En 2011, vous décidez de recruter un gardien comme doublure de Landreau. Pourquoi avoir choisi Enyeama ?
On devait disputer la Ligue des champions, et Mickael Landreau était un gardien extrêmement important dans notre organisation et notre système de jeu. Mais l’objectif était de trouver un gardien de but numéro 2 de qualité, si Landreau se blessait de nouveau après sa rupture des ligaments croisés. C’est le hasard qui a fait qu’un jour je me suis retrouvé en Israël. À l’époque, je cherchais un défenseur central à l’Hapoël Tel-Aviv. Ce défenseur ne m’a pas plu, par contre je suis tombé complètement gaga d’Enyeama. Je me suis dit : « Mais c’est quoi ce phénomène ? » Je l’ai trouvé extrêmement intéressant. J’ai été impressionné par toutes ses qualités de gardien de but, que ce soit son sens du jeu, de l’anticipation, sa capacité sur les sorties aériennes ou sa technique de main, mais aussi par sa décontraction naturelle. Il rigolait tout le temps, il faisait des prises de balle aériennes à une main. Et comme j’étais avec Bernard Lama au centre de formation à Lille, j’ai retrouvé certains côtés de lui chez Vincent. Pour être un gardien numéro 2, avec un salaire en Israël qui n’était pas exorbitant, ça pouvait être une bonne chose pour nous. J’ai discuté avec le staff et derrière on a réussi à convaincre le président de le prendre pour doubler Micka.
Était-il déjà proche de son niveau actuel ?
Il possédait déjà toutes les qualités qu’il a aujourd’hui. Il faisait un peu fantasque, presque pas sérieux. Alors que c’est un mec extrêmement sérieux et professionnel ! Quand je recrute un joueur, j’essaye aussi de voir sa mentalité, et on ne m’a donné que des bons échos. Je me suis renseigné plus tard sur son comportement, sa manière de faire et ça a conforté ce qu’on disait de lui. Vous savez, il a un côté « show-man » , mais moi, ça ne me faisait pas rire, je trouvais ça génial. C’est un artiste. De temps en temps, ça peut lui faire prendre des buts évitables, mais c’est largement couvert par le nombre d’actions qu’il va vous sauver par son talent et ses qualités.
Même à l’époque, vous n’aviez donc aucun doute qu’il allait rapidement devenir le gardien qu’il est aujourd’hui ?
J’ai toujours pensé qu’il allait devenir numéro 1 en France. Après, attention : quand vous avez devant vous Mickael Landreau, c’est du lourd. C’est de la personnalité, du talent, du travail et le professionnalisme par excellence. On ne déloge pas Landreau comme ça, sans le mériter.
Il ne joue pas la première saison au LOSC, vous le prêtez donc au Maccabi Tel-Aviv. Pourquoi ?
Il avait besoin de jouer. On sentait bien qu’il était en train de gravir des échelons. On s’est retrouvé dans une situation où on n’avait pas un numéro 1 et une doublure, mais potentiellement deux titulaires.
Finalement, il revient à l’été 2013 à Lille et devient très vite indiscutable…
Dans la mesure où Micka n’était plus là… Pourtant, je considère que Steeve Elana a de grandes qualités. Mais Vincent a quelque chose en plus, qui fait qu’il a cette capacité à s’imposer par son talent et son tempérament. C’est impressionnant. Au LOSC, on a toujours eu une bonne culture des gardiens. Ce qui est génial en plus aujourd’hui, c’est qu’une hiérarchie est établie, mais ils s’entendent comme larrons en foire.
Enyeama est-il autant un leader en dehors que sur le terrain ? On ne connaît pas vraiment sa personnalité…
C’est quelqu’un qui aime le jeu plus que tout. La compétition, mais aussi l’entraînement. Il n’a pas peur, il gère très bien la pression. Il est très positif. Ce n’est pas un leader « grande gueule » , celui qui vous bouge tout le monde. Vincent est plutôt celui qui encourage tout le monde, qui vous accompagne. Il a une personnalité fantastique. Ici, tout le monde le respecte. C’est un homme un peu taquin aussi, il chambre pas mal. Mais il a une humilité énorme, il sait d’où il vient et ne mélange pas tout.
D’ailleurs, sa plus grande qualité ?
Sa capacité à être profondément sérieux sans se prendre au sérieux.
C’est un peu étrange que ce soit un gardien qui représente la plus grande crainte chez l’adversaire, non ?
Je ne suis pas sûr que l’équipe de France craigne Enyeama. Toutes les équipes du Mondial ont de très bons gardiens. Vous ne jouez pas contre des brèles en Coupe du monde. Enyeama, c’est par son côté atypique, le fait qu’il ait tenu un record d’invincibilité, qu’il peut être craint.
On a l’impression que cette Coupe du monde est celle des gardiens, surtout de Ligue 1 (Enyeama, Ochoa, Ospina). Comment expliquez-vous cela ?
Aujourd’hui, la France est en capacité de sortir ou accueillir des gardiens de but étrangers et performants. La Ligue 1 n’est pas un championnat facile, contrairement à ce que l’on pense. Parfois, nous manquons de subtilité, comme on peut le voir en Premier League ou Bundesliga, voire en Espagne. Parce que dès que nous formons un bon attaquant en France, il fout le camp. Mais avec l’arrivée de Monaco, le retour de Paris au plus haut niveau, certains autres clubs se développeront. En France, c’est culturel d’avoir de bons gardiens.
Ce France-Nigeria ne serait pas le France-Paraguay de 1998 ?
J’ai l’impression de revivre rien du tout, un match est un match. Autant je souhaite que Vincent reste ce gardien exceptionnel qu’on a la chance d’avoir en France, autant j’espère qu’il encaissera 3 buts ce soir.
Qu’est-ce qui fait la différence entre un bon gardien et un gardien comme Enyeama ? La chance ?
La chance est un ingrédient qui vient par le talent et le travail que vous effectuez. Vincent est un énorme bosseur. Je peux vous garantir qu’à ce niveau-là, ce sont tous de gros travailleurs. Je ne connais aucun gardien de haut niveau qui ne travaille pas.
Pensez-vous vraiment qu’il puisse à lui seul qualifier son pays ?
S’il est dans un bon jour, il peut être casse-couilles pour nous ! C’est à l’équipe de France de le faire douter, trembler. Je pense qu’elle a les arguments pour. Si Vincent s’installe dans sa confiance, ça va être très dur pour nous. Mais je vois un 2-0 pour les Bleus.
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