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Smaïl Bouabdellah : « Je veux juste vivre de grandes émotions »
En pleine euphorie pendant l'intégralité de la Coupe d'Afrique des nations, Smaïl Bouabdellah revient sur la compétition qu'il a davantage suivie dans la peau du supporter que dans celle du journaliste. Normal, pour un Algérien.
Comment vous vous sentez, aujourd’hui ?Franchement ? Je ne sais pas, j’ai peut-être préféré les cinq jours avant la finale. C’était une période tranquille, j’étais serein. Je n’étais pas du tout stressé, ce n’est pas mon genre. Les seules fois où j’étais stressé, c’était quand on faisait les finales de tournoi avec les U10 et U13 du Racing en tant que coach. Mais sinon, c’était super d’attendre une finale. J’avais l’impression d’être un supporter de Rennes avant la finale de la Coupe de France, qui allait juste faire la fête et vivre quelque chose d’exceptionnel dans un grand match.
C’était super, que du positif. Mais là maintenant, je ne sais pas du tout. Comme tout le monde en fait, je plane. Comme après une victoire dans une grande compétition de l’équipe qu’on supporte.
Vous pensiez à la victoire en 1990, sur le moment ?Non, je n’y pensais pas du tout. J’ai des souvenirs, mais à huit ans, il y avait beaucoup moins de foot à la télévision. On pouvait être un mordu de foot à l’époque et voir beaucoup moins de matchs que ce qu’on a aujourd’hui, c’est un rapport qui est complètement différent. Puis là, il y a le fait de travailler dessus. À huit ans, je ne pensais pas du tout être journaliste. Ce n’était pas mon ambition, je voulais être prof.
Est-ce qu’on fait tout pour retenir ses émotions en tant que journaliste, dans ce genre de situation ?Je ne me suis ni retenu ni surjoué, j’ai eu une réaction naturelle. Dans ces moments-là, il ne faut pas calculer. Il n’y a rien de mal, j’espère, à avoir des émotions lorsque l’équipe que l’on supporte gagne une grande compétition. Ce n’est pas comme être supporter de club.
Vous avez eu une réaction un peu à la Omar da Fonseca, à la différence que lui est un consultant. Certains vont dire que le journaliste doit rester neutre, objectif et que votre réaction est donc inappropriée…Franchement, je n’en ai rien à faire de ce que les autres pensent de ça.
Il faut de l’objectivité dans l’analyse si vous voulez, mais aujourd’hui c’est le monde virtuel des réseaux sociaux d’avoir un avis et de s’indigner pour tout. Vous pensez que si je supporte le Venezuela, l’Albanie ou la Corée du Sud, ça va leur faire gagner des matchs ? Non, je ne prétends pas avoir cette importance-là. Je l’ai dit : je m’étais porté candidat pour une place en sélection, Djamel Belmadi ne m’a pas pris, donc j’estime n’avoir aucun rôle dans cette histoire et n’avoir aucun mérite. (Rires.)
Est-ce que vous aviez des consignes de vos supérieurs ?Non, pas du tout. Ça fait deux fois qu’on fait cette Coupe d’Afrique des nations, et avant cela je n’avais jamais vu sur un plateau télé une CAN qui ressemblait aux gens qui la regardaient.
Vous avez pensé un moment ne pas être en plateau, et regarder la finale avec vos proches ?Si je n’avais pas fait l’émission, j’aurais été au Caire avec ma famille. Mais non, je n’y ai pas pensé, c’est mon boulot. Vous savez, quand Grégoire Margotton commente le but de Pavard, je n’ai pas l’impression qu’on lui a fait des reproches. Ce n’est peut-être pas une question de journalisme, mais plutôt du pays que l’on supporte. Ceux que ça gêne n’en ont rien à faire du foot. Au contraire, ceux qui aiment le foot vont apprécier ces émotions et vont se dire que c’est génial. C’est une équipe nationale, pas un club. Je ne vais pas demander aux gens d’accepter mes émotions, et d’accepter mon plaisir. La vie, ce n’est pas Twitter. Les gens qui sont à la télévision ne regardent pas tous le match sur les réseaux sociaux. Là où je suis très tranquille, c’est que je reçois souvent des messages qui me disent : « Vous êtes contents parce que Paris a gagné, parce que Reims a gagné, parce que Marseille a gagné… »
Je n’en ai rien à faire. Je suis supporter du Racing Club de France, et on joue en National 3. Donc oui, le jour où on sera en Ligue 1 – dans cinq, six ans ! -, je supporterai le Racing. Là, on pourra me dire que je suis supporter du Racing et que ce n’est pas bien. Mais rien n’empêche de supporter une équipe, et de pouvoir faire son métier si dans l’analyse on est juste. Quand l’Algérie ne faisait pas de bons matchs, je n’ai jamais dit le contraire. À la fin, vous ne m’avez pas entendu dire : « Quelle finale exceptionnelle de l’Algérie, on aurait cru voir jouer le Brésil des années 82-86 ! » Si j’avais dit ça, ce ne serait pas être un supporter, mais juste un idiot. Dire que l’Algérie a fait une super CAN, ce n’est pas être supporter. Youssouf Sabaly est le meilleur latéral gauche du tournoi, je ne suis pourtant pas supporter du Sénégal. Tout ça, c’est un débat pour les gens qui ont le temps. Moi, je veux juste profiter et vivre de belles émotions.
En tant que Français d’origine algérienne, ça fait quoi de gagner d’abord le Mondial et la CAN juste derrière ?J’ai une chance exceptionnelle. Après, je comprends qu’il y ait des gens frustrés et jaloux de notre chance. Je pense que des politiques auraient aimé être d’origine algérienne, et pouvoir être heureux une deuxième fois en deux ans. Quand la France a gagné en 2018, j’étais dans la rue avec un karting et un drapeau de la France. Maintenant, je suis content de la même manière avec l’Algérie. Vous vous rendez compte si j’avais, en plus, été d’origine brésilienne ?
Qu’est-ce que vous répondez à ces personnalités politiques qui disent : « Si vous préférez l’Algérie, retournez-y » ? Je ne suis pas là pour les commenter, ce serait leur donner de l’importance.
Mais pour ces gens qui disent « Qu’ils retournent dans leur pays » : mon pays, c’est la France ET l’Algérie. Je suis né à Nanterre, j’ai grandi à Colombes et j’habite à Sannois. Les gens de Sannois ne me disent pas de retourner à Colombes, même si j’aime bien y retourner voir ma famille et mes amis. Mais je me sens très bien aussi à Sannois, donc je ne bougerai pas. Mes enfants sont là, ils vivront ici heureux. Je préfère profiter de ces moments-là plutôt que de donner la parole à ces personnes. J’ai la chance de voir mes deux pays remporter des compétitions, c’est magnifique. Ça faisait 18 ans qu’on n’avait rien gagné avec la France, 29 avec l’Algérie. En deux étés, on a gagné deux grandes compétitions, donc je ne vais pas m’attarder sur des gens qui sont rabat-joies.
Laquelle est la plus belle, pour vous ?Je pense que c’est l’Algérie, parce que ça faisait plus longtemps qu’elle n’avait pas gagné.
Comment voyez-vous l’Algérie pour la prochaine CAN, en 2021 ?
J’aurais bien aimé que ça dure douze ans sans compétition, comme ça on serait restés champions. (Rires.) C’est beau, aussi, de défendre un titre. Bon, je préfère en gagner un parce que l’émotion n’est pas la même, mais défendre un titre est aussi quelque chose de très fort et un superbe objectif. Puis surtout, retourner en Coupe du monde…
Quelle émotion a été la plus forte : Slimani contre la Russie en 2014, ou cette victoire finale à la CAN ?Je vais vous en dire une autre : le but d’Antar Yahia contre l’Égypte.
C’est peut-être celle-là, la plus grande. Ça faisait 23 ans que l’Algérie n’avait pas joué de Coupe du monde, c’était tellement fort… Puis, le contexte était particulier : la défaite au match retour contre l’Égypte, le bus algérien attaqué avec plusieurs joueurs blessés, c’était exceptionnel… Je les vois toutes comme de grandes émotions, mais je ne les compare pas, je veux juste les vivre.
Propos recueillis par Claude-Alain Renaud