ACTU MERCATO
Shaqiri, le sourire de l’Inter et le mérite de Mancini
L'Inter n'avait plus fait venir un jeune talent mondialement réputé depuis l'arrivée de Wesley Sneijder en août 2009. Comme Shaqiri aujourd'hui, qui arrive dans le cadre d'un prêt avec obligation d'achat fixée à 16 millions d'euros, le numéro 10 néerlandais fuyait l'armada d'un ogre européen pour gagner du temps de jeu. Moins de trophées, plus de football. À Milan, Shaqiri retrouve une formation en pleine transformation depuis l'arrivée de Roberto Mancini. Avec son arrivée, certains osent même parler de révolution. Peu importe, après plusieurs mois moribonds, l'enthousiasme est de retour.
En novembre 2013, Erick Thohir prend le temps de participer à plusieurs programmes télévisés italiens pour convaincre les consciences intéristes qu’il suivait déjà l’Inter de Matthaüs depuis Jakarta quand il avait 20 ans. L’homme est fortuné, mais parle plus de marketing que de football. Puis, à un moment, pour rigoler, il annonce qu’il va tout faire pour acheter Leo Messi. Depuis, on est très loin du grand sourire de Massimo Moratti annonçant l’arrivée d’un crack sud-américain par un traditionnel « c’est une opération qui est possible, oui, vous allez voir » au pied des bureaux de la Saras un lundi matin. Surveillée de près par l’UEFA, l’Inter est réduite à faire des « coups » de poker et à lancer des jeunes. En clair, le club milanais travaille dans l’ombre des ogres européens.
Il y a une semaine, l’arrivée de Lukas Podolski était une opportunité intéressante à saisir, sans plus, tout comme les nouvelles rumeurs Thiago Motta et Lucas Leiva, et les recrues Medel, Dodô, Osvaldo, M’Vila et Vidić. En clair, l’Inter recycle en espérant trouver le bon mélange. Mais l’arrivée de Xherdan Shaqiri est différente. Depuis 2009, seuls Kovačić et Icardi ont vraiment été arrachés à la concurrence, pour respectivement 10 et 13 millions d’euros. Mais alors que les deux talents n’étaient qu’un futur, Shaqiri est un présent. La taille de Messi, un pied gauche missile élevé à la Bundesliga et des muscles de Kosovar. Un héros, quoi. Enfin.
Comme Wesley Sneijder en 2009
Évidemment, Shaqiri n’est que le Messi de la Suisse. Il a fait une belle Coupe du monde, mais il n’a pas non plus marqué les 6 buts de James Rodríguez. Il a une bonne frappe de balle et sait faire la différence, mais pas autant qu’Arjen Robben. Si l’Inter a réussi à battre la concurrence, c’est d’une part parce que l’équipe milanaise pouvait lui promettre du temps de jeu et des responsabilités (ce qui manquait à Liverpool, dont l’offre était pourtant de 20 millions d’euros), mais aussi parce que les gros clubs européens n’ont pas senti le coup. Comme Wesley Sneijder en 2009, acheté à 26 ans pour 15 millions d’euros en toute fin de mercato 2009, le Suisse quitte une situation confortable et part vers une aventure incertaine. À Munich, ce n’était qu’un remplaçant de luxe. Mais à Bâle, Shaqiri était un bouillon d’explosivité, d’accélérations et d’agressivité offensive.
Au Bayern depuis 2011, Shaqiri n’a pourtant jamais réussi à s’imposer, ne trouvant pas de temps de jeu derrière des Ballons d’or en puissance (Robben, Ribéry, Müller, mais aussi Götze). C’était peut-être trop tôt, et la marche était peut-être trop haute. Sur le terrain, le Suisse a démontré sa valeur, parfois de manière précipitée, presque nerveuse, mais il n’a pas eu le temps de montrer plus. Cette saison, il n’a pu compter que sur 3 pauvres titularisations et n’a joué que 390 minutes (13 matchs, Bundesliga et C1). Les deux saisons précédentes, le milieu offensif n’avait eu que 10 et 13 titularisations en Bundesliga. Comme Sneijder, Shaqiri a aussi perdu du temps à cause de blessures à répétition : un total de 40 matchs manqués sur ses deux premières saisons. Le palmarès s’est logiquement étoffé (C1, Coupe du monde des clubs, Supercoupe d’Europe, 2 championnats, 2 Coupes d’Allemagne, 1 Supercoupe), mais bien trop par rapport au véritable accomplissement personnel. Ainsi, sans attendre plus longtemps, Shaqiri a pris les choses en main et demandé un départ. Comme Sneijder en 2009. De son côté, cette Italie en manque de héros n’attendait que ça.
Le mérite de Roberto Mancini
La qualité des joueurs d’une équipe dépend forcément d’une part du portefeuille de son propriétaire, et de plus en plus des revenus générés par le club en ces temps de FPF. Mais elle dépend aussi de la capacité de l’entraîneur à générer de la confiance auprès de ses supérieurs pour les convaincre du projet qu’il entreprend. Cette capacité, c’est peut-être la plus grande qualité de l’entraîneur Roberto Mancini. Non, Mazzarri n’aurait certainement pas réussi à convaincre Thohir de dépenser tous ces millions. Mais surtout, Mazzarri n’aurait pas convaincu personnellement Shaqiri. En quelques textos, Mancini a su trouver les mots pour qu’un grand talent du Bayern accepte de venir jouer pour le 11e de Serie A. Le milieu offensif, qui aime prendre ses responsabilités (5 tirs par match à la Coupe du monde, 3,5 à 20 ans pour le FC Bâle), devrait ainsi idéalement entrer dans le 4-2-3-1 rêvé par l’entraîneur à la discipline vestimentaire exceptionnelle. Arrivé fin novembre, Roberto Mancini a eu un mois et demi pour redresser la barre. Si le bilan statistique n’est pas glorieux (1 victoire, 3 nuls, 2 défaites), les progrès en termes de mentalité et de qualité de jeu sont déjà salués par la presse italienne (l’Inter ayant affronté les trois têtes du podium et le Milan).
Comparer la partition de l’Inter au Juventus Stadium ce dimanche avec celle de février dernier est éclairante pour se rendre compte des différences de mentalité qui séparent les équipes de Mazzarri et Mancini. En février dernier, Mazzarri avait fatigué le technique Kovačić au marquage de Pirlo pour donner les clés du jeu au vicieux Kuzmanović, et n’avait osé aligner que le seul Palacio en pointe (défaite 3-1). Ce dimanche, Mancini a préféré aligner 4 joueurs offensifs (Icardi, Kovačić, Hernanes, Guarín), a fait entrer en jeu Podolski et Osvaldo, mais est surtout parti furieux du match nul à Turin. « Parce qu’on est l’Inter, on ne peut pas se contenter d’autre chose que la victoire, même en ce moment » , répète-t-il. Enthousiaste, cette Inter revient toujours au score (Milan, Roma, Lazio, Juventus) et prend enfin l’initiative dans le jeu, malgré les très nombreuses erreurs et lacunes individuelles du « moment » , dignes de la seconde partie du tableau. Le mercato de l’excellent Ausilio aidera, et le temps aussi. À Turin, un seul joueur de plus de 30 ans était aligné (Hugo Campagnaro, 34 ans). Avec Icardi, Kovačić et maintenant Shaqiri, le secteur offensif de l’Inter est jeune, prometteur et ambitieux. Et si ça ne vaut pas encore les Corso-Mazzola-Suárez, Djorkaeff-Zamorano-Ronaldo, Recoba-Seedorf-Vieri, Figo-Crespo-Ibrahimović ou Sneijder-Eto’o-Milito, cela suffit pour un sourire. Parce que ça faisait longtemps.
Par Markus Kaufmann / Propos recueillis par Markus Kaufmann
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