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Sir, c’est une révolution

Par Thomas Goubin
Sir, c’est une révolution

Le 25 novembre 1953, la Hongrie de Puskas devient la première sélection non britannique à vaincre l'Angleterre sur son sol (3-6). A Wembley, devant 100000 spectateurs, le onze d'or magyar signifie à l'obsolète football anglais la nécessité d'une sérieuse mise à jour.

L’Angleterre se tenait à l’écart. Auto-satisfaite du haut de ses certitudes d’îlienne. En 1950, la Football Association daigne tout de même envoyer sa sélection se mélanger avec la plèbe lors de la Coupe du Monde brésilienne. Battus par l’Espagne, mais surtout par les Etats-Unis, les Three Lions sont éliminés dès le premier tour. Un résultat affligeant. Pas suffisant pourtant pour entamer une partie du crédit visiblement illimité que l’inventeur du football s’est auto-octroyé. L’Angleterre se complaît dans son immobilisme, et au moment de recevoir la Hongrie de Puskas, la presse du royaume ne fait rien pour lutter contre le complexe de supériorité de sa sélection. Elle présente la rencontre amicale comme le « match du siècle » . Pas moins. A Wembley, devant 1000000 spectateurs, se jouera, toujours selon la presse, une véritable finale de Coupe du Monde qui désignera la meilleure équipe de la planète. Clairement, la meilleur eéquipe de la planète se trouve bien sur la pelouse. Invaincu depuis trois ans, le onze d’or magyar ne connaîtra pas la défaite avant une finale de Coupe du Monde 1954, où la force allemande renverse, à la surprise générale, le talent hongrois. Au moment d’accueillir Puskas et consorts, l’équipe construite à l’abri du rideau de fer reste un mystère pour l’Angleterre. L’allure peu conventionnelle des chaussures des Hongrois font d’ailleurs se frotter les mains aux représentants d’Albion, invaincus à domicile face à des équipes non britanniques, et déjà certains de plier ces adversaires mal chaussés.

Dès la première minute, les préjugés des inventeurs du football tombent. Une puissante frappe de Nandor Hidegkuti placée à l’entrée de la surface transperce les filets. Sur le banc, le sélectionneur, Walter Winterbottom, reste incrédule. Le numéro 9 hongrois ne joue pas collé au défenseur central adverse, mais vingt mètres en retrait. Les intérieurs droits et gauches permutent. Et la défense, formée par une ligne de quatre, joue en zone. Schoking ! Les Magyars commettent le sacrilège d’envoyer ce bon vieux WM (3-2-5, ou 3-4-3 si l’on considère les « inters » comme des milieux) à la corbeille, pour miser sur un innovateur 4-2-4. La foule de Wembley ressemble aux spectateurs de la première projection des Frères Lumières : effrayés, avant de céder à l’émerveillement. La fiction anglaise perdure toutefois jusqu’à la 13e minute quand Jackie Sewell égalise. Un quart d’heure plus tard, la sélection aux Three Lions ne peut plus esquiver la nouvelle réalité. Trois nouveaux buts viennent sanctionner son immobilisme (Hidekguti, et un doublé de Puskas). La deuxième réalisation du Major galopant symbolise graphiquement le changement d’ère : le râteau de Puskas, qui précède sa frappe victorieuse, fait s’effondrer le capitaine Harry Johnston, comme une vieille statue de l’Ancien Régime dégommée par des révolutionnaires. L’Angleterre est has-been, dépassée techniquement, tactiquement, physiquement.

« On ressemblait à des idiots »

En 1952, quand la Hongrie est sacrée championne olympique, les Magyars misent encore sur le WM inventé par les britanniques au coeur des années 20. Mais, déjà, elle se distingue par la mobilité de ses joueurs. Le sélectionneur, Gustav Sebes, veut mettre en place « un football socialiste, où tout footballeur pourrait jouer dans chaque position et contribuer de manière égale à l’effort collectif » dixit Jeno Buzanszky, défenseur du onze d’or magyar. Trotsky n’aurait pas dit mieux. Rinus Michels, non plus. Si Sebes est en avance sur son temps, il dispose aussi d’une génération dorée (Puskas, Czibor, Koscis …) pour mettre en pratique au mieux ses théories. « Nous disposions bien de cinq ou six joueurs de classe mondiale, estime le portier, Gyula Grosics, dans une interview donnée à l’UEFA, mais nos succès ont été déterminés par ce système en 4-2-4, ce milieu défensif, notamment, qui venait supporter ses arrières, et cet attaquant qui évoluait en position reculée » .

Au coup de sifflet final, l’Angleterre a frappé cinq fois au but, la Hongrie trente-cinq. Une statistique qui révèle l’écart abyssal entre les deux équipes, plus encore que le score déjà sensationnel (3-6). Les inventeurs du football ont enfin compris qu’ils devaient faire leur aggiornamento. Le latéral droit, Alf Ramsey, a notamment pris des notes. En 1966, il mènera l’Angleterre vers son unique titre mondial. Pas un hasard. En tribunes, le jeune attaquant de Fulham, Bobby Robson, essuie l’humiliation, mais apprécie aussi la révélation. « Ce match a changé notre manière de penser, on pensait vraiment les démolir, et c’est l’inverse qui s’est produit » témoignera l’un des rares entraîneurs anglais à s’être exporté avec succès. Pour la Hongrie, ce triomphe à Wembley fait changer l’équipe de dimension. La présentation fanfaronne de la rencontre côté anglais a fini par servir les « Magic Magyars » , à la réputation encore confidentielle, et dès lors admirés et redoutés dans le monde entier. Le râteau de Puskas intègre ainsi le corpus des actions référentielles vues par quelques uns mais racontées par tous. Jackie Sewell, attaquant des Three Lions, et l’un des rares survivants de la rencontre, n’en revient toujours pas : « Je ne crois pas qu’on était si mauvais mais eux étaient merveilleux, facilement la meilleure équipe que j’ai jamais vue. Leurs mouvements étaient incroyables. Avec eux, on a découvert le petit jeu en triangle, les une-deux, des combinaisons que l’on voit partout maintenant mais que personne ne faisait à ce moment-là. Ils nous ont fait passer pour des idiots ! » . En 1954, se déroulera un match retour en Hongrie. Les Magyars l’emporteront encore. Le score ? 7-1.

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