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Shurik’n : « On craint dégun pour l’Euro »
Shurik'n a été prêté quelques mois par IAM pour travailler en solo et sortir son deuxième album fin avril, Tous m'appellent Shu. Malgré le boulot, les concerts et la promo, l'un des meilleurs lyricistes du rap français montre qu'il suit l'actu du ballon rond.
Shurik’n, tu sors d’une longue phase de préparation physique depuis ton dernier opus en solo sorti en 1998. Tu avais gagné la Coupe du monde question critiques, avec celui-là…
(Rires) Ouais, mais comme gagner la Coupe du monde n’est pas une chose facile, je ne me suis pas reposé pendant quatorze ans. Je me suis diversifié en jouant avec mon équipe d’origine pendant quatorze ans, j’ai aussi été prêté pour quelques petits matches sur des projets divers. Ça m’a permis d’évoluer. Il s’est aussi passé plein de choses sur le plan personnel. L’envie de me relancer en Ligue 1 est revenu très tardivement.
Tu t’attendais à une telle victoire pour Où je vis ?
Pas du tout (il insiste). Quand tu rentres sur le terrain, tu veux faire le meilleur match possible, tu ne sais pas si on va te donner un 19 ou un 20. Tu ne sais pas si tu vas être l’homme du match. Tu sais juste que tu vas y aller à 200% et que les gens décident au final de ce que tu vas devenir.
Ton nouvel album s’appelle Tous m’appellent Shu. C’est un petit clin d’œil à Serge Gainsbourg, l’homme à la tête de chou, ou aux pieds en chou-fleur de Brandao ?
(Rires) Non, non, ça aurait pu être Brandão, peut-être, mais c’est juste la simplicité. Après avoir essayé plein de systèmes de jeu, tu reviens au plus simple qui soit, parce que c’est celui qui fonctionne toujours.
Alors justement, si tu devais définir ce disque, tactiquement parlant ? Plutôt un 4-4-2 à l’ancienne, bien en place et efficace, ou un 3-5-2 à la napolitaine, qui innove et prend des risques ?
J’opte pour un 3-5-2. En tout cas, j’afficherais d’entrée des velléités très offensives parce que j’aime le rap quand ça joue, quand ça va vite, quand ça ne traîne pas, quand ça va de l’avant. On a un football moderne qui va à 2000 à l’heure, qui est très technique avec des MCs capables de produire des trucs comme ça. Faut les lâcher et les laisser s’exprimer. Donc, j’ai laissé l’instinct parler, je connais mes qualités et mes défauts. J’ai un système de jeu que j’affectionne et, même avec quatorze ans en plus, je l’ai conservé. C’est une densité dans l’écriture, une profondeur dans le choix des thèmes, un flow, une fluidité, un placement. Le fonds de jeu reste le même, malgré une évolution.
Sur le Sud, un des titres que tu as fait en featuring avec Akhenaton, tu dis à un moment « Y a jamais dégun qui rate la messe » . La messe du samedi soir au stade Vélodrome n’a pas franchement attiré, cette saison…
On aurait eu besoin de plus de bénédictions. Je pense qu’à partir du moment où il commence à y avoir des sous-ensembles dans l’ensemble et que les guerres intestines deviennent plus importantes que l’ambiance, le jeu et les résultats, tu es voué à finir au milieu de tableau. C’est un secret de polichinelle, on sait très bien qu’il y a des guerres. Là où il y a un problème, c’est que ça scinde le groupe en deux, donc pour avoir une logique de jeu et une osmose, tu es à la rue. La recette n’est pas compliquée : il te faut l’ambiance, l’entente et l’envie. Si tu as ces trois piliers-là, tu sais que tu peux faire quelque chose, même avec des joueurs moyens.
Les affluences sont en baisse, les résultats aussi, on sent une forme de résignation à propos du club. Est-ce que comme pour le rap, l’Olympique de Marseille, c’était mieux avant ?
Non, c’est différent et pas géré de la même façon. On est pour ou contre Deschamps, ce n’est pas le souci. Mais à Marseille, on aime cette équipe quand elle va de l’avant et quand elle joue, pas lorsqu’elle essaye de ne pas prendre de but.
Ça veut dire que tu n’aimes pas la forme actuelle proposée…
Qui aimerait ? Que tu perdes en proposant du jeu, pas de problème. Mais là, tu proposes rien. Faut pas être expert en football pour voir qu’il y a aucun fonds de jeu.
Tu vas encore voir l’OM, d’ailleurs ?
La dernière fois, c’était pour le Marseille-Lyon de l’année dernière où on gagne (saison 2009-2010 en fait, victoire de l’OM 2-1, ndlr), comme ma copine est lyonnaise, kiffe le foot et l’OL. Cette année, je n’avais pas le temps avec le travail. Mais j’attends le 6 août avec impatience pour aller voir quelques matches avec mon fils.
On a parlé d’Akhenaton, tout à l’heure. Tu l’as taquiné pour la faute d’orthographe apparue sur le nouveau maillot pour lequel il a collaboré ?
Non, parce qu’ils avaient fait des vérifications sur les prototypes et la faute n’était pas apparue à ce moment-là. Elle a été commise plus tard. Après, comme je l’ai dit à Chill, je le trouve beau. Mais les couleurs de l’OM, ça reste bleu et blanc. C’est vrai que l’orange est une couleur qui compte pour le club. Mais si tu connais pas les joueurs et que tu regardes le maillot, on pourrait presque croire que ce n’est pas l’OM, de loin.
La France peut bien figurer dans les charts à l’Euro ?
Écoute, je le sens bien. Quand je regarde la feuille de match, je vois que devant, ça joue au ballon, ça va vite, ça se pose pas de questions. Quoi qu’il arrive, c’est ce football-là qu’on veut. Blanc, ça a été un joueur que j’ai adulé quand il jouait, il n’y avait pas mieux à son poste, the king of the world. Et au poste où il est maintenant, on a toujours voulu un mec qui a les connaissances du terrain, le contact avec les joueurs, qui sait ce que c’est que d’obtenir une osmose. On l’a ! Laissons-lui le temps. Je lui ai toujours fait confiance, je sais qu’il ne va pas me décevoir. C’est très aléatoire, mais on y va pour jouer au ballon avec des jeunes qui ont la dalle. Et on a envoyé un message sur ces matches de préparation. Alors ok, c’était le 131e mondial ou je ne sais quoi. Mais il y a quelques années, on avait du mal contre ces équipes.
Et la défense, elle te paraît solide aussi ?
Laissons-leur le temps. Faut pas commencer à leur tomber sur le paletot direct. Peut-être qu’ils sont en préparation. Il y a des gens qui demandent peut-être plus de temps que d’autres. Faut pas commencer à leur envoyer de mauvaises vibes. Ça commence par des petites rumeurs, ça finit par des tsunamis et ça te plombe une équipe. On a tous un rôle à jouer avec cette équipe-là. Tant qu’on se prend pas de raclées, on se doit de les encourager, point barre.
Quelle équipe bombera le torse sur le podium le 1er juillet prochain, d’après toi ?
Franchement, je vois la France bien partie. Autant les fois d’avant, pfff… Mais là, je les vois bien. Après, j’ai pas encore vu tout le monde. Mais on sait qu’il y a des grands noms et aussi des petites équipes rugueuses qui sont compliquées à jouer. Je suis pas sûr qu’on retrouve l’Angleterre au top niveau. Le reste, c’est difficile à dire. L’Italie est en pleine tourmente. Après, dans l’adversité, on s’éparpille ou on se resserre. Mais cette année, on a la dalle. On craint dégun et on va enfin, enfin, avoir des guerriers à l’Euro.
Il y a un groupe qui a perdu de son flow et est en perte de vitesse cette année, c’est le Barça…
(Ironique) À un moment donné, des joueurs qui jouent toute l’année un nombre incalculable de matches au niveau où ils les jouent, on peut s’attendre à ce qu’ils aient une petite baisse de régime humainement parlant. Excusez-les, excusez-les ! Qui n’a pas rêvé en les voyant ? Même sur Playstation, ils ne font pas ça. C’est toute une philosophie de jeu, c’est un football qui fait rêver et qui gagne. Depuis les benjamins, ils jouent comme ça. C’est une perception du football différente… Alors, avec le départ du coach, est-ce que la même osmose sera là ? Je ne sais pas. Guardiola pouvait tout obtenir de ses joueurs. C’était un bon général.
Doc Gynéco, Booba, Psy 4 de la Rime ou d’autres rappeurs ont souvent fait référence au monde du ballon rond dans leurs chansons. De ton côté, on dirait que c’est pas trop ton kiff.
C’est vrai, et pourtant je suis à fond dans le truc. Je joue souvent à cinq quand j’en ai l’occasion. D’un autre côté, il y a toujours l’aspect sports de combat et arts martiaux qui a été dominant parce que j’ai été beaucoup acteur dans ce domaine-là.
Tu as 46 ans et fais un peu figure de Dino Zoff dans le monde du rap. Pourquoi et comment arrives-tu à garder une telle longévité, quand on en voit d’autres faire plutôt une carrière à la Sebastian Deisler ?
Pourvu que j’ai sa carrière à Dino Zoff, bordel ! (sourire) Après, avec AKH, on a toujours eu une certaine conception de notre musique et on a toujours eu une rectitude dans notre conduite, même si les tentations sont grandes et que tu peux déraper à tout moment. On a toujours mis notre art en avant, en le prenant très au sérieux. Mais par contre, on ne se prend pas du tout au sérieux. On reste des gens normaux qui emmenons nos enfants à l’école, allons faire nos courses et avons une vie normale. On laisse la starification aux autres. On a toujours fait attention, en ne faisant pas n’importe quoi au micro. Car avoir un micro est un privilège. Balancer des textes devant un public est un privilège. On continue à faire cette musique qu’on aime, comme on l’aime, pour les gens qui l’aiment.
Le prochain album d’IAM, au moins aussi attendu que le retour de Drogba à l’OM, mettra en valeur le travail et les samples d’Ennio Morricone. Où en êtes-vous ?
Alors, on a d’ores et déjà eu l’aval d’Il Signore. Ça va être beaucoup plus large que Sad Hill, qui était plus un hommage aux westerns spaghettis. Là, c’est vraiment plus large parce qu’on a été influencé par plein d’autres films pour lesquels il a travaillé. On a déjà commencé à bosser sur des morceaux en samples. Mais on a des problèmes de clearance, car chaque B.O est déposée dans une maison différente. Les tractations se passent plus ou moins bien. On espère quand même pouvoir le sortir début 2013.
À écouter : Tous m’appellent Shu, dans les bacs depuis le 23 avril.
À voir : en concert le 16 juin à Biarritz, le 3 juillet à Bordeaux, le 28 septembre à Lille, le 29 septembre à Bruxelles, le 5 octobre à Montreuil et le 19 octobre pour la fiesta aux Docks des sud à Marseille.
Propos recueillis par Arnaud Clement