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Sochaux, la mort dans l’âme du foot français
Le sort du FC Sochaux s’avère plus qu’incertain après la décision négative du CNOSF. En cas de disparition du club, une part de l’histoire et de la mémoire du foot français s’évanouirait sous nos yeux. Le capitalisme dans le foot ne verse pas dans le sentimentalisme, surtout pour ses aînés.
Le CNOSF a parfois sauvé des clubs français des griffes de la vilaine DNCG, le RC Lens peut encore l’en remercier. Sochaux n’aura pas cette chance. Pourtant, tout le monde, surtout dans la région (politiques, personnalités, supporters), avait entonné sa petite note élégiaque, pour faire pression en jouant sur la corde sensible. Y compris le président de la République, qui se serait montré « très sensible à la situation », du moins à en croire Nicolas Pacquot, député Renaissance du Doubs. La Macronie a aussi ses limites en matière de ballon rond. Même Kylian Mbappé ne répond plus au téléphone. Le projet de Romain Peugeot, avec ses airs de rédemption après l’abandon par sa famille de ce trésor national, n’aura pas suffi à convaincre l’institution sportive suprême. Sochaux ne pourra normalement pas évoluer en Ligue 2 la saison prochaine, ce qui devrait faire le bonheur d’Annecy. Le dépôt de bilan semble devenir une issue de plus en plus probable, accompagné d’une descente dans les limbes des divisions inférieures, même si Me Laurent Cotteret a annoncé que le club allait abattre sa dernière carte. Dans le pire des cas, certains se souviendront que le Racing Club de Strasbourg avait failli lui aussi disparaître avant de ressusciter. Mais le contexte n’est pas comparable, ni l’époque d’ailleurs.
Sochaux et les trous noirs de l’Hexagone
Le profil de Sochaux reste irremplaçable, tout comme sa contribution à la singularité du foot français. Il a grandement accéléré l’adoption tardive du professionnalisme en 1932 au pays de Coubertin. Il était le fleuron d’une industrie automobile qui pesait si lourd sur le sport tricolore d’avant-guerre (l’ancêtre de L’Équipe s’appelait L’Auto). Les patrons français investissaient dans les stades pour renforcer un paternalisme censé immuniser les ouvriers du microbe rouge des syndicats. Un club qui évoluera ensuite dans une enceinte baptisée Auguste Bonal, l’un des rares dirigeants patronaux entré en résistance, et inaugurée en présence des représentants de la CGT de l’usine qui jouxtait le stade. Bref, un club patronal mais d’ouvrier. Un club où les pros visitaient les chaînes de production des voitures qu’ils recevaient à leur signature chez les Lionçeaux. « La Peuge » régnait sur la ville, comme le chantait si bien le groupe punk No Fuck Bébé, notamment via les exploits de Stopyra en Coupe d’Europe.
Depuis, le foot a évolué trop vite, et la France a globalement renoncé à son industrie, faisant mine de croire que ses ouvriers appartiennent au passé et au film de Jean Renoir. Peugeot l’avait même entériné avant la vente en douce du FCSM. En 2016, Isabel Salas Mendez, responsable des partenariats de Peugeot, s’était lâchée dans une élan de sincérité presque touchant sur Europe 1 : « Le football est un sport qui ne va pas avec nos valeurs. Il véhicule des valeurs populaires et nous, on essaye de monter en gamme. En 2016, nous avons décidé de tout concentrer sur le tennis. C’est le sport qui va le mieux avec nos valeurs, qui est international, qui touche tant les hommes que les femmes. »
Alors que le PSG tente de nous vendre la « francisation » de son effectif, il se peut que notre foot perde une partie de son patrimoine, dans la suite logique du lent délestage de son passé. Cette ligue à 18 le confirme avec la création de ces trous noirs dans l’Hexagone, comme la Corse ou autour de l’axe Troyes – Auxerre. La tristesse des supporters, les articles nostalgiques, les vidéos de l’INA sur les parcours européens sochaliens (dont une demi-finale en Coupe UEFA), sans oublier les pubs vintage partagées sur les réseaux sociaux, ne pourront compenser la pente fatale d’un fiasco économique à l’heure de la multipropriété triomphante. La mort dans l’âme, que le foot a déjà vendue cent fois au diable.
Un autre international français tourne la pagePar Nicolas Kssis-Martov