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Short blanc, changement de règles

Par Anna Carreau
10 minutes
Short blanc, changement de règles

Il y a une semaine, les Anglaises mettaient les pieds dans le plat et évoquaient pour la première fois le problème de jouer en short blanc, couleur bien trop salissante, surtout quand on a ses règles. Depuis soutenues par leur fédération et des homologues comme Wendie Renard, les Lionnes pourraient finalement obtenir un changement lors des prochaines compétitions. Mais pourquoi cette couleur pose tant problème ? Éléments de réponse.

« C’est très bien d’avoir une tenue entièrement blanche, mais ce n’est pas forcément adapté quand nous avons nos règles. On essaye de gérer ça comme on peut », lançait la buteuse Beth Mead au Telegraph à l’issue d’un match d’ouverture maîtrisé par l’Angleterre face à l’Autriche (1-0). Un pavé dans la mare, du moins pour ceux qui ne s’étaient jusque-là jamais posé la question. Certaines de ses coéquipières ont même cherché à temporiser ses propos, sans doute par crainte de choquer l’opinion d’un pays attaché à son blanc fétiche, quand d’autres leur ont apporté leur soutien. C’est le cas de Wendie Renard, capitaine d’une équipe de France qui, comme les Lionesses, porte le short blanc estampillé Nike : « Effectivement, ce n’est pas évident, mais on s’adapte. On est des joueuses de haut niveau, et malheureusement, nous avons ça(les règles, NLDR), ça fait partie de notre vie. Je félicite les Anglaises. S’ils peuvent faire de même pour nous, ça serait cool. » Pourtant, à en croire les propos de certaines joueuses, la question du short blanc, bien que souvent tabou, ne date pas de l’Euro. « Je pense que jouer en blanc peut gêner certaines personnes plus que d’autres, ça va dépendre du flux menstruel de chacune, explique Julie Debever, défenseuse du FC Fleury 91 et dans le groupe de Corinne Diacre au Mondial 2019. Dans mes clubs précédents, la question du short blanc faisait débat pour quelques joueuses, même si ces remarques restaient dans les vestiaires. »

La parole se libèrerait plus facilement avec la gent féminine. Peut-être que la représentation féminine dans l’encadrement est encore trop pauvre, ce qui rend la communication difficile.

Pas de nouvelles, mauvaises nouvelles

Celle qui compte huit sélections en équipe de France explique qu’il est notamment compliqué d’évoquer un sujet qui touche à l’intimité au sein d’un vestiaire souvent entouré d’un staff masculin. S’il s’interroge sur le timing de la demande des Anglaises, dans la mesure où elles savaient bien avant l’Euro qu’elles allaient avoir cette tenue immaculée, Yannick Chandioux reconnaît qu’il ne s’était « jamais dit que c’était un problème », les filles ne lui faisant pas part directement du problème. « À Montpellier, on a joué quelques fois en blanc cette saison. J’ai peut-être entendu à un moment donné une réflexion, mais pas de demande explicite, se remémore l’entraîneur du MHSC. Le PSG, le PFC, l’OL jouent en blanc, et je n’ai pas l’impression que ça pose de soucis. Je ne dis pas que c’est simple pour toutes les joueuses, mais elles font avec. » Pour Julie Debever, si cette question n’a jusqu’alors jamais été « portée aux plus hautes instances », c’est à cause d’un « rapport à l’intimité » mal assumé : « La parole se libèrerait plus facilement avec la gent féminine. Peut-être que la représentation féminine dans l’encadrement est encore trop pauvre, ce qui rend la communication difficile. » Ex-internationale tricolore, Camille Abily se souvient que l’OL avait demandé aux joueuses comment elles imaginaient leur maillot. Mais rien du côté du short. « Même entre nous, on en a très peu parlé, appuie-t-elle. L’avantage, c’est que lorsqu’on est un groupe de filles, on peut se le signaler si on a une tache. Quand on joue en short blanc, c’est joli, mais c’est vrai qu’individuellement, on a toujours cette appréhension de le tacher. »

Julie Debever, marquée à la culotte par Kadi Diani.

Alors comment joue-t-on au foot avec un short blanc lorsque l’on a ses règles ? « Chacune a ses techniques en cas de flux important : mieux s’armer avec un shorty supplémentaire, des changes très réguliers, détaille Julie Debever. Pour certaines, jouer avec un shorty en plus des sous-vêtements est une habitude, ça limite les dégâts du flux menstruel et sert également quand on doit tacler. » Pour autant, la joueuse de 34 ans assure qu’en 17 ans de carrière, elle n’a jamais réellement échangé de conseils avec ses coéquipières concernant ce problème propre aux femmes.

Des règles dans les règles

Si Yannick Chandioux s’interroge du fait qu’aucune joueuse n’est montée au créneau, il voit dans cet équipement clair un autre inconvénient, plus mixte, que les garçons n’ont eux jamais fait remonter : « Lorsque j’étais à Dijon, la question de la transparence du blanc est remontée. Les filles aiment être à l’aise et donc pouvoir porter des dessous assez « légers ». On avait un troisième kit noir et je sais que les filles aimaient bien jouer avec. » Claire Allard, fondatrice de la marque ALKÉ, spécialiste des tenues de foot pour les femmes, abonde en ce sens. « Au-delà des menstruations, il y a la question de se sentir bien dans les équipements, rappelle-t-elle. J’ai souvent des demandes de clubs qui veulent des shorts blancs pour des raisons esthétiques, mais la première chose à laquelle je pense, c’est qu’il y a un risque que ce soit transparent. Pour les joueuses, il vaut mieux opter pour des shorts foncés. »

Quand on équipe des filles, ce sont souvent des interlocuteurs masculins que l’on a au bout du fil et qui prennent les décisions. Ils ne pensent pas forcément aux contraintes des joueuses.

Mais alors pourquoi, malgré ces recommandations, des filles se retrouvent avec des shorts blancs ? Certainement parce que ce ne sont pas elles qui commandent les équipements en début d’année. « Quand on équipe des filles, ce sont souvent des interlocuteurs masculins que l’on a au bout du fil et qui prennent les décisions, sans penser forcément aux contraintes des joueuses », pointe la jeune responsable, qui évoque aussi la difficulté des clubs à se plier aux normes qu’ils se sont eux-mêmes fixées. En effet, chaque club a sa propre identité visuelle, et les couleurs des tenues sont imposées par cette histoire, à l’heure où beaucoup de clubs pros uniformisent la charte entre leurs sections masculine et féminine. Au début de chaque saison, lorsqu’un club s’inscrit en championnat, il s’engage également sur les couleurs que les joueuses porteront toute la saison. Et impossible de faire machine arrière ensuite. « J’avais discuté avec la responsable des équipements du Paris FC. Même si elles évoluent en D1 et les hommes en L2, elle devait s’adapter aux couleurs des garçons », raconte Claire Allard. À Montpellier, le short blanc renouvelé chaque saison poursuit son chemin sans encombre. « La responsable des équipements à Montpellier, Hoda Lattaf, est une ancienne joueuse, témoigne Yannick Chandioux. Je pense qu’elle a dû déjà poser la question aux joueuses, et si ça se reconduit, c’est que ça ne pose pas trop de problèmes. »

La remise en question du blanc n’étant visiblement pas encore d’actualité, des exemples montrent tout de même que les pratiquantes ont voix au chapitre et peuvent même faire évoluer les choses. Yannick Chandioux se souvient que durant ses années à Dijon, les joueuses s’étaient plaintes de shorts très larges et très longs, peu adaptés au corps d’une femme. Le club avait alors demandé à l’équipementier des tenues « plus féminines ». « C’est venu avec le temps, explique-t-il. Ce sont les joueuses qui ont fait changer les équipementiers, je pense. » Julie Debever se souvient elle aussi avoir obtenu gain de cause à Fleury cette année. « On avait des shorts taillés de manière masculine : ils étaient donc un peu serrés notamment, pour moi, au niveau des hanches, expose-t-elle. C’est un sujet différent de celui du cycle menstruel, mais le corps de la femme est également au centre sur ce débat. À la demande presque générale, le sujet est remonté à notre capitaine qui a fait le lien avec la direction pour demander à changer la coupe de nos shorts. Je ne sais pas si nous aurions eu gain de cause avec le sujet du short blanc, mais ça démontre qu’il y a une réelle écoute quant à nos désirs. » Au-delà des règles donc, la morphologie des femmes semble peu à peu être prise en compte par les équipementiers, contraints de se mettre à jour. La représentante d’ALKÉ explique notamment que sa marque a fait le choix de produire trois longueurs de shorts différents – court, mi-long et long – afin que chacune y trouve son compte.

Le truc, c’est que les filles redoutent aussi de dire qu’elles ont des règles difficiles ou qu’elles sont trop fatiguées. Elles pensent que ça pourrait pousser l’entraîneur à moins les utiliser sur cette période.

Les règles et l’esprit de la règle

Plus qu’un problème textile, c’est surtout la manière dont ont été considérées les menstruations qui fait tache, même si les concernées notent des avancées dans ce domaine. « À Fleury, le staff est mieux formé, et c’est bien de s’y intéresser parce que le corps d’une femme est différent de celui d’un homme, défend Julie Debever. L’encadrement porte un œil attentif au cycle menstruel et la fatigue que ça engendre. À l’Inter, on avait des programmes spécifiques et individualisés en fonction de nos cycles. Moi par exemple, j’étais plus fatiguée la semaine qui précède mon cycle, pour d’autres c’était pendant, d’autres c’était après. » Et si les langues peinent toujours à se délier autour de la question, les clubs mettent souvent en place un relai féminin chargé d’informer le staff. « Les joueuses s’ouvrent de plus en plus sur la question des règles parce que lorsque l’on fait du sport de haut niveau, on est obligé de tout prendre en compte », ajoute Yannick Chandioux, tenu au courant du cycle menstruel de chacune par sa kiné et son préparateur physique. L’entraîneur arrivé dans l’Hérault la saison passée adapte certaines séances lorsque des joueuses osent venir lui en parler en arrivant, bien que cela n’arrive pas chaque matin. « Chaque femme a des règles différentes, c’est à elles de s’adapter et de donner les informations les plus précises pour que l’on puisse le prendre en compte, développe-t-il. Le truc, c’est que les filles redoutent aussi de dire qu’elles ont des règles difficiles ou qu’elles sont trop fatiguées. Elles pensent que ça pourrait pousser l’entraîneur à moins les utiliser sur cette période. Il y a une forme de prudence plus que de tabou. »

Si le football féminin a énormément progressé ces dernières années, il lui reste encore quelques zones d’ombre à éclaircir. Ou l’inverse concernant le short. Et la question de l’équipement adapté à la femme posée par les Anglaises trouve largement écho auprès de Julie Debever : « On parle de représentation de la femme dans le monde du sport, et si on veut la respecter en tant que telle, c’est un sujet sur lequel on pourrait se pencher légitimement, ça fait partie des conditions de travail. » Ainsi, individualiser l’équipement au féminin, afin d’apporter plus de confort aux joueuses, serait un « pas de géant » pour la défenseuse de Fleury : « Le football se conjugue également au féminin, il ne faut pas l’oublier. » Alors que Claire Allard assure que cette récente montée au créneau devrait « ouvrir la question du développement de toute une gamme de sous-vêtements sportifs », la joueuse y voit un vrai motif d’espoir pour la suite : « Une gamme de sous-vêtements adaptés permettrait d’assurer une protection et un confort supplémentaire et ainsi de libérer également la joueuse, la rendre plus performante. »

Si, sur le papier, les promesses sont belles, il est bon de rappeler qu’une seule marque propose des crampons femmes, correspondant aux points d’appuis, à la répartition du poids, à la taille et à la forme du pied d’une joueuse féminine. Les autres se contentent pour l’instant de chaussures mixtes sur lesquelles on bariole un peu de rose et de violet pour faire « plus féminin ». Avant de pouvoir être parfaitement équipées de la tête aux pieds, les joueuses devront donc être encore un peu patientes ou continuer à faire pression sur les équipementiers. « C’est lié à l’évolution du sport féminin et des mentalités, conclut Claire Allard. La tenue n’est qu’un des angles. Viendra ensuite la question de la maternité, par exemple. » Histoire d’entamer un nouveau cycle de prise en compte de la femme dans le football.

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Par Anna Carreau

Propos de Julie Debever, Yannick Chandioux et Claire Allard recueillis par AEC, propos de Camille Abily recueillis par Gabriel Joly

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