- Serie A
- J27
- Naples-Inter
Naples, Conte et le temps suspendu
Même coupe de cheveux, même attaquant de pointe, même rigorisme tactique et même équipe de vieux briscards revanchards : Antonio Conte est revenu en Italie comme il l’avait quittée. Entre-temps, son successeur à l’Inter, Simone Inzaghi, a propulsé le jeu des Nerazzurri dans la modernité. Ce samedi dans la Botte, ce sont deux visions du football qui s’affrontent. Mais celle de Conte ne serait-elle pas déjà dépassée ?

Il faut reconnaître au football italien un sens aigu de la dramaturgie. Ce samedi en Serie A, le Napoli reçoit l’Inter pour ce que les tifosis se plaisent souvent à qualifier de « match Scudetto ». Le premier contre le deuxième. Le favori contre l’outsider. Et surtout, Simone Inzaghi contre Antonio Conte, le second ayant entraîné l’Inter, avant de voir le frère de Pippo lui succéder. Mais plus qu’un match au sommet et une histoire de succession, c’est un duel de savoir-faire, de partis pris stylistiques qui vont se défier ce week-end, pour imprimer un tournant à une saison de Serie A dont l’issue reste incertaine.
Opposition de styles
Dans le coin droit, l’Inter se présente avec un arsenal tactique que Simone Inzaghi n’a cessé d’étoffer depuis qu’il a pris la tête de l’équipe première, en 2021. La recette est bien connue : un 3-5-2 protagoniste et protéiforme – où l’Inter peut alterner jeu de possession et phases de transition explosives –, des permutations régulières, un pressing tout-terrain et bien sûr des côtés libérés, où Federico Dimarco et Denzel Dumfries peuvent multiplier les montées. « Dominatrice » semble le qualificatif le plus adapté pour décrire cette Inter-là : cette saison, les Nerazzurri sont à la fois l’équipe qui monopolise le plus le ballon en Serie A (60% de possession), qui marque le plus et qui tire le plus, derrière l’Atalanta.
Le Napoli de Conte stagne à 53% de possession moyenne cette saison, huit équipes font mieux en Serie A.
Le contraste est assez saisissant avec le Napoli de Conte : 5e attaque de Serie A, 9e équipe qui tente le plus face aux cages, les Azzurri se plaisent aussi à laisser le cuir à l’adversaire, avec une possession moyenne minimaliste, qui stagne à 53% (8 équipes font mieux en championnat cette saison). Un bilan statistique révélateur du style qu’Antonio Conte a imprimé aux Partenopei : loin des arabesques collectives esquissées du temps des années Sarri et Spalletti, ce Napoli-ci obéit à une logique fonctionnelle, à un déploiement calculé et mécanique des efforts de ses joueurs. Le maître mot des Azzurri ? L’efficacité. Face à l’Atalanta, la Juventus, puis la Roma – que les Napolitains ont successivement affrontées entre le 18 janvier et le 2 février –, les Partenopei ont assumé un style plus réactif que proactif, l’équipe n’ayant jamais semblé aussi forte que lorsqu’elle n’a pas le ballon.
Par séquences, on aura d’une part vu Naples déclencher un pressing d’une agressivité et d’une coordination redoutable – un classique chez Conte. Mais les Azzurri se seront aussi bien souvent accommodés de défendre bloc bas, pour retourner ensuite la force cinétique de l’adversaire contre lui. Quitte, aussi, à assumer de sevrer offensivement quelques individualités pour le bien du collectif : pas toujours très alimenté, Romelu Lukaku n’a marqué que 6 buts dans le jeu en championnat, quand David Neres et Matteo Politano passent une bonne partie de leur temps à défendre comme des morts de faim sur leurs ailes respectives. Anti-spectaculaire mais efficace, à l’image du choc contre l’Atalanta mi-janvier, qui reste l’illustration la plus criante de la méthode Conte : nettement dominé et bombardé de tirs par la Dea, Naples avait zigouillé le 11 de Gasperini comme un tueur à gages exécute son contrat : trois tirs cadrés, trois buts et buonanotte (3-2).
Conte en eaux stagnantes
Un minimalisme à double tranchant : ce Napoli n’a, en réalité, que peu de marge, comme en ont attesté ses contre-performances du mois de février, alors que les Partenopei restent sur une série de trois matchs sans victoire en Serie A. Les limites potentielles d’Antonio Conte n’en ont été que plus cruellement soulignées, le contenu des matchs délivré par ses hommes pouvant en réalité interroger, lors de l’exercice en cours. Coach visionnaire lors de son mandat de 3 ans à la Juventus dans la première moitié des années 2010, le natif de Lecce est resté fidèle à la méthodologie qui a fait son succès : un football vertical qui se déploie autour d’un attaquant pivot qui permet d’allonger le jeu, des entraînements survitaminés pour dominer physiquement l’adversaire le jour J et un travail de fond sur la psychologie de ses hommes, qu’il a tendance à préférer expérimentés (l’âge moyen des joueurs utilisés par le Napoli est le deuxième plus élevé du championnat).
Pas sûr, néanmoins, que tout cela soit encore tout à fait en phase avec les évolutions du football moderne. Au très haut niveau, le style Conte s’est d’ailleurs toujours heurté à un plafond de verre, comme en attestent ses échecs répétés en Coupe d’Europe. On se souvient notamment de la déception générée par son Inter, incapable de s’extraire des poules de C1, puis punie en 2020 de son attentisme coupable par Séville, en finale de C3. Simone Inzaghi, dauphin de la C1 en 2023, et Gian Piero Gasperini – vainqueur de la Ligue Europa l’année dernière – auront fait beaucoup mieux, en proposant un football plus imprévisible, plus versatile et plus spectaculaire. En somme, plus moderne. Trop immobiliste, Antonio Conte n’en est pas devenu has been pour autant. Pas encore en tout cas. Peut-être, d’ailleurs, que les Azzurri vont se défaire de l’Inter ce samedi. Peut-être que le Napoli va soulever un nouveau Scudetto. Peut-être, finalement, que le temps suspendu n’est pas un temps perdu.
Cinq équipes en un point : le tableau en Serie A est serré comme jamaisPar Adrien Candau