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Serie A : Eh bien jouons maintenant !
Andrea Pirlo ne s'en cache pas : il veut faire de la Juventus une équipe qui se fait plaisir sur le pré et en procure à ses tifosi. Voilà qui fait écho aux projets de Gian Piero Gasperini à l'Atalanta et, dans une moindre mesure, de Simone Inzaghi à la Lazio. Soit deux équipes qui, en jouant leur football plutôt qu'en s'adaptant à celui de l'adversaire, carburent mieux que certains mastodontes de la Serie A. Et si l'obsession italienne du résultat cédait définitivement le pas à la tentation du plaisir par le jeu ?
Aaron Ramsey n’a pas mis longtemps à se faire un avis sur l’Andrea Pirlo entraîneur. Un peu moins de deux mois après la nomination de la légende à la tête de la Juventus, le Gallois est tenant d’une réjouissante certitude : « Je pense qu’on s’amuse plus en jouant que la saison dernière… On a un nouveau coach, un nouveau staff et de nouvelles idées sont transmises aux joueurs, qui sont très impliqués dans ce processus… Les sessions d’entraînement sont toujours dures, mais je perçois plus de joie qui en ressort que l’année dernière. » De fait, s’il est encore trop tôt pour se forger un avis définitif sur l’avenir du projet Pirlo à Turin, le premier match des Piémontais face à la Sampdoria (3-0) a transpiré d’un prometteur bonheur collectif. Et si la Juventus, mais aussi la Serie A, filaient définitivement sur l’autoroute du plaisir plutôt que sur le chemin du tout pour le résultat ?
Dans le sillage de Bergame
C’est en tout cas ce que semble penser Andrea Pirlo, dont les joueurs défient la Roma ce dimanche. Le néo mister juventino veut mettre sur pied une équipe à l’identité stylistique forte, qui s’appuie sur un 3-5-2 qui assume la possession, pratique un pressing haut et penche notoirement vers l’avant. Voilà qui, toutes proportions gardées, fait au moins un tout petit peu penser à l’Atalanta de Gian Piero Gasperini, référence collective et offensive en Serie A depuis maintenant quatre ans. Avec 98 buts marqués en championnat la saison dernière, la Dea est la première équipe de Serie A à atteindre ce chiffre depuis la Juventus des années 1950. En phase avec les évolutions d’un football européen où le déséquilibre offensif semble prendre le pas sur une approche plus calculatrice et défensive du jeu, l’Atalanta est de fait peut être appelée à faire quelques émules en Italie. Surtout, si la Juve se décide à se forger une patte tactique elle aussi portée vers l’avant, où les notions de plaisir et de prise de risque deviennent deux éléments cardinaux de la construction collective. La Vieille Dame avait semblé vouloir déjà tenter le coup l’année dernière en embauchant Maurizio Sarri, mais l’ancien gourou napolitain avait très rapidement jeté l’éponge, en assumant ne pas pouvoir y imposer ses idées de jeu.
Si l’expérience avec Pirlo s’avère cette fois plus concluante, elle viendra peut-être encourager d’autre équipes à embrasser une optique plus audacieuse, alors que la Serie A a de toute façon globalement revisité son logiciel tactique depuis plusieurs années. L’âge d’or des années 1990, caractérisées par ses défenses de fer et les fuoriclasse qui pullulaient dans de nombreuses équipes, est loin derrière, mais la recherche du sacro-saint équilibre tactique, qui pouvait accoucher de rencontres très fermées, aussi. Voilà des années que la moyenne de buts par match de la Serie A culmine d’ailleurs à des hauteurs similaires à celles de la Premier League et de la Liga. Lors de l’exercice 2019-2020, l’élite italienne revendiquait même une moyenne de 3,03 buts par match, contre 2,72 buts par rencontre en Angleterre et 2,47 en Espagne. Seule la Bundesliga faisait mieux, avec 3,20 buts par match.
Jouer pour exister
Voilà qui donne envie de voir la Serie A définitivement se lâcher, quitte à proposer du spectacle et du jeu, à défaut d’être au top du hip-hop du foot continental. Incapables de gagner la moindre C1 ou C3 lors de la dernière décennie, les grands clubs italiens ne peuvent plus miser sur la supériorité de leurs effectifs ou sur un contrôle cynique du déroulé de la partie pour l’emporter au plus haut niveau européen. Jusqu’à preuve du contraire, pour s’imposer au bout du bout, il va falloir jouer, si possible mieux que les autres, et souvent avec des moyens plus limités. C’est d’ailleurs ce qu’ont su faire des équipes comme l’Atalanta et la Lazio ces dernières saisons, pourtant pas forcément mieux dotées individuellement que des clubs comme la Roma et l’AC Milan, mais charpentées par un projet de jeu stable et fort.
Quid des équipes comme l’Inter de Conte, moins clinquantes, mais elles aussi minutieusement construites collectivement et tactiquement ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que l’actuel entraîneur de l’Inter a perdu la dernière finale de C3 face à Séville en ayant opté pour une stratégie frileuse, avec Gagliardini pour blinder son entrejeu et D’Ambrosio, un latéral classique, au poste de piston droit. Le tout avec un effectif qui semblait sur le papier supérieur à celui de son adversaire ibérique. L’histoire aurait-elle pu tourner différemment si les Lombards avaient choisi de d’abord déséquilibrer l’adversaire, avant de sécuriser leurs bases arrière ? Mystère, mais l’Italie du football va sans doute plus sérieusement y réfléchir, à l’heure où sa plus illustre représentante, la Juventus, est peut-être en train de commencer à se poser les bonnes questions.
Par Adrien Candau
Tous propos issus de la Gazzetta dello Sport.