- Angleterre – Football League Championship – Wolverhampton Wanderers
Sir Elgar, le premier supporter chantant
Il est l'un des plus grands compositeurs anglais, et ses œuvres feront à jamais partie du répertoire classique international. Variations Enigma ou Pomp and Circumstance traverseront les âges. Tout comme He banged the leather for goal, aujourd'hui considéré comme le tout premier chant de supporters jamais composé.
Les joueurs attendent patiemment dans le couloir menant à la pelouse. Soudain, ils avancent. Au pas, le bruit des crampons sur le carrelage marque les temps comme une caisse claire. S’y mêlent en canon les encouragements des uns, les cris des autres. Les respirations saccadées complètent cette symphonie d’avant-match. En chef d’orchestre, l’arbitre demande aux acteurs de se placer pour le protocole d’avant-match. Des tribunes, des hurlements émergent, de ci, de là, sans qu’aucune mélodie distincte ne se détache de ce qui est devenu une cacophonie enivrante. Ici, devant le match des Wolverhampton Wanderers qui va débuter, un homme observe ce nouveau décor qui s’offre à lui. Plus habitué aux fauteuils confortables et à la scène immense du Royal Albert Hall de Londres qu’aux strapontins et aux tribunes de bois d’un stade de football, Edward Elgar apprécie néanmoins le spectacle. S’il n’a pas sous ses yeux un orchestre philharmonique, et s’il n’a pas sa baguette en main, le compositeur n’en est pas moins inspiré. Quelques jours après sa première expérience depuis les tribunes, il composera d’ailleurs le tout premier chant de supporters.
Prendre la mesure du phénomène football
En 1895, Edward Elgar a 38 ans, et les choses du football lui sont encore totalement inconnues. Un jour de février, le compositeur rend visite à son amie Dora Penny Powell, à Wolverhampton. Dans son livre Edward Elgar : Memories of a variation, son amie se souvient de son arrivée à la gare : « Il m’a demandé si j’avais déjà vu lesWolvesjouer, et quand il a appris que notre famille ne vivait qu’à quelques mètres du stade, il m’a demandé d’aller voir un match. Mais nous étions vendredi, et lesWolvesne jouaient pas avant dimanche » , raconte-t-elle. Finalement, Edward n’assiste à son premier match qu’un an plus tard, à l’automne 1986. Le spectacle le ravit, et, d’après son amie, à qui il rend d’ailleurs un vibrant hommage dans la dixième variation de son œuvre Variations Enigma, il est fasciné par la ferveur des supporters présents et par la force de l’attaquant des Wolves, Billy Malpass. À tel point que durant les deux années suivantes, le compositeur fait régulièrement la route entre Worchester et Wolverhampton pour se rendre au Molineux Stadium.
Un jour de février 1898, alors qu’il a assisté à un nouveau match la veille, face à Stoke City, Edward Elgar attrape un journal. À l’intérieur, il est marqué par une phrase utilisé par le journaliste pour parler d’un but marqué : « He banged the leather for goal. » Ni une, ni deux, le musicien se jette sur l’occasion, attrape un cahier et se met à composer la chanson qui collerait le mieux à cette phrase. La chanson, simple, est composée pour une ligne vocale et un accompagnement simple à deux instruments, dont un piano. Ce n’est sans doute pas la plus belle pièce du musicien, ni la plus complexe, mais elle fait naître au Molineux Stadium une tradition chantante. Reconnaissable grâce au sforzando sur le mot « goal » , la chanson ne reste pourtant pas longtemps dans la mémoire des supporters. Pendant plus d’un demi siècle, la chanson et son compositeur tombent dans un oubli presque total, jusqu’à ce que le club se souvienne de ce morceau d’histoire.
Reconnaissance posthume
Dans les années 1950, Percy Young, musicologue, chef d’orchestre et historien du club de Wolverhampton, remet le chant de Sir Elgar au goût du jour. Les années passent, et le lien entre le compositeur et le club se renouent de nouveau. Dirigeants et supporters sont tous fiers d’avoir un jour compté dans leurs rangs celui qui est devenu l’un des plus grands compositeurs britanniques de tous les temps. En 2010, et ce, pour la première fois, He banged the leather for goal est interprété par un orchestre lors d’un concert de charité pour la rénovation de l’orgue d’une église de Wolverhampton. « D’année en année, nous avons appris beaucoup de l’attachement de Sir Elgar au club, et nous sommes fiers de l’avoir compté parmi nos supporters » , explique au Telegraph Rachel Heyhoe-Flint, l’une des dirigeantes, en 2010. « Personnellement, je suis ravie de cette initiative. Je suis fan desWolvesdepuis que j’ai visité Molineux pour la première fois dans les années 1950, je suis donc très heureuse que l’on puisse célébrer notre héritage de la sorte. »
Fan des Wolves pendant des années, le grand compositeur serait aujourd’hui satisfait d’entendre son œuvre la plus connue résonner dans les travées du Molineux Stadium toutes les deux semaines. Depuis longtemps maintenant, les Wolves entonnent effectivement une version arrangée du très célèbre Land of Hope and Glory, qui avait été proposé à la reine en tant qu’hymne national. Il n’est pas rare d’entendre, au loin, s’élever les notes de ce chant patriotique : « We will follow the Wanderers over land sea and water » ( « nous suivrons les Wanderers au-delà des terres, des mers et de l’eau » ). Improbable mais vrai : la culture du chant dans les stades est bien née de la main d’un compositeur de musique classique.
Par Gabriel Cnudde