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« Voir mes deux fils s'affronter un soir de coupe d’Europe... »
Ce jeudi soir, Liverpool accueille l'Union saint-gilloise pour la deuxième journée de la Ligue Europa. L'occasion pour Alexis Mac Allister (24 ans) de retrouver son frère Kevin (25 ans). Rencontre avec Maria Silvina Riela, mère des deux adversaires le temps d'une soirée, mais aussi de Francis (27 ans, Rosario Central).
Deux de vos enfants s’affrontent ce jeudi soir, est-ce qu’on se dit qu’on va passer une bonne soirée ?
Je ne vais pas le cacher, je suis très angoissée, et évidemment pressée de voir ça. Je me suis réveillée ce matin avec la messagerie remplie, des appels, et plein de messages sur les réseaux sociaux. On m’a dit que Liverpool et l’Union avaient fait une petite vidéo sur mes enfants. C’est si particulier. Voir mes deux fils s’affronter un soir de coupe d’Europe… Dans la famille, tout le monde est euphorique.
"Maybe you'll feel my tackle!" 😅
Kevin and Alexis Mac Allister had a call ahead of tomorrow’s game. ☎️ pic.twitter.com/cIMID9rkM7
— Royale Union Saint-Gilloise (@UnionStGilloise) October 4, 2023
Ils se taquinent déjà ? Comment sont-ils avant ce match ?
On a un groupe WhatsApp où ils se lancent des défis, des petits paris, et je suis heureuse de les voir rigoler. J’ai vu que Francis taquinait Kevin – qui vient juste d’arriver en Europe – parce qu’il galère en anglais sur la petite vidéo de l’Union. Qu’importe le résultat, je serai contente, car un de mes fils le sera aussi. Je vais profiter parce que ça n’arrive pas souvent. Leur papa y sera ce soir, et moi, j’irai au match retour. On fait en sorte que quand les garçons jouent, quand ils lèvent la tête, ils puissent toujours voir quelqu’un de la famille présent en tribunes pour les soutenir. On se répartit entre nous, pour qu’il y ait toujours quelqu’un.
La dernière fois, c’était le 26 novembre 2017. Les trois frères sont titulaires à San Lorenzo dans un match de Primera División. Vous vous en souvenez ?
Comme ci c’était hier. En Argentine, on n’a pas le droit d’aller soutenir son équipe à l’extérieur. Alors je me suis fait passer pour une supportrice de San Lorenzo au stade de Pedro-Bidegain. C’était incroyable. J’étais si fière. Et d’ailleurs, je suis heureuse que les médias nous en parlent parfois parce que ça nous fait revivre ces émotions. J’ai vécu la Coupe du monde et j’ai vu mon fils soulever le trophée. Mais je peux vous l’assurer, ce jour-là avec mes trois fils sur le terrain, avec le recul, j’étais aussi excitée que pour cette finale de Coupe du monde.
Quand vos enfants étaient plus jeunes, vous vous attendiez à ce qu’ils se retrouvent dans le grand bain ?
J’ai toujours su qu’ils allaient réussir. C’était inimaginable de songer à voir un de mes fils devenir champion du monde, mais évidemment, on y a pensé. Parce que quand vous vivez au jour le jour à leurs côtés, que vous voyez ce qui se passe, vous vous rendez rapidement compte. Dans l’engagement, dans le niveau de jeu et dans la mentalité, j’ai vite vu que les trois étaient différents des autres.
Avant de faire la différence dans leur catégorie, ce sont déjà trois joueurs bien différents.
Exactement. Francis est le plus réfléchi des trois. Il est très intelligent pour voir le jeu et se positionner sur le terrain. Kevin est peut-être le plus fort physiquement des trois. Ou du moins, il l’était à l’adolescence. Malheureusement, il a eu deux blessures quand il était très jeune qui ont ralenti sa carrière. Et Alexis a un peu de tout. Il a l’adresse, la frappe de balle, la force et la détermination. Mais les trois avaient beaucoup de qualités. Alexis est aujourd’hui celui qui attire l’attention, mais au départ, ils sont trois.
Dans la famille, est-ce que ses frères disent qu’Ale (surnom d’Alexis) est le plus fort ?
Sur ce point-là, c’est très drôle. Parfois, Francis dit « je suis le meilleur », Alexis dit « non », puis Kevin dit qu’il est le meilleur, après France dit « non », Alexis dit finalement que Francis est le meilleur… et ça n’en finit plus. La vérité, c’est que ce sont des frères très attachés qui sont heureux de ce qui arrive à chacun d’entre eux.
Comment ont-ils mis les pieds dans le football ? Ancien footballeur professionnel passé par Boca Juniors, mais qui compte aussi 3 sélections avec l’Albiceleste, le papa Javier a forcément joué un rôle là-dedans, non ?
Pour être tout à fait honnête, quand les enfants étaient tout petits, il ne voulait pas qu’ils deviennent joueurs de foot. Parfois, les parents craignent que leurs enfants suivent leurs traces, et que très vite, ils tombent un peu dans la comparaison, qu’ils aient de la pression, etc. On leur a laissé la liberté de choisir. On a fait en sorte de leur montrer plusieurs chemins. Francis est même allé jusqu’à l’université. Mais ils ont finalement choisi le football. Alors on les a toujours accompagnés. C’était un grand avantage d’avoir un père footballeur, un oncle footballeur, et d’autres amis de ce monde-là pour les faire évoluer dans le bon sens. Tout le monde le sait, ce qui fait le succès professionnel n’est pas seulement lié à ce qu’il se passe sur le terrain. C’est surtout les à-côtés qui font la différence. Ce que le joueur pense, ce qu’il fait en dehors des entraînements et des matchs, la façon dont il gère ses relations, ses contacts, le rapport au vestiaire… Javier a été fondamental dans ce domaine tout au long de la carrière des enfants, parce qu’il a vécu le football de l’intérieur. Je l’ai vécu un peu en tant que femme de footballeur, et ce n’est pas toujours facile. Il m’a apporté de l’expérience dans le soutien moral, et ça nous a aidés pour bien faire avancer nos enfants.
« C’est peut-être la personne qu’on voit le moins, mais c’est la plus importante dans la famille. » Voilà ce qu’a récemment dit Alexis en parlant de vous dans une interview. Vous savez rassurer quand il le faut, votre fils a même parlé de « psychologue ».
Je pense qu’il fait référence à la relation que j’ai avec lui et ses frères. J’ai toujours essayé de bien les accompagner psychologiquement, quand le papa gérait tout ce qui se passait sur la pelouse. J’ai toujours fait en sorte qu’ils se sentent bien pour travailler. C’est le rôle d’une mère en fait, mais j’ai fait en sorte de leur offrir un environnement où la parole est simple, où la confiance règne, pour pouvoir communiquer souvent et faire face à la pression. Quand on discute, ils décompressent. Ça me fait plaisir d’entendre ça du coup.
Vous avez le souvenir d’une période difficile qu’ont traversée Alexis, Kevin ou Francis et lors de laquelle vous les avez aidés sur l’aspect mental ?
Alexis a toujours eu besoin de ce soutien, dès le plus jeune âge. À l’Argentinos Juniors déjà, il avait très peu de temps de jeu parce qu’il était trop petit. Il ne jouait d’ailleurs pas du tout. Alors j’ai essayé de le remettre en confiance. À côté de ça, on a évidemment adapté son alimentation, ses programmes physiques. On a fait appel à des nutritionnistes, on a fait des analyses génétiques pour s’assurer que tout allait bien. Plus tard, il y a eu la première année à Brighton. Il venait de prendre la décision de quitter une équipe où il avait toujours voulu jouer. À l’époque, il quittait aussi son frère Kevin, qui avait signé à Boca. En plus de ça, il y a eu le mal du pays, le fait de s’éloigner de la famille. Il était triste et n’avait pas de temps pour se poser et réfléchir à son bien-être mental. Quand il a quitté Buenos Aires, il a pris la route de la Colombie pour jouer avec les U23 de la sélection, et a filé en Angleterre direct.
Vous êtes allée le voir ?
J’aurais dû. Mais c’était le début de la pandémie. C’était impossible. Alors il était seul. On a fait des appels vidéo tous les jours. Mais alors qu’il venait d’arriver, c’était difficile pour lui de sociabiliser avec sa nouvelle équipe, de sortir et de découvrir la ville… À un moment donné, il s’est dit qu’il n’y arriverait jamais. Quand les mesures sanitaires ont été levées, on est tous allés le voir. Ça lui a fait un bien fou. Cette semaine-là, il a été titulaire pour la première fois, et il n’a ensuite plus jamais quitté le groupe des Seagulls. Il avait pensé à tout arrêter. Mais avec le soutien de tout le monde, l’aide du club, de tous les dirigeants, il a pu s’intégrer et être épanoui. Lorsqu’Alexis traverse des épreuves difficiles, il devient beaucoup plus fort, c’est sa force.
Ce sont des situations qui sont arrivées à Francis et Kevin ?
Oui, et ils ont tous les trois besoin d’avoir une confiance absolue. D’ailleurs, aujourd’hui, ça a changé. Je me retrouve seule dans une maison vide, pour ainsi dire, et ce sont eux qui veillent toujours à ce que j’aille les voir. Ça leur arrive de m’appeler parce qu’ils ne se sentent pas bien pour telle ou telle raison. Nous sommes un groupe de quatre qui avance main dans la main. Pour moi, c’est la plus belle des réussites.
En tant que mère de famille, c’était difficile de jongler entre le travail et l’organisation de la maison ?
Je ne dirais pas « difficile ». Est-ce que j’ai souvent mis de côté mon entreprise de tissus où j’avais beaucoup d’employés pour le football ? Peut-être, même si en général, je n’aime pas trop déléguer. Mais c’est ce que ferait toute maman. Je n’ai jamais cessé de les accompagner. Il fallait sans cesse jongler entre mon boulot et l’organisation de la maison. Et puis, Buenos Aires est une ville où l’on ne laisse pas ses enfants seuls dans les transports et dans les rues. Le club d’Argentinos Juniors se situe dans un endroit dangereux, alors on faisait attention à ce qu’on soit là pour les amener et les ramener de l’entraînement. Mais tout ce que nous avons donné au football nous a été rendu multiplié par mille. Je me suis rendu compte de tout ça le jour où Alexis soulève la coupe du monde.
Vous y étiez ?
Oui. Avec ses deux frères, son père – bien que l’on soit séparés depuis qu’Ale a deux ans, nous gardons de très bons rapports – et leur oncle. Je ne devais y aller que pour trois matchs, mais finalement je suis restée toute la compétition. Le reste de la famille m’a rejointe pour le dernier carré.
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Comment réagit-on quand on voit l’un de ses fils être titré champion du monde ?
J’ai revu, en l’espace de quelques secondes, tout ce qui s’est passé pour en arriver là. J’ai parlé avec beaucoup d’autres mères, d’autres pères de champions, et on a tous ressenti la même chose. Vous revoyez tout, le moment où ils naissent, quand vous leur donnez à manger, quand vous les emmenez à l’école, tous les week-ends de match dans les gradins… Avant de dormir, Javier leur racontait l’histoire de trois petits cochons qui finissaient par jouer en première division. C’était ça l’histoire du soir. On n’a pas eu une vie difficile. Ils ont eu une scolarité simple. On vivait à Buenos Aires, mais on n’a jamais manqué de rien. Mais à ce moment-là, c’est comme un film super-rapide. Et on se sent un peu uniques. On est 26 pères et 26 mères, dans le monde entier, à vivre ça. Depuis ce jour, tous les 18 du mois, on fait un repas avec les proches pour célébrer ce titre.
Vous vous souvenez de cette finale ?
Les 60, 70 premières minutes étaient pleines de joie, puis tout est tombé parce que la France revenait bien.
Que s’est-il passé dans votre tête quand Mbappé a marqué le deuxième but ?
Là, je voulais mourir, je voulais que Mbappé disparaisse de cette planète, j’adore sa façon de jouer, mais à ce moment-là, je le détestais. (Rires.) Mais bon, finalement on a gagné. Au moment où Montiel tire le penalty, le film démarre, l’extase arrive, et c’est génialissime…
Quel rapport entretient Alexis avec Messi et le reste du groupe de la sélection ?
Ils ne sont pas si proches que ça, disons. Alexis n’est pas de la même génération que Léo. Le lien est professionnel, et ils se respectent tous deux, mais Ale est plus proche d’autres joueurs du groupe. Mais dans la famille, nous sommes des grands admirateurs de Messi par rapport à tout, pas seulement le joueur, en tant que personne, en tant que père. C’est inspirant de voir sa famille, la façon de gérer sa carrière, de gérer les critiques… En France, je sais que Messi n’a pas une très bonne image. Mais je suis allé le voir à Miami. Il a réussi à créer une atmosphère impressionnante qui fera sans doute grandir le football américain. Je suis heureuse que mon fils puisse côtoyer ce genre de joueur. Aujourd’hui, je ne vais pas vous mentir, je souffre un peu parce que je suis plus loin d’eux, mais bon, on a prévu de se retrouver pour Noël.
En parlant de Noël, un de vos fils porte le prénom d’un des personnages les plus connus du cinéma des fêtes d’hiver. Est-ce un hasard ?
J’ai adoré Maman, j’ai raté l’avion, et donc oui, Kevin s’appelle Kevin parce que le garçon dans le film s’appelle Kevin McCallister. Je voulais appeler Francis, le premier enfant qu’on a eu, comme ça, mais Javier ne voulait pas. J’ai obtenu gain de cause pour le deuxième. (Rires.) Il n’a jamais su jusqu’à ses 18 ans qu’on l’avait appelé comme ça à cause du film. À l’école, personne ne se moquait de lui parce que le film date d’une autre génération et puis il n’est pas très connu en Argentine. D’ailleurs, j’y pense, mais Francis s’appelle Francis Manuel en hommage à Juan Manuel Fangio, décédé la même année que sa naissance. C’était un grand pilote automobile. Et pour faire les trois garçons, au début je n’aimais pas trop le prénom Alexis parce que des filles portaient aussi ce prénom. Mais finalement, aujourd’hui, j’adore.
Propos recueillis par Anna Carreau et Matthieu Darbas