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Simeone, de Bielsa au Cholo style
Après avoir muselé la plus féroce des offensives d’Europe, la défense de l’Atlético s’attaque à celle, tout aussi inquiétante, du Bayern. Simeone contre Guardiola. Pourtant, le Cholo n’a pas toujours été un apôtre de la résistance : lui aussi est un disciple de Bielsa.
Défense. Longtemps un gros mot, le terme est récemment redevenu en vogue, porté en étendard par des Matelassiers inlassables. Qu’importe que l’Atlético ne produise pas toujours le football le plus attractif. Preuve en est la victoire samedi contre Málaga : une victoire 1-0 grâce à une frappe déviée. Diego Simeone supervisait l’ouvrage des tribunes, expulsé après qu’un ballon supplémentaire a été jeté sur le terrain lors d’une offensive des Andalous par un ramasseur de balle, évidemment sur ordre du Cholo. Le 22e clean sheet de la saison pour les Madrilènes, rien de moins. Et que dire de la qualification acquise en Ligue des champions face au Barça ? Au retour, avec 23% de possession et 116 passes contre 588, l’Atlético s’est imposé 2-0. Merci, au revoir. Dans ce grand combat ancestral entre le bien et le mal, la défense avait triomphé pour un temps. À sa tête, un homme : le Cholo Simeone. Un homme fier, passionné, intense, qui avait créé une équipe à son image, compacte, dense, tenace, basse. Pleine de grinta, de sueur et de cœur. Une équipe pour les tacleurs du monde entier, pour ceux qui mettent la tête où d’autres ne mettraient pas le pied, qui n’ont que faire du beau jeu, les milieux défensifs prêts à se jeter à la gorge de l’adversaire et en contre aussitôt le ballon récupéré. Une équipe de prolétaires, de petits, de revanchards, contre les beaux Blaugrana, évadés fiscaux, et les autres. Sauf que la vérité est plus nuancée. S’il est indéniable que l’Atlético de Madrid EST Diego Simeone, il ne l’a pas toujours été.
Bielsista comme Guardiola
Avant d’être un modèle de réussite et de stabilité, la carrière d’entraîneur de Simeone a tout du chemin semé d’embuches, de hauts, de bas, de formations diverses, et presque bizarrement, d’attaque. Lorsqu’il raccroche les crampons en 2006 au Racing, il prend directement place sur le banc pour sauver le club de la relégation. À l’époque déjà, il a ses idées. Celles qu’on reconnaît facilement : « Le supporter intelligent n’est pas celui qui est obsédé par le fait que son équipe joue bien, mais plutôt par sa volonté de gagner » , comme il l’explique à Marca. Et les autres : « Avant tout, je veux que mon équipe ait un style. » Simeone est alors considéré comme bielsista, comme Sampaoli, Martino, Berizzo, et donc comme plus tard Guardiola. Son Racing attaque vite et fort, même si les joueurs ne sont pas tout à fait taillés pour ce jeu. Pour son premier match, le derby face à Independiente, il perd sur un doublé d’un jeune buteur nommé Sergio Agüero. Le reste est du même acabit : il faut attendre son 7e match pour voir une victoire. Quatre autres suivront, et le Racing se maintiendra.
Juste après, Simeone file à Estudiantes, où vient de rentrer Veron. La formule reste la même : deux attaquants, des ailiers, de l’attaque, de l’attaque, encore de l’attaque. Régulièrement, comme Bielsa, à qui on le compare de plus en plus, il remplace ses milieux défensifs par des attaquants, même lorsqu’il gagne. À la faveur d’une fin de championnat dingue, Estudiantes est sacré champion à la faveur d’un match épique contre Boca, pour la première fois depuis des années. Cette fois, le Cholo reste. Un peu. Six mois plus tard, le voilà à River. Souvent un 3-3-3-1 avec Ortega en barycentre et Falcao en pointe, souvent des dizaines d’autres systèmes, toujours penché vers l’avant, et le titre de nouveau. Néanmoins, tout n’est pas rose. En quart de la Libertadores, River, en double supériorité numérique, se fait éliminer par San Lorenzo. Et dans la foulée du titre, les Millonarios finissent la saison suivante à la dernière place. Simeone démissionne, et sa réputation devient absolue : tout ou rien, comme Bielsa, prompt à brûler et se consumer.
L’Italie m’a appris à défendre
Loin de se laisser enfermer dans une case, Simeone entame sa mue. À son arrivée à San Lorenzo, il annonce : « Je préfère jouer un bon football qu’un football attractif. » S’il ne réussit pas grand-chose, il lance au moins un grand chambardement qui aboutira des années plus tard à une Libertadores. Pour se réinventer véritablement, Diego l’entraîneur fait comme le joueur : il traverse l’Atlantique pour l’Italie. À Catane, Simeone met ses nouveaux principes en œuvre. Son schéma oscille entre 4-2-3-1 et 4-3-1-2. L’équipe est compacte, épaisse, resserrée, les ailiers redescendent, tout comme les attaquants, qui pressent et gênent la première relance. La possession est abandonnée, et les buts viennent des contres rapides. Des changements qui ne donnent pas de résultat immédiat. Le spectre de la relégation est toujours plus proche. Là encore, Simeone intime la conviction de la victoire à ses hommes, qui commencent à les enchaîner. Le maintien est assuré.
Cette transformation italienne, Simeone l’a expliquée l’an dernier à La Nacion : « Mon passage à Catane m’a fait réaliser qu’il y avait quelque chose d’autre, parce que je venais d’équipes comme River ou Estudiantes, à la chasse aux trophées, et j’arrivais dans un club qui avait grand mal à gagner quoi que ce soit. Je suis passé d’un coach de 4-2-3-1 avec deux attaquants sur les côtés à quelque chose d’autre. Maintenant, je suis beaucoup plus balancé. En tant que coach, je continue d’évoluer. » Avant d’avouer qu’il a enfin trouvé son style : « Le style, c’est de gagner. En fonction des joueurs, je veux consolider une idée : gagner. Ça ne m’intéresse pas d’être aimé par les autres ou même par moi-même. Par exemple, sur la possession face au jeu direct, ce n’est pas leur dire ce qu’ils veulent entendre, mais la vérité. Si je n’ai pas les joueurs pour construire une possession élaborée, je ne dois pas essayer ce que je ne peux pas faire. » Après un bref retour au Racing où il enchaîna les nuls, Simeone a été nommé entraîneur de l’Atlético. Le reste n’est que défense.
Par Charles Alf Lafon