ne pas voir disparaître ce club historique, véritable institution et si chère à notre cœur. » « Le club a 95 ans et il fêtera ses 100 ans quoi qu’il arrive. Les clubs qui ont une histoire reviennent toujours. Regardez Reims », embraye Jean-Claude Plessis.
L’exemple à suivre se trouverait peut-être plutôt en Corse. « Un des modèles dont on parle entre nous et qui pourrait nous guider, c’est celui de Bastia, avec la constitution d’une association de socios, où les forces économiques, politiques et sportives se sont unies, lorgne Fabrice Lefèvre. La riche histoire du FC Sochaux-Montbéliard permet d’avoir beaucoup de personnes qui sont prêtes à venir concourir à la relance du club. En tant que supporters on est là, prêts à ressusciter le FCSM. Il y aurait une forme de réappropriation de notre club. C’est le sentiment qu’on avait avec Peugeot, avant qu’ils nous bazardent. Depuis on a presque l’impression d’être un peu déracinés et donc oui, si on pouvait tous s’unir localement pour reprendre le club et pouvoir se dire “C’est notre club”, ce serait une bien belle perspective. » Le rendez-vous est pris.
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Tous propos recueillis par TB et EL, sauf ceux de Nicolas Pacquot.