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Sheffield FC, 158 ans et toutes ses dents
Le Sheffield FC est le père de tous, le plus vieux club de foot non universitaire au monde. Une histoire entre cricket, Blatter et vagabondages.
Le temps est au crachin dans le Yorkshire, la terre colle aux baskets à l’entrée du Coach and Horses ground de Dronfield, à quelques kilomètres de Sheffield. Un bus noir, vitres teintées et logo rouge et noir « 1857 – Sheffield FC » barre les flancs. En dessous, la baseline du club : « The world’s first football club » . Ces quelques mots et le luxe du bus sont les seules choses distinguant le Sheffield FC d’un concurrent de 8e division. Ça, et des matchs amicaux contre l’Inter Milan et le Borussia Dortmund, sous les yeux de Sepp Blatter ou Pelé. Car être le doyen octroie quelques privilèges.
Boxing Day et premier derby au monde
Mais le temps sait aussi être dur pour les vieux. La maison du Sheffield FC se limite à des préfabriqués adossés à une petite tribune de 250 places assises. À l’intérieur, entre deux glorieuses photos, le maître des lieux souhaite la bienvenue, sourire débonnaire sur pull en laine rouge et pantalon de velours côtelé. Richard Tims , « pas encore président en 1857 ! » est le patron du club « depuis 12, 13 ans » (l’interview date de 2013, ndlr). En 1857, ce sont Nathaniel Creswick et William Prest, « deux gentlemen cricketers » qui décident d’établir le premier club non universitaire du monde. Le 24 octobre précisément, à la Parkfield House, dans la périphérie de Sheffield : « Ils ont pris les meilleures règles du jeu et ont formé un ensemble de règles sur lequel le Sheffield FC s’est développé. On n’a pas inventé le football. On a pris les meilleurs règles universitaires pour fonder le premier club de football non universitaire. » Et par la même occasion les Sheffield Rules, dont le carnet originel est précieusement conservé dans la salle des trophées, véritable musée du football amateur.
Jusqu’en 1878, le doyen conserve ses règles, malgré l’intégration en 1863 de la Football Association et ses Cambridge Rules. C’est que les lois du jeu ne sont pas encore uniformisées : ainsi, le 2 janvier de cette année, Sheffield s’en va jouer à Nottingham sous les règles locales, et deux équipes de 18 joueurs de s’affronter balle au pied. Encore, à Londres en 1866 : « La moitié du match était jouée sous les règles de Sheffield, l’autre moitié sous les règles de Londres. Tout s’ajustait au fur et à mesure, nous étions pionniers. » Mais avant d’en arriver là, une question taraude : contre qui peut-on jouer lorsqu’on est le premier club au monde ? « Pendant trois ans, nous avons joué contre nous-mêmes : mariés contre célibataires, premières lettres de l’alphabet contre dernières… Jusqu’à ce que, trois ans plus tard, nous persuadions un autre club de cricket de Sheffield, Hallam, de former un club de foot. En 1860, il y avait donc deux clubs de foot et le premier match de foot. Et le reste n’est qu’histoire… » Une histoire qui retiendra que le premier derby au monde, entre Sheffield et Hallam, a eu lieu pendant un Boxing Day.
Du cricket au Qatar
Logiquement, en 158 années d’existence, le Sheffield FC doit avoir accumulé quelques succès. Oui, mais pas vraiment : en ratant la marche du professionnalisme dans la décennie 1880, le doyen s’est toujours démené dans les divisions obscures du football anglais. Et son plus grand trophée tient en une FA Amateur Cup de 1904, une compétition créée sous l’impulsion du club. Qu’importent les résultats, Richard Tims préfère mettre en avant le jeu, en VO dans le texte : « No boom, no boss, no Ligue des champions, pure football… » Et un Ordre du mérite de la FIFA en 2004, tout de même. Si l’intitulé peut prêter à sourire, il reste que Sheffield est l’un des deux seuls clubs au monde à avoir reçu cette distinction. Le second ? Le Real Madrid.
Aujourd’hui, le club souhaite faire fructifier son image de marque pour, enfin, se sédentariser. Pendant 144 ans, le club est passé des terrains de cricket à ceux de ses voisins professionnels, par exemple le Bramall Lane de Sheffield United. Avec le Coach and Horses ground, Sheffield FC a posé ses valises pour la première fois, en 2001. Demain, il ambitionne un retour aux sources de son premier terrain, l’Olive Grove. Pour cela, #TheWorldFirst a lancé une campagne de crowdfunding qui a permis de réunir plus de 35 000 livres auprès de 1 400 particuliers. Quelques clubs professionnels, Sheffield Wednesday, Sheffield United, Aston Villa, ainsi que le FC United of Manchester et le Tottenham Supporters’ Club, ont également mis la main à la poche. Surtout, le Qatar a allongé 100 000 livres pour faire du projet une réalité. Un coup de pouce ou une entorse à la « belle histoire à raconter, dans une période où le football est dirigé par le succès et l’argent, d’un petit club qui survit, pas grâce à l’argent, mais par l’amour du jeu » ?
La question ne devrait se poser pour personne, selon Richard : « En théorie, tout amateur de foot au monde vient d’ici. Nous sommes votre arrière-arrière-grand-père ! Que tu supportes Le Havre, Saint-Étienne ou le Real Madrid, tu peux toujours aimer ton club, mais tu devrais aimer aussi celui-ci. Donc mon public est de 1,3 milliard de personnes (sourire). Mais la plupart ne le savent pas… » Au moins reste-t-il quelques places dans les gradins du Coach and Horses ground.
Par Eric Carpentier et Emmanuel Bourdoncle, à Sheffield