- Foot & Santé
S’étirer est-il vraiment utile ?
Que ce soit dans le foot professionnel ou amateur, en France ou à l'étranger, avant ou après la séance d'entraînement, les étirements disposent d'une place de choix depuis très longtemps. Apparaissant nécessaires et indispensables, ils font partie des gestes quotidiens des joueurs qui les réalisent sans trop se poser de questions. Et s'ils avaient tout faux ?
Quel est le point commun entre la séance d’entraînement de Cristiano Ronaldo, attaquant professionnel de la Juventus et quintuple Ballon d’Or, et celle de Gérard, libéro amateur du dimanche matin et recordman du nombre de matchs joués le lendemain d’une cuite ? Le petit temps consacré aux étirements réalisés avant ou après l’effort, avec bien souvent le discours du coach en toile de fond.
Là, un pied au niveau des fesses derrière le dos. Ici, les pattes posées sur une rambarde en position allongée. Hop, la posture du corps qui penche vers le côté de la jambe pliée pendant que l’autre est tendue. Que le football soit un métier, un loisir ou un défouloir, qu’on tape la balle au quotidien ou trois fois dans l’année, qu’on ait eu une licence au centre de formation du Paris Saint-Germain ou au Club Laïc Noirlieu Chambroutet Bressuire, tout joueur ayant un jour acheté des crampons dans sa vie pour les chausser à plus ou moins long terme à entendu le même principe d’enseignement : pour le bien du corps, il faut s’étirer. Avant, après, tout le temps.
Messi a raison de balancer
Oui, mais voilà : malgré tout ce qui a pu être instruit par l’éducateur préféré, ces petits gestes ne seraient pas forcément si importants que ça. Allez, autant le dire directement : au regard de la science, ils ne serviraient même à rien. Boom, un monde s’écroule pour certains et l’idée reçue est de nouveau pointée du doigt à raison pour les autres. Mais avant d’aller plus loin, il convient de dissocier les « bons » étirements, dits actifs ou balistiques, des « mauvais » , nommés passifs ou statiques.
Les premiers, comme leur nom l’indique, constituent en des mouvements répétés actifs. Les objectifs ? Activer les muscles pour l’effort à venir, et augmenter la température de base de l’organisme. À titre d’exemple, les étirements actifs sont ceux que Lionel Messi réalise lorsqu’il « balance » sa petite jambe afin d’allonger le muscle un quart d’heure avant d’aller défier Liverpool en demi-finales de Ligue des Champions. Pour ce genre d’échauffement, pas de problème : ce style d’étirements est préconisé.
Neymar et les courbatures du lendemain
En revanche, les étirements passifs – c’est-à-dire ceux qu’on peut voir dès que Neymar a dix secondes à perdre, lorsqu’il maintient une position sans action musculaire – sont inutiles. Voire à proscrire. « Cet étirement commun n’a aucun intérêt avant l’effort !, s’étrangle Axel Mongodin, kinésithérapeute exerçant dans un cabinet de sport à Rennes et ancien du Stade Lavallois. Le but principal est d’échauffer le muscle, et les étirements passifs statiques font tout l’inverse. » Et si les défenseurs des étirements passifs estiment que ces derniers diminueraient le risque de blessure, le lien entre les deux n’a jamais été démontré.
Et en post-effort, alors ? Ces étirements passifs ont l’avantage de réduire les courbatures, rétorqueront par réflexe beaucoup de sportifs. « COM-PLÈTE-MENT FAUX, leur répond le kiné. Il n’y a absolument aucune corrélation entre les courbatures et les étirements. Zéro relation,nada. Et ça, c’est indéniable au sein de la communauté scientifique. » Un véritable choc psychologique, pour les accrocs du footing comme pour ceux qui tentent d’imiter Karim Benzema le week-end et qui mettent rigoureusement tout en oeuvre pour se sentir mieux le lendemain.
Attention à ton muscle, Kylian
« En fait, on a pris l’habitude de faire ça parce que ça fait du bien sur le coup. L’effort ayant raccourci le muscle, il y a un effet antalgique et antidouleur à très court terme en l’étirant. Mais c’est seulement une sensation » , confirme Etienne Tourolle, kinésithérapeute à Nantes en cabinet de sport. En réalité, ces étirements effectués après l’exercice pourraient même être délétères pour les outils de travail de Kylian Mbappé et consorts. Car pendant un match, des micros-lésions se créent en effet et tirer ensuite un peu trop sur le muscle risque d’aggraver ces lésions alors que la vascularisation permet naturellement de régénérer tout ça.
Pourtant, malgré de nombreuses études sérieuses portées sur le sujet depuis vingt ans (et regroupées par le thérapeute spécialiste des étirements Jarod Hall, qui milite cependant pour de nouvelles recherches sur le sujet), les étirements passifs – qui pourraient tout de même faire progresser en souplesse et s’avèrent efficaces pour gagner en amplitude de mouvement dans des séances à distance des entraînements – continuent de régner au sein des clubs pros et parmi les effectifs qui les composent. « C’est quelque chose d’assez ancré dans le milieu, reprend Axel Mongodin. Les footeux sont un peu dans leur monde. Donc c’est compliqué d’aller leur dire que ce qu’ils font depuis des années, c’est de la merde… C’est quasi-impossible de changer les choses. » Reste le réel effet placebo, qui peut détenir un rôle prépondérant dans les têtes des joueurs alors plus aptes à performer et à récupérer. Même s’il faut s’infliger une courte séance de torture.
Croyance urbaine, Internet et crête d’Hamšík
Mais bon sang, d’où viendrait donc cette théorie qui place les étirements comme un acte aussi important que le gel de Marek Hamšík ? « Il y a une quarantaine d’années, des pseudo experts ont sûrement annoncé qu’il fallait s’étirer et ça s’est imposé comme ça dans les moeurs…, sourit le kiné breton. Or, supprimer une croyance urbaine prend énormément de temps. Certains croient encore qu’il y a deux écoles. Bah non : si l’on prend en compte les preuves scientifiques, il n’y a qu’une seule et unique école. Que les footballeurs arrêtent de s’étirer comme des marmules ! »
Par ailleurs, les entraîneurs peuvent avoir davantage de poids sur les habitudes de leurs joueurs que les médecins ou kinés ayant une réelle connaissance de la thématique. Ayant souvent été joueurs eux-mêmes et adeptes de mauvaises manies, ils influencent parfois leurs poulains dans l’adoption de comportements pas forcément fondés scientifiquement. Sans compter le travail de sape d’Internet : « Sur le web, tu vois tout et n’importe quoi, hein. Quand tu fais une recherche sur les étirements, tu ne tombes pas tout de suite sur une publication scientifique mais plutôt sur un blog qui va raconter de grosses conneries. » Du coup, faut-il interdire le Wi-Fi ou l’étirement passif ?
Par Florian Cadu
Propos recueillis par FC