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Si les clubs de foot étaient des établissements nocturnes
Un samedi soir à près de trente degrés celsius, (presque) sans foot et sûrement sans pluie, évidemment que vous allez sortir vous la coller. Et même passer une fort belle soirée. Pourquoi ? Parce que l'esthète du ballon rond que vous êtes sait aussi choisir ses lieux de plaisir nocturne.
Minuit deux. Il y a foule devant l’ex Attitude Club, plus connu aujourd’hui sous le nom de Next Club, sur la route de Clamecy, 58 800 Corbigny. On est venu s’amuser en mocassins vissés sur de la musique bonne. Devant la porte c’est du sourire, du pantalon noir, et des bras de coupeur de métal. Pas la peine d’être accompagné, une bouteille à quatre fait office de petite copine. Mais c’est surtout à l’intérieur que le mot « bamboula » pèse de tout son poids. Entre les fauteuils tissu rouge époque RER B du Minister Amer et la disco énervée du DJ résident, les couples se forment. Les plus faibles vomissent et les plus forts se marrent en s’envoyant des câlins de lanceurs de marteau. On vient au Next pour faire la fête et aimer son prochain, mais aussi parce qu’ici les filles sentent le foin et le parfum d’usine. Peu importe si le chemin du retour verra une 306 Roland Garros goûter au bas-côté, L’Attitude, on aimait. Le Next, on adore, et on se dit qu’en fait, ça pourrait être l’AJ Auxerre. Un esprit de fête et de beau jeu dans une carcasse de Lada. L’amour de la campagne et de l’esprit de famille, forever.
Tout le contraire de cette jolie Tatiana, qui s’avance, le sourire faux plaqué sur ses dents Émail Diamant, assez honnêtement vêtue de ce string ficelle qui l’habille déjà trop. Elle est face à vous car vous lui avez donné les deux coupons qui vous offrent le privilège de passer dix minutes d’intimité en tête à cul. Alors qu’elle commence à se courber pour vous, vous commettez votre première erreur, la main baladeuse. C’est un non. La tentative de prise de numéro et le bisou volé juste avant la fin du chrono vous mèneront logiquement tout droit sur le trottoir, comme un con, avec votre chemise satin, votre veste velours étant restée au vestiaire. Pour longtemps. C’est dommage, parce que cette soirée avec les collègues s’annonçait plutôt bien. Mais comme toutes les équipes qui ont eu à l’affronter, on ne finit jamais vraiment bien une rencontre face au Real Madrid. Beaucoup d’étoiles, de lumières et de physiques intéressants, mais pas de fond et très peu d’humanité.
Une mésaventure que vous auriez probablement évitée au Bar des amis. Petit troquet sali par la main de l’homme et la poussière de la ville. Derrière le zinc qui fut un temps gris acier, il y a Tugdual, un réfugié breton sur lequel l’alcool à bas prix n’a pas œuvrée. L’homme est maintenant insensible. Accoudés au comptoir, ceux qu’on appelle généralement des habitués, en l’occurrence trois presque clodos, prennent leurs temps pour siroter un vilain kir cassis, les coudes collés au vide. Quand on tourne la tête et qu’on regarde le mur, on se rend compte que la production photographique des années 60 a quand même pris un sacré coup de sabre dans le visage. Ou c’est peut-être la faute à ce papier peint sans dégaine, qui aura un temps voulu imiter le lierre des campagnes françaises. Manque de bol, on n’est pas loin de gare du Nord. En tout cas, le Bar des amis a cela de bon que ce n’est pas ici que vous serez emmerdé par les vendeurs de roses, ni par les femmes à qui les offrir d’ailleurs. Anyway, vous l’aurez compris, le Bar des amis, c’est le MUC 72.
Alors qu’à quelques kilomètres de là, sur le bitume des trottoirs haussmanniens, une musique élégante et outrageusement sexuelle s’échappe de la porte à demi fermée. Des gens, tous cools, tous beaux, tous riches, attendent un « go ! » , devant le plus beau physionomiste de la plus belle ville du monde. Entre les tissus impeccables des robes, les coupes étroites des jeans et les cliquetis savoureux des talons de créateurs, les petits mots sont échangés sans pudeur et les rires se mêlent aux attouchements malicieux. Ici tout n’est que luxe, saveur et élégance. Alors que cette superbe Italo-Australienne à qui vous venez d’offrir un cocktail champagne / fraise guariguette sauvage / concombre de Tanzanie vous jauge depuis vingt minutes, vous vous laissez emporter par le désir de la danse sur la musique la plus idéale que vous ayez jamais entendue. Ce soir vous êtes la fête, vous allez enlacer la nuit et la laisser se coucher sous vos pas, parce que ce soir, vous êtes là où il faut être et ça ne se passe nulle part ailleurs. Du rouge et du noir, de l’or sur les rideaux, vous êtes au Milan AC. Là où l’élégance, même si elle se fatigue, garde toujours son standing.
Quand même autre chose que le week-end dernier, où vous n’aviez rien trouvé de mieux à faire que ce bowling avec votre beauf’. Le seul type heureux d’arborer ces souliers douteux, aux bandes de couleurs design bonbon Arlequin et qui ne vous offre pas de style à proprement parler. Mais si ces dégueulasseries vous permettent de rentrer le strike gagnant pour enfin fermer la gueule de votre connard de beau-frère, pourquoi pas. « Peu importe la manière, seule compte la victoire » , philosophait Cicéron. Mais alors que vos mains moites sont enfin sèches, que la boule nacrée bleu roi est entre vos doigts, que vous êtes en pleine confiance dans votre course d’élan et que ce salopard d’Hervé va enfin voir de quoi il retourne, voilà que le gérant décide de pousser un peu le volume – mine de rien, il est déjà 22 heures – et vous envoie un Larusso imprévu dans le tympan. Gouttière. Direct. Son of pas anarchy du tout. Le pire before de votre vie arrive maintenant, et vous le vivez mal. Comme un supporter du TFC en fait. Un club gentil et pas vraiment de bon goût, chez qui, même sans entraînement poussé, il est normalement facile de gagner. Le Dude pour toujours.
Parce qu’avant cet échec cuisant sous les néons révélateurs de sébum du Bowling de Bourg en Bresse, vous aviez déjà dérouillé dans la noirceur stroboscopique du Laser Quest voisin. Victime de votre stratégie « tout pour la défense et la fuite » , Hervé s’est encore amusé à vous grêler de tirs laser votre gilet de poitrine trop large. Un Tchétchène. En même temps, on va se dire la vérité, qui joue encore au Laser Quest de nos jours ? Suer comme un marcassin dans un hangar comprimé par la fumée et la musique techno, avec des systèmes de visées des années 90 (remember le Lock-On de Sega) et des odeurs de loueur de ski pyrénéen encore ouvert mi-avril ? Sans déconner, ça n’a plus aucun sens. Aujourd’hui, les macs de la guerre, les patrons de la guerilla entre couilles sont sur les terrains de paint-ball, à manger de la terre en s’essuyant la visière pleine d’acrylique fluo. Parce qu’en fait, le Laser Quest, si on se penche un peu sur le sujet, c’est le GF38. Un club emporté par la technologie japonaise et retombé dans l’anonymat d’un hangar de zone franche à 0% d’impôts.
Un anonymat que ne connaît pas le Saint-Germain, haut lieu de la nuit d’Abidjan, hélas peu porté sur la clientèle africaine. Entre d’anciens chercheurs d’or hollandais, de jeunes militaires des paras et des casques bleus de l’ONU, vous pouvez être sûr de faire des rencontres. Alors certes, ça ne sera peut-être pas la femme de votre vie, ni même l’amour d’une semaine. Mais pour peu que vous ayez l’envie de descendre un Jack Coke au bar, le bermuda fièrement repassé et le dos du T-shirt trempé de sueur après un déhanché de douze minutes sur Premier Gaou, vous attirerez le regard et les convoitises. Parce qu’au Saint-Germain, on connaît la fête, et on sait que la fête, c’est aussi l’amour. L’amour tarifé peut-être, et alors ? Soyez donc habile, profitez de l’instant et rentrez au Novotel en bonne compagnie. Vous serez toujours heureux d’y revenir, même si la nuit ne fut pas si bonne que ça. Car vous aussi vous le savez, le Saint-Germain au fond, c’est le Tout Puissant Mazembe. C’est histoire, c’est folklore, c’est chaleur, c’est plus fort que vous.
Par Victor Le Hiougot