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Shinji sur la falaise
C'est le soldat discret, celui dont on parle le moins, mais peut-être celui qui aura été l'un des plus utiles de la saison de Leicester. En l'espace d'un an, Shinji Okazaki est devenu le rouage essentiel du système Ranieri, un chien prêt à crever sur une pelouse, mais aussi un mec qui a enfin compris de quoi on lui parlait. Pas toujours simple.
Le premier jour, il ne comprenait rien. Il se contentait de répondre aux consignes par un « ok » poli. Mais, au fond, aucun message ne rentrait. C’était pourtant le plus gros pari. Une sorte de tête de gondole tirée d’un marché estival placé sous le signe de l’économie et avec qui Leicester allait également pouvoir augmenter sa visibilité à l’international. Pour le propriétaire du club, Vichai Srivaddhanaprabha, la petite touffe était également l’assurance de mettre un pied dans le marché asiatique, au Japon d’abord, mais aussi en Thaïlande où le gros portefeuille des Foxes a construit son empire. Recruté à l’époque par Nigel Pearson, Shinji Okazaki était alors un petit peu plus qu’un joueur de foot. C’était un projet global caché derrière le sourire affiché en permanence par le meilleur buteur japonais de l’histoire de la Bundesliga. Okazaki est arrivé à Leicester le 1er juillet dernier. Dix mois plus tard, son histoire a rempli la salle de presse du King Power Stadium de journalistes asiatiques – « les Japonais ne connaissaient pas Leicester la saison dernière, mais aujourd’hui, ils savent qui on est » -, dont l’un est même envoyé spécial permanent, et le petit Shinji est devenu un petit peu plus qu’une image. C’est devenu un héros.
L’amour du détail
La conquête de Leicester est une fresque gigantesque. À l’heure de la Premier League toujours plus riche, toujours plus clinquante, c’est surtout une anomalie. L’histoire ne retient souvent que les héros. Shinji Okazaki, lui, n’en est pas vraiment un. Il n’a jamais aimé la lumière et est devenu plutôt le rouage essentiel de la machine Ranieri. C’est simple : cette saison, quand Vardy était là, le Japonais l’était aussi. L’entraîneur italien ne se voyait pas vivre sans cette doublette. Et le scénario a toujours été le même. Okazaki est aligné d’entrée, Ulloa le remplace à une trentaine de minutes de la fin. Il faut alors comprendre pourquoi l’attaquant japonais est aussi indispensable. Tout simplement parce qu’il se dépense comme personne, qu’il dévore l’espace comme personne et qu’il est peut-être le renard avec le plus gros cœur accroché derrière la gueule de renard. Shinji Okazaki est un chien fou qui n’est pas forcément beau à voir jouer, mais qui avance pour terminer la rencontre avec le maillot dégueulassé. Reste qu’il est certainement le joueur offensif le plus utile dans un rôle ingrat que Ranieri a su lui faire accepter.
Celui de gratter dans le détail. Okazaki n’est jamais à la tombée d’un coup franc, mais il le provoque. Il ne rend jamais une fiche de stats offensives terrible, mais il rend celles de ses partenaires excellentes. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’attaquant japonais à un QI supérieur à la moyenne, qu’il court avec intelligence et ne s’aventure jamais dans un appel dans le vide. C’est pour ça qu’il était devenu hier une idole à Mayence et qu’il représente l’avenir du Japon de demain au moment où Keisuke Honda est retombé aussi vite qu’il est monté. Physiquement, ce n’est pas non plus un monstre, plutôt une copie touffue de Ken Jeong, mais, dans ce cadre, il colle parfaitement à la philosophie Leicester : celle d’une équipe avec un cœur énorme, dopée à la multiplication des efforts et qui entre parfaitement dans l’une des évolutions du football moderne. Une sorte d’Atlético de Madrid, plus douce mais convaincue par les mêmes préceptes.
Big in Japan
C’est aussi la force du travail de Ranieri cette saison, d’avoir réussi à convaincre un groupe tout entier de le suivre dans sa cause. Son 4-4-2 fixe est basé sur un pressing intense où la première couverture est largement amenée grâce à Okazaki. Vardy, lui, n’est finalement qu’un finisseur dans un jeu construit autour de contre-attaques rapides où l’attaquant japonais excelle dans son rôle de pivot. Reste que le Japonais sait aussi briller parfois, face à West Ham en août dernier ou contre Newcastle dernièrement. Il a surtout réussi là où nombre de ses compatriotes se sont fracassé les dents lors des dernières années. L’exemple de Kagawa à Manchester United est encore présent, celui de Nakata ou Toda hier aussi. Reste qu’Okazaki a su faire accepter son style et son sourire après avoir passé « enfin le test d’anglais » comme aime le rappeler Ranieri. No Shinji, no party.
Par Maxime Brigand