- Serie A
- J34
- Crotone-Inter
Simy, raconte-moi une histoire !
Alors que Crotone peut officialiser son retour en Serie B dès ce samedi face à l'Inter, leader et futur champion d'Italie, cette peinture qui mélange un destin tragique d’un côté et la quête du nirvana de l’autre a pour épicentre Simeon Tochukwu Nwankwo. Plus connu sous le nom de Simy, le buteur international nigérian est l’un des rares rayons de soleil de la saison du club calabrais et pourrait, à 28 ans, passer la barre symbolique des vingt buts en Serie A sur une saison. Portrait d'un géant calme.
Il existe un point commun entre Gigi Buffon, Salvatore Sirigu, Pepe Reina et Andrea Consigli. Outre celui de garder les cages d’un club de Serie A, d’avoir plus de 30 ans et un CV long comme le bras, lors de cette saison 2020-2021, les portiers de la Juve, du Torino, de la Lazio et de Sassuolo ont tous terminé sur les genoux devant le petit saut de cabri du grand Simy (1,97m). S’il est loin d’avoir l’esthétique de Jorginho ou de Bruno Fernandes au moment de convertir ses penaltys, le buteur de Crotone n’en a cure. Ce qui compte, pour lui en tout cas, c’est bien de n’avoir pas tremblé une seule fois au moment d’exécuter la sentence à 11 mètres. Un beau 8/8 qui permet à Simy, à l’aube de cette 34e journée de Serie A cuvée 2020-2021, de facturer 19 pions au total en championnat. Oui : ce grand gaillard a marqué davantage de buts que son club n’a pris de points (18) au moment où ces lignes sont écrites. Comptablement parlant, seuls deux hommes font mieux que lui dans le pays, et pas des moindres : le leader du classement des buteurs, Cristiano Ronaldo (25 buts) et son dauphin Romelu Lukaku (21), que Simy affronte ce samedi au stadio Ezio-Scida. Qui a dit qu’il était interdit d’exploser à la face du monde à bientôt 29 ans (il les aura le 7 mai) et dans une équipe de bras cassés ?
They Simy rollin’
Pour comprendre l’histoire de Simy, il faut tout d’abord s’attarder sur le lien qui l’unit à Crotone, qu’il a rejoint en 2016 après deux-trois piges au Portugal. Celui-ci est d’abord sportif : chez les Squali, Simy est arrivé lorsque le club se dépucelait en Serie A entre 2016 et 2018 et a eu, pour un premier passage, le temps notamment de frustrer la Lazio dans sa quête de C1. À Crotone, Simy y est resté lorsque le club est retourné dans l’antichambre de l’élite, là aussi pour deux années, où il a fait parler la poudre : 34 buts en 70 matchs, 8 passes décisives, un rythme effréné qui lui permet à ce jour d’être tout simplement le meilleur buteur de l’histoire du club (65 buts toutes compétitions confondues). Et d’avoir aujourd’hui une place à part dans le cœur des Crotonesi.
À l’image de ces dernières semaines, alors que Simy fut victime d’insultes racistes sur les réseaux sociaux de la part d’un internaute souhaitant notamment « que la peste bubonique se répande au Nigeria » et « que son fils meure d’un cancer du pancréas », la municipalité de Crotone a agi en conséquence : « Le geste du maire de donner la citoyenneté d’honneur à mon fils après cet épisode de racisme montre ce lien spécial entre la ville et moi. Moi, ma femme et mes enfants sommes fiers et heureux d’être des Crotonesi. Parce que c’est ce que nous sommes. » Sur le pré, Simy donne parfois l’impression d’avoir enfilé des échasses. Un côté un peu maladroit qui n’est pas sans rappeler Cheick Diabaté, mais qui ne l’empêche pas d’être redoutable au moment de conclure d’un plat du pied droit. « Je ne pense pas qu’il restera en Serie B l’an prochain, confiait son coach Serse Cosmi après la victoire à Parme (3-4) la semaine passée. Il mérite de vivre des moments importants, même à l’étranger. C’est un joueur atypique, et il n’est pas facile de comprendre son potentiel. Les chiffres parlent pour lui, il a un sang-froid incroyable. »
Demain, à Crotone ou ailleurs
Ce sang-froid, le gamin d’Onitsha qui rêvait jour et nuit de foot et de Nwankwo Kanu a toujours eu cela en lui. Car Simy est une force tranquille, un mec calme. Quand d’autres auraient profité d’une telle saison – où il est notamment devenu le troisième joueur africain de l’histoire de la Serie A après George Weah et Keita Baldé à marquer lors d’au moins cinq matchs consécutifs -, pour commencer à regarder ailleurs, lui l’avoue : « C’est beau d’entendre que l’on bat des records, que l’on fait une saison magnifique, mais comment pourrais-je m’en satisfaire alors que mon équipe est dernière au classement ? » Une mentalité que Gernot Rohr, son sélectionneur au Nigeria, avait déjà aimée lorsqu’il lui avait offert sa première cape avec les Super Eagles en mai 2018 : « Il a une très bonne mentalité, c’est quelqu’un de très attaché au collectif, confirme aujourd’hui l’ancien coach des Girondins. On a passé deux mois ensemble pendant la Coupe du monde 2018 en comptant la préparation, il est toujours très agréable. Je me rappelle encore son premier match avec nous, en stage au Nigeria avant le Mondial. Il y avait 26 joueurs et il fallait encore en écarter trois. Il avait fait un super match face à la RDC à Port Harcourt (1-1), il avait frappé sur la barre… Il ne manquait que le but. C’est là qu’il avait fait la différence pour que je l’emmène avec nous en Russie. Plus tard, il m’a même offert son maillot du Nigeria après un match pour me remercier de l’avoir sélectionné. »
Ce qui a plu à Rohr, c’est un cocktail de qualités qui implique une bonne frappe, un bon jeu aérien et surtout une « implication dans le jeu collectif aussi bien sur le replacement défensif que sur coups de pied arrêtés ». S’il est loin d’être titulaire en sélection, du fait d’une concurrence énorme à ce poste (Osimhen, Iheanacho, Onuachu ou encore le Lorientais Moffi), Simy intéresserait déjà le Genoa, la Sampdoria ou encore la Fiorentina qui lui offriraient une place dans l’élite l’an prochain. Montant de l’opération : à partir de 8 millions d’euros selon la Gazzetta dello Sport, dix fois plus que ce que Crotone avait déboursé en 2016 pour convaincre Portimonense. Pour un gars qui marque 45% des buts de son équipe, en temps normal, c’est un cadeau. Pour Simy, c’est une affaire en or.
Par Andrea Chazy
Propos GR recueillis par AC, ceux de Simy par la Gazzetta dello Sport.